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Tribune libre / L’éducation postsecondaire post-pandémie

Tribune libre / L’éducation postsecondaire post-pandémie

[iStock.com / Photo_Russia ]

Par David Robinson

La première vague de la pandémie de COVID-19 n’a pas tardé à bouleverser de manière radicale la vie de nos universités et collèges. Partout au pays et dans le monde entier, les campus sont désertés, l’enseignement a migré vers les plateformes virtuelles et des travaux de recherche importants sont suspendus.

Mais au moment où nous surmontons les conséquences immédiates de la pandémie, l’attention se porte désormais sur ce que pourraient être les retombées à plus long terme pour le système d’éducation postsecondaire canadien.

Si la situation qui se développe reste extrêmement volatile, une chose est claire : la pandémie de COVID-19 a nettement mis en relief les failles présentes depuis long-temps au sein de nos universités et collèges. La dépendance croissante de nos établissements au financement privé, l’exploitation de la main-d’œuvre précaire et le virage vers les programmes d’études et les projets de recherche répondant aux besoins du marché ont fait en sorte que nous sommes mal préparés à faire face à la crise actuelle.

Au cours des 30 dernières années, les gouvernements de différentes allégeances politiques ont progressivement refilé aux étudiants le coût de l’éducation postsecondaire et diminuant graduellement le inancement public. Cette transition a été d’une ampleur stupéfiante. Alors qu’en 1990 un peu plus de 80 % des fonds de fonctionnement des universités provenaient de subventions gouvernementales, ce chiffre avait plongé en 2018 à environ 47 %.

Résultat : nos établissements sont devenus financièrement dépendants des droits de scolarité et notamment, des frais scandaleusement élevés imposés aux étudiants internationaux. Les établissements qui en sont venus à compter sur ces frais pour soutenir leurs opérations risquent d’être confrontés à une chute dévastatrice de ces revenus si la pandémie doit se pour-suivre dans la prochaine année académique.

Les effectifs étudiants canadiens ne pourront pas, eux non plus, échapper aux retombées du coronavirus. À mesure que nous nous acheminons vers la pire récession depuis la Grande Dépression, nous savons que les revenus des familles en subiront les conséquences. Les ménages à faible et à moyen revenu, déjà aux prises avec un lourd endettement et luttant contre la stagnation des salaires depuis des années, seront les plus durement frappés. Si, en septembre prochain, nos universités et collèges sont contraints de continuer à dispenser une certaine forme d’enseignement à distance, en totalité ou en partie, il pourrait être difficile, même pour le service marketing le plus sophistiqué, de convaincre les étudiants de débourser davantage pour avoir le simple privilège d’accéder à une classe virtuelle à partir de leur chambre.

Quant à la façon dont les établissements sont susceptibles de réagir face à ce sombre scénario, nous savons très bien que leur première réaction sera, comme d’habitude, de couper dans les coûts de main-d’œuvre et les avantages sociaux. Il faudra peut-être envisager des gels de l’embauche, des mesures d’incitation à la retraite anticipée, des modifications aux prestations de retraite sévèrement touchées par les marchés ainsi que des mises à pied. Il n’en reste pas moins que ce sont les membres contractuels du personnel académique, dont les rangs ont grossi ces dernières années, qui sont les plus vulnérables. Le recrutement délibéré de cette armée de réserve de main-d’œuvre à statut précaire pour des raisons dites d’« efficacité financière » et de « souplesse administrative » s’est fait au prix d’un énorme gaspillage d’expertise et de potentiel. Un bassin d’universitaires dévoués et talentueux, dont bon nombre possèdent des années, voire des décennies d’expérience, sont chargés d’enseigner à des effectifs étudiants de plus en plus nombreux, sans bénéficier d’aucun soutien pour leurs activités de recherche et d’érudition et considérés tout simplement comme quantité négligeable.

Parallèlement, la commercialisation de la recherche et la tendance à se tourner vers les programmes axés sur le marché du travail au détriment des arts libéraux et des sciences ont créé d’autres vulnérabilités. Le financement de la recherche fondamentale, bien qu’il ait fini par être relancé ces dernières années, demeure insuffisant pour que les universitaires soient pleinement en mesure de résoudre de grandes questions et de trouver des solutions à nos enjeux les plus pressants. L’accent mis avant tout sur les résultats de l’éducation postsecondaire enregistrés sur le marché du travail a contribué à réfréner des formes de pensée critique plus robustes dans nos établissements ces dernières années. Comme Joan Wallach Scott l’a fait observer, nous avons assisté à une transformation lente, mais constante, de l’université ou du collège, « qui sont passés d’un espace de confrontation, de débat et d’échange des idées à un lieu où des gestionnaires vigilants du risque permettent aux consommateurs d’influer sur ce qui peut être dit ou non ». Malheureusement, la sous-estimation de la pensée critique et de l’enquête a alimenté bon nombre des problèmes auxquels nous nous heurtons aujourd’hui en même temps que nous affrontons la pandémie de COVID-19.

Tout cela devrait nous inciter à amorcer une réflexion non pas tant sur la manière dont nous pouvons revenir à une vie « normale » — parce que l’université et le collège d’avant la pandémie n’étaient pas des modèles à suivre — mais plutôt sur le type d’établissement et de système d’éducation postsecondaire dont nous aurons besoin après la pandémie. Il ne fait aucun doute qu’il faudra prendre des mesures d’urgence pour recouvrer les revenus perdus durant la crise et le gouvernement fédéral s’est déjà provisoirement attelé à la tâche. Mais nous devons nous assurer également de ne pas répéter les erreurs du passé. Après des années de compressions, de resserrement, de dépouillement, de mauvaise gestion et de surcharge, les personnes qui travaillent dans les universités et les collèges doivent unir leurs forces pour concevoir et promouvoir une nouvelle vision du développement de l’éducation postsecondaire.

Nous devons sérieusement et de toute urgence envisager de remplacer un système déficient de financement privé qui condamne les jeunes à être une génération d’endettés, qui exploite volontairement les étudiants internationaux et qui rend les universités et collèges vulnérables aux aléas du marché et les exposent beaucoup trop aux chocs extérieurs. Nous devons réparer un régime d’emploi déficient qui privilégie l’embauche de main-d’œuvre bon marché et précaire au lieu de développer la pleine capacité de la profession académique en vue de servir au mieux l’intérêt général. Et enfin, nous devons repenser le but de l’éducation postsecondaire dans une perspective allant bien au-delà de la simple prestation de services au secteur privé et à une minorité de privilégiés, mais aussi comme une ressource indispensable à la préservation, à la diffusion et à l’enrichissement des connaissances pour le bien de tous et toutes.

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David Robinson, Directeur général, Association canadienne des professeures et professeurs d’université

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