Par Peter McInnis
De façon générale, la profession enseignante — et le secteur postsecondaire en particulier — n'est pas considérée comme un secteur à forte agitation sociale, mais les évènements de ces derniers mois remettent en question cette impression de non-agitation. En Grande-Bretagne, le University and College Union a organisé des débrayages pour protester contre les mauvais salaires et les mauvaises conditions de travail, et 48 000 travailleurs universitaires de tous les campus de l'Université de Californie ont lancé la plus grande grève jamais connue dans ce secteur.
Au cours de l'année dernière, les membres de l'ACPPU ont fait grève pour obtenir des ententes justes et équitables. Nous pourrions avoir besoin de recourir à de telles mesures à nouveau dans les mois à venir, face à des administrateurs intransigeants et à l'ingérence du gouvernement.
Le droit de défendre la négociation collective par le recours à la grève soulève de nombreuses questions. Au Canada et à échelle internationale, on a beaucoup parlé de la question de savoir comment un syndicat en arrive à autoriser une grève et ce qui constitue une grève légale. La réponse est à la fois simple et complexe.
Elle est simple dans la mesure où le fait de débrayer pour arriver à négocier un contrat qui soit acceptable est l'une des actions les plus démocratiques que les syndicats puissent entreprendre. Avant le début officiel des négociations, les syndicats sondent leurs membres sur les questions qu'ils souhaitent mettre en avant. Les négociations proprement dites sont menées par un groupe plus restreint de collègues représentant l'ensemble des effectifs. D'où l'expression « négociation collective ».
Les attentes quant à un échange constructif entre un syndicat et une administration peuvent ne pas se dérouler comme prévu, on déclare alors une impasse. Un vote de grève peut être organisé à tout moment, mais la question est toujours la suivante : les membres d'une unité de négociation accréditée sont-ils favorables à une grève pour renforcer la position de leur équipe à la table des négociations?
La réponse est aussi complexe compte tenu des modalités des différentes lois provinciales, et un vote de grève positif constitue une barre élevée à franchir. Le syndicat doit généralement obtenir non seulement la majorité des voix, mais aussi de la part d’une majorité de membres, un niveau de participation impressionnant auquel on ne s’attend pas pour des élections politiques. Les provinces peuvent également différer quant au délai requis pour autoriser une grève légale.
Un conciliateur nommé par le gouvernement tentera de conclure une entente tardive, mais, en cas d'échec, il peut émettre un rapport recommandant au ministre du Travail de ne pas instituer de commission de conciliation, signalant que les négociations ont atteint un point mort. Ce rapport est suivi d'une période de « gel » obligatoire, après laquelle une grève ou un lock-out peut être déclaré.
Au Canada, les grèves légales sont rarement des évènements spontanés initiés par un petit groupe d’ardents militants, mais plutôt une action délibérée de l'ensemble des effectifs. Certains ont décrit ce processus en plusieurs étapes comme étant lourd et lié à la « légalité d’une action syndicale », mais c'est le système dont nous avons hérité pour protester contre les inégalités sur le lieu de travail et tenter d'obtenir des réformes progressistes.
Après avoir atteint l'étape de la grève, pourquoi commencer un débrayage si, comme le prétendent les critiques, il est perturbateur? L'intention est justement de perturber, car sans ce levier extraordinaire, de nombreux administrateurs d'universités et de collèges n'accepteront pas la plupart des revendications syndicales. Sans la possibilité de tenir une grève, un lieu de travail est moins démocratique et moins collégial.
Parfois, des progrès constructifs naissent des conflits et, étonnamment, de nombreuses expériences sur les piquets de grève sont positives, car le personnel académique et les employés apprennent à connaître les activités de recherche et d’enseignement des autres et leur engagement commun envers un enseignement de qualité. Les étudiants ont également l'occasion de participer à des débats essentiels sur la mission éducative, car ils représentent un élément crucial de la communauté du campus.
Bien que les grèves soient relativement rares, des efforts ont été déployés pour étouffer toute possibilité de débrayage. Au cours des négociations houleuses entre les travailleurs de soutien en éducation des écoles primaires et le gouvernement de l'Ontario, ce dernier a tenté d'imposer un contrat pluriannuel et de protéger cette action unilatérale par l'application audacieuse de la clause nonobstant, qui exempte les négociations de mauvaise foi des contestations judiciaires en vertu de la Charte des droits et libertés. S'il avait été mis en oeuvre, ce recours préventif à l'article 33 de la Charte aurait non seulement annulé les droits constitutionnels de ces travailleurs, mais aurait également pu rendre tous les droits de négociation collective sans objet.
Le mouvement syndical a rapidement manifesté son mécontentement, la loi a été abrogée et les négociations ont finalement abouti à la ratification d'une entente.
Lorsque le personnel académique et les employés de l'enseignement postsecondaire votent pour accréditer un syndicat qui sera leur unique représentant aux fins de la négociation d'une convention collective, et pour défendre cette entente juridique par le biais de griefs et d'autres procédures de recours, ils acceptent également que certaines situations puissent nécessiter une confrontation. Pour la population canadienne d'aujourd'hui, le droit constitutionnel de faire la grève, même s'il est assorti de multiples critères et limites procédurales, constitue la clé de voûte de toutes les conventions collectives qui, à leur tour, renforcent la gouvernance collégiale et la liberté académique. Par conséquent, nous devrions faire grève lorsque c'est nécessaire, et ensuite, nous battre pour obtenir des gains dans l'intérêt de notre profession et de notre démocratie.