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Entrevue / Madeleine Pastinelli

Entrevue / Madeleine Pastinelli

Madeleine Pastinelli, ethnologue et professeure titulaire au Département de sociologie de l'Université Laval, siège au comité exécutif du Syndicat des professeurs et professeures de l'Université Laval (SPUL) à titre de secrétaire. Elle a récemment rédigé un rapport basé sur les témoignages de plusieurs professeurs de l'Université Laval concernant les défis auxquels ils sont confrontés dans leurs interactions avec les comités d'éthique de la recherche (CÉR). Elle est la porte-parole du SPUL dans les négociations en cours avec l'Université Laval.

Quel rôle jouent les comités d'éthique de la recherche (CÉR) dans les universités financées par des fonds publics et pourquoi vous vous êtes intéressée à ces comités ?

Un CÉR est un comité indépendant qui veille au respect des exigences éthiques des projets de recherche. Les CÉR examinent les risques et les avantages potentiels de la recherche et s'assurent que la démarche du chercheur, qu’il soit professeur, étudiant, chercheur postdoctoral ou autre, est conforme à un ensemble de principes généraux et qu’elle n’expose pas ceux qui y participent ou les populations concernées par la recherche à des risques inutiles ou démesurés en regard des bienfaits qu’on peut attendre de la recherche. Tous les établissements canadiens qui mènent ou soutiennent des recherches doivent, en vertu de l’Énoncé de politique des trois Conseils : éthique de la recherche avec des êtres humains, avoir un ou plusieurs CÉR qui examinent et approuvent les projets de recherche avant que ceux-ci ne soient mis en oeuvre.

Une consultation menée par notre syndicat auprès de ses membres il y a une dizaine d’années nous avait permis de constater déjà à l’époque un fort taux d’insatisfaction à l'égard des CÉR. Plus récemment, on a pu observer une augmentation importante des plaintes adressées au syndicat de la part des professeurs concernant la nature abusivement contraignante des exigences des CÉR, ce qui nous a conduit à mener une consultation auprès de nos membres afin de faire la lumière sur la situation et de voir de quelles façons les interventions des comités étaient de nature à limiter la liberté académique des collègues.

À quels obstacles le personnel académique fait-il face lorsqu'ils font affaire avec les CÉR et comment la SPUL a-t-il réagi ?

Les témoignages des chercheurs sont incroyablement détaillés et chargés d'émotion, et presque tous les répondants ont demandé à rester anonymes, en grande partie par crainte de représailles. Les problèmes rencontrés par les collègues sont nombreux et variés. Dans certains cas, les interventions des comités concernent des aspects qui n’ont rien à voir avec l’éthique de la recherche, comme la pertinence scientifique du projet et de différents éléments méthodologiques (par exemple, le choix de la méthode d’enquête, les questionnaires, les grilles d'analyse, les échéanciers, etc.) ; les budgets de recherche ; l'expertise ou la discipline des chercheurs ; les ententes de propriété intellectuelle avec les organismes de financement, entre autres. Dans plusieurs cas, le problème est que les comités refusent des pratiques de recherches qui sont pourtant considérées comme acceptables et pertinentes par l’EPTC2. Ces problèmes sont particulièrement importants dans le cas des démarches de type inductive. Dans les approches de ce type, il n'est pas toujours facile de déterminer où la recherche va mener avant de commencer la collecte des données, le chercheur ne peut pas toujours prévoir les questions qu’il posera à ses répondants dans l’enquête, sans compter que plusieurs éléments de la collecte de données peuvent évoluer en cours de route. Les CÉR de l’Université Laval (CERUL) refusent d'approuver les pratiques de recherche qui impliquent ainsi que les objectifs de recherche et les questions d’enquête ne soient pas clairement définis dès le départ ou soient appelées à évoluer. Les comités refusent aussi que les chercheurs sollicitent directement des répondants, ce qui est inévitable avec certaines approches. Ces problèmes ont conduit plusieurs professeurs à tout simplement cesser de mener des recherches sur le terrain. Plusieurs disent qu’ils découragent fortement leurs étudiants de mener ce genre de recherche, considérant que c’est devenu impossible.

Comment les Comités d'éthique de la recherche (CÉR) utilisent-ils le cadre éthique de l'EPTC2 ?

Le problème n'est pas le cadre éthique de l'EPTC2 ou les principes ou les règles qu'il contient, mais plutôt la façon trop restrictive dont il est interprété et appliqué. Nous avons constaté que les CÉRUL adoptent une position légaliste très rigide, comme s’ils étaient guidés par le désir de protéger l'université (ou le comité d'éthique) de toute responsabilité plutôt que de chercher à protéger l'intérêt public. Les CÉR font preuve d’une prudence excessive, imposant aux chercheurs des exigences plus contraignantes que ce que prévoit l’EPTC2 et n’hésitant pas à imposer des exigences standardisées sur des aspects sur lesquels ils devraient faire une appréciation au cas par cas et adapter leurs exigences en fonction de l’importance des risques qu’implique la recherche.

Quelles conséquences ont ces problèmes pour les universitaires, l'éducation publique et la société ?

Les temps d'attente trop longs et les exigences tatillonnes qui découlent d'une perspective légaliste épuisent les chercheurs et les amènent parfois à renoncer à certaines méthodes pourtant pertinentes. Certains prennent des congés de maladie et d’autres renoncent tout simplement à collecter des données originales. D'une manière plus générale, la prudence excessive des CER entrave la créativité des chercheurs qui sont encouragés à s’en tenir à des approches plus classiques et à éviter de sortir des sentiers battus. Cela limite le potentiel d’avancement des connaissances, qui est pourtant nécessaire pour résoudre des problèmes urgents.

D’après vos observations, quelles solutions proposez-vous ?

Le problème à mon sens est qu’on s’inquiète uniquement des risques de la recherche sans considérer les conséquences qu’il y a à restreindre inutilement les pratiques de recherche. Plusieurs pistes permettraient d’améliorer le fonctionnement des CÉR : il y aurait lieu de rendre plus collégial et plus transparent le processus de recrutement et de sélection des membres des CÉR ; de créer un organisme d'appel indépendant des universités au niveau national ou provincial et qui pourrait donner le ton des interprétations acceptables de l'EPTC2 ; de transférer la responsabilité de la formation des membres des CÉR au Groupe consultatif sur l'éthique de la recherche ; et de former les membres des CÉR sur leur responsabilité à l'égard des risques et des conséquences des limitations abusives ou inutiles des pratiques de recherche.

Un facteur clé serait d'affirmer beaucoup plus fortement l'importance de la liberté universitaire dans l'EPTC2, ainsi que la nature souvent imprévisible de l'avancement des connaissances et des avantages qui peuvent découler de la recherche. Il y aurait lieu enfin de revoir la composition des CER pour inclure dans ceux-ci au moins une personne ayant une expertise sur la liberté universitaire et pour limiter l'importance accordée à l'expertise juridique ou aux personnes ayant des connaissances juridiques au sein des CÉR.

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