Par David Robinson
Selon un vieux dicton dans le mouvement syndical, c’est l’employeur qui est l’organisateur syndical le plus efficace. En effet, les faux pas, les calculs erronés et le mauvais comportement en général d’un employeur sont souvent les moyens les plus efficaces de galvaniser les travailleuses et travailleurs et de les pousser à unir leurs efforts pour une cause commune.
Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a douloureusement appris cette leçon un peu plus tôt ce mois-ci. Plutôt que d’essayer de négocier une entente mutuellement acceptable avec les 55 000 travailleuses et travailleurs du secteur de l’éducation, membres du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) de l’Ontario, le gouvernement Ford a voté à toute vapeur une loi qui non seulement interdisait les moyens de pression et imposait une convention collective de quatre ans, mais qui posait aussi un geste sans précédent : invoquer de façon préventive la disposition de dérogation de la Constitution afin de suspendre des droits garantis par la Charte. Nous avons connu notre lot de lois antisyndicales dans le passé, mais jamais la disposition de dérogation n’avait été utilisée de cette manière. Ce n’était un secret pour personne que le gouvernement savait que sa loi était inconstitutionnelle; par pur cynisme, il voulait tout simplement éviter que celle-ci soit invalidée par la Cour.
Pour le mouvement syndical, les gestes posés par le gouvernement ont eu pour conséquence inattendue de rallier des syndicats qui n’avaient pas toujours été sur la même longueur d’onde. Le SCFP a défié la loi et organisé des manifestations à l’échelle de la province, et des milliers de membres d’autres syndicats se sont joints au mouvement. Lors de réunions d’urgence, des syndicats des secteurs public et privé ont accepté de fournir du soutien financier aux membres du SCFP et d’entreprendre des mesures progressives de protestation, pouvant aller jusqu’à la grève générale.
Entre-temps, des sondages révélaient que la plupart des Ontariennes et Ontariens se rangeaient du côté des travailleuses et travailleurs du secteur de l’éducation et qu’elles et ils étaient en colère de voir que la loi suspendait des droits garantis par la Charte. Il s’agissait de toute évidence d’un abus de pouvoir de la part du gouvernement qui pourrait avoir des conséquences dévastatrices à l’échelle du pays. Si le gouvernement de l’Ontario réussissait à normaliser l’utilisation de la disposition de dérogation, les droits et libertés de l’ensemble des Canadiennes et Canadiens seraient menacés.
Face à l’inquiétante perspective d’un conflit de travail à l’échelle provinciale et d’une opposition croissante de la population, le premier ministre Ford a été forcé de reculer. La Loi visant à garder les élèves en classe, rappelant la société imaginée par Georges Orwell, serait abolie et considérée comme n’ayant jamais été appliquée. Le SCFP mettrait fin à ses moyens de pression et les deux parties reviendraient à la table de négociation.
Il s’agit là d’une importante victoire pour le mouvement syndical qui dépasse les frontières de l’Ontario. De toute évidence, d’autres gouvernements provinciaux observaient de près l’évolution de la situation. Au nom du Syndicat national de l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université (SNACPPU), j’ai participé à plusieurs réunions par vidéoconférence avec des leaders syndicaux de partout au Canada, pendant le déroulement des événements. Les associations de l’ACPPU qui ne sont pas membres du SNACPPU devraient s’y joindre; en effet, la participation au mouvement syndical est essentielle pour la protection de nos droits et de nos conditions de travail. De mémoire récente, je n’ai jamais vu pareille unité autour d’une cause commune au sein du mouvement syndical et une telle volonté de prendre des dispositions sans précédent pour la défense de tous. Très curieusement, nous pouvons remercier Doug Ford, organisateur syndical hors du commun, d'avoir déclenché cette unité et cet activisme extraordinaires.