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Entrevue / Alison Macrina

Entrevue / Alison Macrina

Alison Macrina est directrice générale du Library Freedom Project, une organisation sans but lucratif qui soutient une mobilisation collective à long terme pour atténuer les effets néfastes de vivre dans une société de surveillance. Elle a été la conférencière principale lors de la Conférence des bibliothécaires et des archivistes de l'ACPPU en 2022.

Vous avez décrit un environnement de travail hostile à l’égard des bibliothécaires aux États-Unis. Quelle est la gravité de la situation?

Le climat est extrêmement hostile envers le personnel des bibliothèques aux États-Unis en raison de la montée de la droite organisée. La protection de la vie privée est un enjeu important, car les bibliothécaires sont souvent pris pour cible et on tente de les accuser de pédophilie pour avoir proposé des livres variés aux enfants.

Il s'agit d'une campagne extrêmement organisée visant à retirer des bibliothèques les livres qui ont trait à l'expérience des LBGTQ ou à l'expérience des Noirs, et à harceler personnellement les employés des bibliothèques. Nous avons vu des groupes essayer d'obtenir le nom et les informations personnelles des bibliothécaires, s'ils sont mariés, où ils vivent, leur vie privée, diffuser ces informations et les utiliser pour créer des campagnes de harcèlement contre eux. Cela se produit dans tous les États et dans toutes les villes.

Je pense que les Canadiens feraient bien de se préoccuper de cette réalité et de commencer à s’y préparer. Nous avons tous été pris au dépourvu, personne ici n’a été préparé à ce que nous vivons.

Par où les gens devraient-ils commencer à contester cette situation?

Nous avons besoin d'énormes changements dans ce que nous exigeons des entreprises de mégadonnées et des forces de l'ordre et autres acteurs. Il y a tout un environnement d'exploitation des données. Les données sont très prisées, il y a beaucoup d'entités différentes qui veulent ces informations pour différentes raisons.

Nous parlons de vendeurs de données qui amassent tellement de pouvoir qu'ils n'ont de comptes à rendre à personne. Nous parlons de certaines des plus grandes et des plus puissantes compagnies qui aient jamais existé dans le monde. Nous parlons de forces de l'ordre qui n'ont absolument aucun compte à rendre. Notre police fédérale, en particulier l'Immigration and Customs Enforcement (ICE), dispose de pouvoirs étendus pour surveiller n'importe qui pour presque n'importe quelle raison.

En tant que bibliothécaires soucieux de la démocratie de l'information, de l'accès à l'information, de la vie privée et de la liberté intellectuelle, nous avons un rôle à jouer pour aider nos communautés à saisir les hostilités de cet environnement, pour les aider à comprendre leurs données et comment les protéger contre les menaces qui les inquiètent.

Je conseillerais aux personnes vulnérables d'être prudents dans leur utilisation des médias sociaux, car ils peuvent révéler toutes sortes d'informations personnelles. Il est bon pour tout le monde de renforcer les mots de passe, de s'assurer que les logiciels sont mis à jour afin de ne pas introduire par inadvertance des virus ou des logiciels malveillants dans l'ordinateur et d'utiliser des applications de messagerie cryptées.

Le harcèlement, les poursuites judiciaires et la sécurité de l'emploi font partie des risques que les gens craignent lorsqu'ils s'opposent aux fournisseurs de mégadonnées.

Certains de ces risques existent bel et bien, ils sont très réels dans le monde des bibliothèques. Nos organisations professionnelles doivent offrir leur soutien aux personnes qui prennent des risques. Elles peuvent faire plusieurs choses. Elles peuvent écrire des lettres de soutien à un universitaire pris pour cible, condamner le harcèlement et offrir leur soutien à cette personne.

Ce que nous commençons à explorer aux États-Unis, c'est la création d'une sorte de fonds de grève pour les personnes visées par des campagnes de harcèlement.

Nos organisations professionnelles peuvent offrir un soutien direct et créer des espaces permettant de nouer des liens entre les bibliothécaires, de dispenser des formations et des conseils et de parler avec une vision claire de ce qui est en jeu ici, parce que nos idéaux démocratiques sont aussi en jeu.

Avez-vous été ciblée?

J'ai subi certains gestes de harcèlement en ligne de la part de néo-nazis et de fascistes, mais cela n'a duré que quelques semaines. Cela m'a été utile pour comprendre, de manière personnelle, comment faire face à ce type de ciblage. Mais j'ai eu la chance d'avoir déjà mis en pratique les propres conseils que je donne. Je n'ai donc pas vraiment été mise en danger et ils n'ont pas pu découvrir grand-chose sur moi.

Que peut faire une organisation comme l'ACPPU pour s'opposer aux entreprises de mégadonnées?

Un groupe organisé [comme l'ACPPU] peut agir en écrivant des lettres aux actionnaires de ces compagnies. L’association peut faire des menaces plus importantes et plus substantielles qu'une bibliothèque individuelle pour annuler des contrats, en leur disant, par exemple, que vous allez conseiller à vos membres de ne pas acheter ces bases de données si l’entreprise ne respecte pas les droits fondamentaux de la personne.

En ce qui concerne les plus grandes sociétés de données comme Google et Facebook, cela se résume au pouvoir potentiel de lobbying. Nous avons besoin de meilleures lois qui mettent des garde-fous autour de ces sociétés et de ce qu'elles peuvent faire.

Dans le monde des bibliothèques, je ne pense pas que nous comprenions que nous avons ce genre de pouvoir collectif, mais nous l'avons absolument. Il s'agit juste de l'exercer.

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