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Le mot du président / Les experts-conseils de l’austérité

Le mot du président / Les experts-conseils de l’austérité

Par Peter McInnis

L’idée selon laquelle des experts conseils du secteur privé peuvent avoir une influence considérable sur nos carrières professionnelles de chercheurs et d’éducateurs pourrait en surprendre plusieurs. Cela ne devrait pourtant pas nous étonner puisque les sociétés d’experts-conseils forment une industrie lucrative présente dans bien des aspects de nos vies. Les « quatre grandes » sociétés d’experts-conseils sont bien connues : PricewaterhouseCoopers (PwC), KPMG, Deloitte et Ernst & Young (EY). Mais le secteur de l’enseignement postsecondaire représente un nouveau créneau de services conseils qui croît à un rythme stable et pourrait avoir sur notre environnement de travail un impact dont nous ne mesurions pas jusqu’ici l’ampleur. Parmi les sociétés d’experts-conseils du secteur figure notamment le Nous Group, basé en Australie.

Établi en 1999, le Nous Group s’est constitué initialement une clientèle en Australie et en Nouvelle-Zélande dans le cadre d’une transition énergique vers l’« évaluation comparative en enseignement supérieur » et l’imposition de mesures correctives d’austérité. La restructuration du travail qui a suivi a donné lieu à des pertes d’emploi et à la précarisation accrue des postes restants. Le groupe a ensuite étendu ses activités au Royaume-Uni et à l’Irlande, puis a ouvert des bureaux à Toronto en 2019 sous le nom de Nous Group Canada.

Parmi les premiers clients canadiens du groupe figurait l’Université de l’Alberta, dont les budgets de fonctionnement venaient de connaître les premières d’une série de compressions du gouvernement provincial. Grâce au partenariat avec le Nous Group, l’Alberta a pu « faire des économies de plus de 100 millions de dollars ». La liste des bénéficiaires de l’expertise du groupe a gonflé depuis et inclut dorénavant une douzaine d’universités canadiennes. Étant donné la propension des universités à s’imiter, l’ajout d’autres clients est à prévoir à mesure que — tel un virus — le groupe « croît au sein de ses marchés géographiques actuels et éventuels ».

Le contenu du site web du Nous Group est à la fois surprenant et alarmant. Il est surprenant d’apprendre que des experts conseils extérieurs sont actifs dans le milieu de l’enseignement postsecondaire depuis des décennies et alarmant de constater les conséquences d’une telle « stratégie transformationnelle » sur les gens. La terminologie de l’entreprise est truffée de mots d’action étrangement sortis de leur contexte, mais la persistance apporte des réponses. Le Nous Group affirme offrir aux gouvernements et aux administrateurs toute une série d’«observations fondées sur des données » leur permettant de « voir l’avenir ».

Nullement le fruit inoffensif d’une quelconque clairvoyance magique, cet avenir en est un de potentiel d’apprentissage réduit et de cheminements de carrière restreints. Les Nousers (comme les appelle le groupe) offrent un éventail de conseils tirés de la culture du gestionnariat, de la monétisation et de l’audit, dans un élan de ce qu’on qualifie de « néolibéralisme progressiste ».

S’inspirant d’un plan conçu à l’intention des universités de l’Australie, les experts conseils recommandent des mesures de réduction des coûts qui ont souvent dans leur mire les disciplines liées aux sciences humaines et sociales.

Selon le Nous Group, « [d]e nombreuses universités traînent une grande quantité d’unités peu fréquentées qui génèrent de faibles revenus et fonctionnent parfois à perte. En rationalisant l’offre de cours et en réorganisant l’architecture académique, les universités peuvent effectuer des économies […] ». Or, cette culture implacable de l’audit entraîne l’élimination de pans complets de diplômes universitaires « de peu de valeur ». La boîte à outils de l’austérité qu’elle propose trouve un auditoire réceptif chez les administrateurs d’université qui font face à des réductions des transferts gouvernementaux, à des changements démographiques, à une inflation galopante et à un environnement postpandémique incertain. Nous devrions nous méfier des occasions de « gérer la montée de l’art numérique […] pour la restructuration du personnel et la transition vers l’apprentissage virtuel » — pour reprendre les mots du Nous Group — qu’offre dorénavant la prolification des technologies causée par la COVID-19.

La gouvernance collégiale est aussi visée. Le Nous Group vante son travail auprès de l’Université Laurentienne, dont le célèbre processus d’insolvabilité commerciale imposé en février 2021 en application de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Le processus adopté en vertu de la LACC a eu un effet dévastateur sur l’Université Laurentienne, qui a dû sabrer dans ses programmes et mettre à pied du personnel académique et de soutien.

Dans le langage du Nous Group, l’Université Laurentienne était un excellent candidat à la restructuration étant donné que la baisse de ses inscriptions et ses dépenses élevées en immobilisations érodaient la viabilité financière de l’établissement. À aucun moment ne fait-on mention dans cette description anodine publiée en ligne des malversations financières des administrateurs de l’université ayant donné lieu à une réprimande sévère de la part de la vérificatrice générale de l’Ontario. Le recours à des experts-conseils pour détourner l’attention au moyen de plans d’action tout beaux a servi à occulter toute culpabilité parmi les administrateurs. Toute recommandation additionnelle visant à affaiblir la gouvernance collégiale, à contourner le sénat de l’université et à faire directement appel aux conseils du Nous Group nuira au processus de reconstruction entrepris.

Il est possible de dégager des leçons cruciales de la débâcle de l’Université Laurentienne, mais ces leçons ne nous proviendront pas d’experts-conseils.

Face aux menaces qui continuent de planer sur la gouvernance collégiale, la direction de l’ACPPU a formé un comité permanent chargé de surveiller la situation et de recommander des mesures constructives à adopter pour assurer la participation significative du corps professoral aux affaires de l’université. S’il faut retenir quelque chose, outre la place qu’occupent les experts-conseils du milieu de l’enseignement postsecondaire, c’est que les enseignants et enseignantes des universités et des collèges doivent participer à la gouvernance de leurs établissements.

Sans engagement démocratique actif, le milieu de l’enseignement postsecondaire cède du terrain à des technocrates néolibéraux. Ce faisant, nos établissements risquent de passer de lieux de savoir sur toute une étendue de sujets et de contribution sociétale vaste à des entreprises hautement marchandisées et méconnaissables, axées sur la production de « produits du savoir ».

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