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Les bibliothécaires et archivistes à la défense de la liberté académique

Les bibliothécaires et archivistes à la défense de la liberté académique

Par Leslie Sinclair

En 2009, l’ancien Collège communautaire Grant MacEwan est devenu l’Université MacEwan. L’association du personnel académique de l’établissement en a profité pour réclamer la création d’un conseil de bibliothèque dans le cadre de la structure de gouvernance partagée de l’établissement, ainsi que l’accès à la permanence et à l’avancement pour les bibliothécaires membres de l’association.

L’expérience de l’Université MacEwan avait mis en lumière le combat continu que menaient les bibliothécaires et les archivistes pour assurer la reconnaissance de leurs droits académiques en matière de gouvernance partagée, de liberté académique et autres. De nos jours, bon nombre des bibliothécaires et des archivistes des établissements postsecondaires canadiens sont couverts par des conventions collectives qui leur garantissent le même droit à la liberté académique que les membres du corps professoral. « C’est l’ultime quête de la vérité, affirme Eva Revitt, bibliothécaire à l’Université MacEwan. Les bibliothécaires doivent avoir la liberté académique nécessaire pour mener des recherches savantes et “parce que cela leur permet de fonder leurs pratiques professionnelles sur des codes de déontologie plutôt que des prérogatives administratives” ».

Dans les conventions collectives, la liberté de mener des activités savantes des bibliothécaires du milieu académique est habituellement protégée au même titre que celle des autres membres du personnel académique. L’énoncé de principes de l’ACCPU sur la liberté académique indique clairement que la liberté académique s’étend à tous les membres du personnel académique. De plus, à titre de professionnels du milieu académique, les bibliothécaires et les archivistes devraient compter dans leur charge de travail habituelle la recherche, l’érudition et le service académique et communautaire, ce qui exige l’accès à des périodes consacrées à la recherche, à des congés sabbatiques et autres, et du financement.

Or, les bibliothécaires et les archivistes continuent de se heurter à des difficultés particulières au moment d’exercer leur liberté académique. D’après Brianne Selman, bibliothécaire de l’Université de Winnipeg spécialisée en communications savantes et droits d’auteur, l’une de ces difficultés a trait au fait que les universités, et plus particulièrement les petites universités, ne comptent souvent qu’une poignée de bibliothécaires, tous chargés de superviser un vaste secteur d’activités comme la circulation et le catalogage. « Il est extrêmement difficile de concilier le droit des bibliothécaires d’effectuer des recherches avec la capacité des bibliothèques de mener leurs activités, indique-t-elle. Personne ne veut mettre ses collègues dans le pétrin ».

La pression tacite exercée sur les bibliothécaires pour qu’ils acceptent d’assumer des tâches répondant aux objectifs de fonctionnement de la bibliothèque durant leur congé sabbatique, comme le fait de lancer un nouveau projet ou service, dans le but d’accroître les chances d’approbation de ce congé, est « une forme encore plus néfaste d’érosion de notre liberté académique », ajoute Jennifer Dekker, bibliothécaire de recherche à l’Université d’Ottawa.

Enfin, comme l’explique Brianne Selman, malgré l’inscription de la liberté académique dans les conventions collectives, les congés de recherche sont souvent fixés par un comité externe. La liberté académique des bibliothécaires et des archivistes devrait s’appliquer aux recherches des domaines de la bibliothéconomie et des sciences de l’information, mais également aux recherches menées sur des sujets en lien avec les responsabilités et intérêts professionnels de la personne. « Si [les comités d’approbation externes] ne comprennent pas cette tension professionnelle, ils peuvent rejeter des demandes dont ils ne reconnaissent pas [l’importance], » poursuit Brianne Selman.

Principe de base des établissements postsecondaires, la gouvernance partagée a longtemps figuré parmi les droits du personnel académique. Bien que de nombreuses conventions collectives qualifient les bibliothécaires et les archivistes du milieu académique canadien de membres du personnel académique, la plupart des bibliothèques ne disposent pas de conseil de bibliothèque lié à l’organe de gouvernance (habituellement le sénat) de l’établissement, comme c’est généralement le cas des autres départements des établissements. La formation de conseils de bibliothèque représentés au sénat pourrait aider les bibliothécaires et les archivistes du milieu académique à défendre plus efficacement leur liberté académique et à agir plus globalement au sein de l’établissement.

« Les structures de gouvernance sont pour ainsi dire la toile de fond de la liberté académique », affirme Eva Revitt. Sans elles, « on peut avoir la liberté académique, mais aucun endroit où l’exercer ».

Elle explique qu’au Canada, peu de conseils de bibliothèque assument le rôle d’organe de gouvernance redevable au sénat, au sein duquel tous les bibliothécaires et les archivistes votent les décisions et politiques importantes à recommander. En l’absence de conseil de bibliothèque, la fonction de porte-parole de la bibliothèque revient souvent de fait à la personne occupant le poste de bibliothécaire de l’université ou de doyen ou doyenne des bibliothèques, ce qui nuit gravement à la capacité des bibliothécaires et des archivistes à participer à des discussions franches, ouvertes et transparentes à l’échelle de l’établissement.

Étant donné que les bibliothécaires et les archivistes du milieu académique se heurtent à des reculs salariaux et à une précarisation de l’emploi semblables à ceux d’autres membres du personnel des établissements d’enseignement postsecondaire, comment peuvent-ils utiliser leur liberté académique pour défendre l’intérêt public?

Qu’il prenne la forme de bénévolat auprès d’associations de bibliothèques ou de bibliothécaires, ou encore d’action syndicale, « le service à la collectivité est empreint de liberté académique », explique Jennifer Dekker. Celle qui a fait sa première incursion dans le monde du militantisme en 2012, durant une période de grandes compressions du financement et des programmes de Bibliothèque et archives Canada, se rappelle comment les bibliothécaires se sont rassemblés à l’époque au centre-ville d’Ottawa pour distribuer des feuillets et des rubans de soutien. « Voilà un très bel exemple de la façon de mettre à profit nos connaissances professionnelles et notre liberté académique pour avoir voix au chapitre sans s’attirer des représailles ou des mesures disciplinaires », poursuit-elle.

Lydia Zvygintseva des services d’édition numérique de l’Université de l’Alberta est également d’avis que la liberté académique ne se limite pas à la recherche et à la publication, mais s’étend aussi à l’action syndicale. Au début de 2022, alors que de nombreux conflits de travail éclataient dans le milieu académique canadien, les bibliothécaires de l’Université de l’Alberta se préparaient en vue d’une possible grève. Lydia Zvygintseva était ravie de voir ses collègues participer à des piquets d’information pour y offrir des renseignements sur la mobilisation et les activités syndicales.

« On a toujours besoin de bénévoles pour aider à préparer les moyens de pression éventuels », affirme-t-elle, en ajoutant que l’action syndicale repose aussi sur la connaissance de la convention collective et la revendication d’améliorations aux conditions de travail. Bien qu’il s’agisse d’un processus lent, conclut-elle, la mobilisation aide les bibliothécaires non seulement à accroître leur visibilité au sein de l’université, mais aussi à exercer leurs droits en matière de liberté académique.

De façon similaire, Jennifer Dekker propose que les bibliothécaires du milieu académique militent en faveur des droits des archivistes, qui sont plus susceptibles d’appartenir à des syndicats de personnel non académique, souvent sans protection de la liberté académique dont jouissent leurs collègues bibliothécaires.

« C’est vraiment dommage que [de nombreux] archivistes n’ont pas la même capacité que les bibliothécaires à porter un regard critique sur leur établissement et leur gouvernement, ou de participer à certaines activités », indique-t-elle en ajoutant que si les archivistes ne peuvent pas se prononcer, cela nuit à la capacité des bibliothécaires à le faire.

« Les bibliothécaires du milieu académique canadien se sont battus pour inclure les avantages de la syndicalisation et la liberté académique au nombre des privilèges de leur emploi, termine Lydia Zvygintseva. J’aimerais bien qu’ils en profitent plus, par exemple en publiant davantage, en siégeant à des comités, en se prononçant et en n’ayant pas peur. »

 

 

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