
Par Momin Rahman et Naomi Nichols
En novembre 2024, le Comité permanent de la science et de la recherche de la Chambre des communes a tenu une séance sur la valeur de l’équité, de la diversité et de l’inclusion (EDI) dans l’écosystème de financement de la recherche. Les arguments contre l’EDI étaient dispersés, allant d’affirmations de partialité idéologique dans les comités d’évaluation à la discrimination dans l’embauche et l’examen par les pairs, le tout sans aucune preuve pertinente ou convaincante.
Néanmoins, nous ne pouvons pas nous appuyer sur le manque de rigueur pour rejeter de telles critiques. Cette séance est un autre exemple d’un mouvement anti-équité qui a vu le jour ces dernières années et qui vise le monde académique, les organisations publiques et privées, les gouvernements et les institutions sociales. Qu’il s’agisse d’hystérie anti-trans, d’allégations de racisme à rebours anti-Blancs ou de l’interdiction de la théorie critique de la race ou des études queer dans l’enseignement, la culture occidentale est imprégnée de l’odeur de la réaction contre les idées « wokes ».
Nous sommes confrontés à la perspective d’un gouvernement fédéral conservateur après les prochaines élections, dirigé par un leader explicitement anti-woke qui a récemment critiqué le gouvernement actuel d’avoir déployé le « wokisme » et une « idéologie extrêmement radicale ». En lançant à la population canadienne des appels pour qu’elle « mette de côté la race » et l’« obsession pour la race que le wokisme a réintroduite », le parti conservateur de Pierre Poilievre représente une escalade par rapport aux incarnations précédentes, s’insurgeant contre l’analyse sociale comme étant la quasi-criminalité de la « sociologie de l’engagement ».
Si l’on ajoute à cela la crise persistante du financement de l’enseignement postsecondaire, les tribulations incessantes d’avoir à faire face à une administration américaine ouvertement régressive sur le plan social et à la menace de changements semblables au Canada, l’avenir de l’EDI peut sembler sombre. L’énergie que nous déployons pour soutenir et défendre l’EDI peut sembler inutile. Le travail dans ce domaine est toujours frustrant par sa lenteur à provoquer des changements institutionnels et culturels — et il existe des indices donnant à penser que nous faisons marche arrière, comme l’annonce par Meta de la fin de son programme EDI pour l’embauche, la formation et l’approvisionnement.
Mais sommes-nous vraiment en train de perdre du terrain ? Il y a peut-être des raisons d’être plus positifs que les événements récents ne le suggèrent.
Tout d’abord, l’évolution des trois agences vers la mise en oeuvre d’une stratégie d’EDI au cours des deux dernières décennies s’est institutionnalisée de manière importante. Cette stratégie a été lancée en raison de différences démographiques statistiquement significatives dans l’attribution des bourses — différences qui dénotaient des processus systémiques d’exclusion. Nous oublions souvent que les objectifs d’équité du Programme des chaires de recherche du Canada, par exemple, ont fait l’objet d’un règlement judiciaire, et ne résultaient pas simplement du caprice idéologique de quelques universitaires et fonctionnaires « wokistes ».
Le changement de culture dans nos établissements et institutions, tant au sein des universités et des collèges qu’au sein de nos associations professionnelles nationales et internationales, est peut-être plus important que des programmes ou des politiques spécifiques. Au Canada, il est juste de dire que cette évolution a d’abord été motivée par l’importance accordée à l’EDI par nos conseils subventionnaires, mais d’autres facteurs ont contribué à rendre l’EDI pertinent au-delà des demandes de subventions. Les mouvements sociaux tels que #MeToo et Black Lives Matter ont eu un impact sur le débat public. L’évolution démographique vers une plus grande diversité raciale et les efforts continus pour s’attaquer de manière significative à la réconciliation et la faire progresser ont changé de manière irréversible notre culture publique, qui inclut nos étudiantes et étudiants actuels et futurs ainsi que nos futurs collègues.
Compte tenu de cette réalité, une université ou un collège pourrait-il vraiment prétendre être opposé à la diversité et à l’équité? Allons-nous redevenir un milieu de travail qui ne veut pas voir les différentes communautés dont il fait partie ni comprendre leurs luttes?
La situation est différente lorsqu’il s’agit de recruter du personnel académique. C’est là que se sont déroulés certains des débats les plus controversés, tant pour ce qui est d’exprimer des préférences ou de fixer des objectifs pour les groupes en quête d’équité, que pour ce qui est de définir notre profession comme étant « purement » axée sur le mérite et l’excellence, plutôt que sur la manifestation de préjugés institutionnels. Dans les deux sens, l’EDI est, selon nous, un correctif; il n’existe pas de mesures universelles du mérite académique qui s’appliquent à toutes les disciplines, à l’histoire, à la société ou à la culture, et lorsqu’il s’agit de considérer le « mérite », nos capacités d’analyse sont parfois insuffisantes.
Pour la plupart, les universités ont hérité de conceptualisations du mérite qui reflètent les activités et les priorités en matière d’érudition des établissements qui ont créé ces espaces et qui y ont historiquement détenu le pouvoir. L’absence de réflexion sur ces idéaux universitaires et d’actualisation de ceux-ci risque d’entraîner la stagnation et le manque de pertinence des études académiques.
En termes quantitatifs, nous devons aussi nous demander si la répartition historique et actuelle des identités de classe, de race et de genre dans nos rangs est normale. Ou, en fait, n’est-il pas quelque peu « bizarre » qu’au cours des 50, 60 ou 100 ans d’histoire de certains départements, ceux-ci n’aient compté qu’une ou deux femmes ou collègues racialisées, voire aucune? Le fait de sentir que quelque chose est un peu bizarre ne fait-il pas partie de la planification de la recherche, ou du moins de l’identification de bonnes questions de recherche? Au lieu d’écouter les personnes qui dénoncent l’EDI comme étant simplement « idéologique », quelle réponse honnête pouvons-nous nous donner en tant que cohorte de collègues et/ou en tant que groupe de membres d’un syndicat sur les raisons pour lesquelles nos départements ont cette apparence?
Nos collègues anti-woke ne suggèrent certainement pas de nous rabattre sur les explications idéologiques antérieures selon lesquelles ces différences statistiques reflètent une variation naturelle des capacités — en particulier en fonction de la race, des aptitudes, de la classe et du genre? Sans parler de racisme ou de sexisme biologiques, ils pourraient continuer d’affirmer que ces différences ne font que traduire les résultats d’une évaluation objective du mérite académique. Mais est-ce une réponse honnête quand on sait que toutes les embauches se font sur la base de préférences, et que des recherches solides montrent à quel point cela peut devenir un préjugé systémique?
Sur la question de la quête méritoire de l’excellence, divers programmes des trois organismes subventionnaires ont démontré que l’excellence de la recherche n’est pas atteinte si des groupes particuliers sont exclus de la conception de la recherche et de la formation à la recherche. C’est ce même argument qui permet à de nombreuses entreprises d’adhérer à la diversité, qu’elles se retirent ou non des politiques d’EDI, en s’appuyant sur le vaste éventail d’éléments probants indiquant que la diversité des expériences est étroitement liée à la diversité des identités sociales, élargissant ainsi notre compréhension du monde au-delà d’un seul ensemble d’expériences. En effet, l’EDI renforce et concrétise l’excellence de la recherche au lieu de la compromettre.
C’est dans ce domaine que l’intégration de l’EDI dans le monde académique a été la plus difficile, mais nous pensons que cette difficulté a plus à voir avec les limites de nos propres vanités qu’avec la corruption du mérite.
Une partie du processus d’examen par les pairs, qui est crucial pour notre crédibilité, permet précisément de s’exposer à d’autres expériences qui peuvent mettre en lumière nos préjugés ou angles morts. Nous ne devrions pas en avoir peur, même lorsqu’elles se présentent sous la forme d’un EDI. Les initiatives EDI suscitent des inquiétudes parce qu’elles menacent nos fragilités, nos préjugés et la prise de conscience fondamentale que le mérite n’est pas pur et ne l’a jamais été (même lorsque le nôtre est en cause). Admettre cela, c’est admettre que si nous sommes arrivés là où nous sommes, c’est peut-être en partie grâce à nos connaissances, à nos origines, à notre apparence et à notre façon de parler, et pas seulement en raison de l’excellence de notre recherche ou de notre enseignement.
Pouvons-nous répondre à ce type d’auto-évaluation par les pairs que l’EDI nous impose ou devons-nous rester couverts de notre propre vanité? Nous l’avons tous fait : rejeter les critiques parce qu’elles blessent notre fierté, mais nous savons qu’il faut bien finir par y faire face. L’EDI est le même miroir de nos points morts et de nos préjugés, et nous ne pouvons pas l’ignorer ou le décrier et rester une profession crédible.
Dans notre département, où nous « pratiquons régulièrement une sociologie engagée », nous avons travaillé dur pour établir notre propre politique d’EDI en matière d’embauche et de mentorat ultérieur, à la fois en poussant Trent vers une politique d’embauche privilégiant l’EDI dans notre dernière convention collective et en essayant de respecter ces engagements dans notre pratique.
Ce faisant, nous avons appris sur nous-mêmes et sur nos préjugés, et nous en sommes sortis grandis, notamment en nous engageant à modifier nos processus. Par exemple, nous avons supprimé le dîner social avec une candidate ou un candidat présélectionné après avoir tous réfléchi à l’ampleur des préjugés et de la partialité de nos propres expériences dans le cadre de ce processus. Au lieu de cela, nous avons été contraints de concevoir des questions pointues sur l’approche et l’espoir d’un environnement de travail collégial, et nous les avons utilisées à la place. Nous avons également organisé des réunions en alternance pour les candidates et candidats avec des membres du département et de l’ensemble de la communauté, sans le comité de recrutement, afin que la candidate ou le candidat puisse poser des questions pratiques sur le travail avec nous, le travail à l’université et la vie dans la ville. Nous y sommes arrivés, et cela a pris du temps, mais a aussi changé notre culture.
Et devinez quoi? Nous sommes différents, nous accomplissons des choses différentes et plus grandes, et nous sommes plus intelligents grâce à ce processus.
L’EDI est fondamentalement une question de justice, et c’est aussi le coeur de tout mouvement syndical — les salaires et les avantages sociaux sont aussi une affaire de justice. Mais l’EDI n’est pas seulement une question de justice — il s’agit aussi pour nous d’être plus judicieux et mieux connectés à nos compétences professionnelles essentielles et aux communautés dans lesquelles nous nous engageons. Il ne faut donc pas se décourager, car l’EDI est, en fait, une pratique normale, dans la meilleure expression et pratique de notre profession.
Momin Rahman est professeur de sociologie à l’Université Trent. Il a été coprésident du Comité de l’équité de l’ACPPU de 2018 à 2022 et il est actuellement membre du Comité consultatif sur l’équité, la diversité et l’inclusion pour le Secrétariat des programmes interorganismes à l’intention des établissements. Naomi Nichols est professeure de sociologie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en justice sociale et partenariats communautaires à l’Université Trent.