Autobiographie de Howard D.McCurdy
Howard Douglas McCurdy, George Elliott Clarke
Nimbus, 2023; 324 pp.
Par Titilola Aiyegbusi
« Les Canadiennes et Canadiens se souviennent peu des Canadiennes et des Canadiens noirs », affirme George Elliott Clarke dans la préface du livre Black Activist, Black Scientist, Black Icon, de Howard Douglas McCurdy. Cela semble être l’une des principales motivations de l’autobiographie de M. McCurdy : témoigner de l’histoire des luttes des personnes noires au Canada tout en faisant le point sur leurs contributions à l’édification de la nation.
Publié à titre posthume grâce au soutien éditorial de George Elliott Clarke, le récit captivant de M. McCurdy sur le militantisme politique des personnes noires au Canada brosse un tableau de survie et de triomphe, malgré les dures réalités du racisme canadien.
Captivante, la trame narrative s’appuie sur une diction exquise. Grâce à son recours habile aux techniques littéraires, M. McCurdy nous fait découvrir les réalités complexes de l’être 1) noir, 2) Canadien et 3) excellent, trois attributs normalement pas jugés compatibles, selon lui. La dynamique et les systèmes du Canada rendent impossible l’incarnation de ces trois attributs simultanément — un fait dont M. McCurdy s’est vite rendu compte à l’école secondaire lorsqu’il a été le seul membre de son équipe d’athlétisme à se voir refuser le service de restauration dans un hôtel de Chatham en raison de la ségrégation raciale.
Mais ces attributs cohabitent tous chez M. McCurdy et font de lui un précurseur dans tout ce qu’il entreprend et une personne nommée à la fois à l’Ordre du Canada et à l’Ordre de l’Ontario.
Dans son livre, qui compte 21 chapitres et 312 pages de texte et d’images, M. McCurdy raconte son héritage personnel et l’influence vitale de son patrimoine culturel. Il retrace ses racines jusqu’à ses ancêtres esclaves fugitifs du Kentucky et anciens esclaves arrivés au Canada par le Chemin de fer clandestin. Pour comprendre les différentes étapes de sa vie et la manière dont chacune contribue à son expérience globale, il est utile de diviser le livre en trois sections : les tensions ayant façonné l’homme adulte (chapitres 1 à 5), sa recherche de l’excellence dans diverses fonctions (chapitres 6 à 19) et les réflexions sur la sortie de l’homme d’État âgé (chapitres 20 à 21).
Les chapitres 1 à 5 racontent en détail l’enfance de M. McCurdy à London, en Ontario. Nous suivons les expériences complexes d’un garçon qui pense tout jeune qu’avoir la peau foncée au Canada ne change rien à rien, avant de connaître la ségrégation et de s’efforcer de surmonter les obstacles en tentant d’être meilleur coureur, meilleur sauteur — voire meilleur en tout — que ses camarades. Durant la petite enfance, le fait d’être noir n’a aucune signification à ses yeux, outre le fait de lui donner des cheveux bouclés pouvant parfois être une source d’irritation du fait d’attirer les personnes blanches trop souvent tentées de les toucher. Les événements relatés dans cette section jettent les bases du développement du caractère de l’homme adulte que nous rencontrons par la suite.
Dans les chapitres 6 à 19, nous faisons la connaissance d’un homme ayant accepté les paradoxes de sa jeunesse et pris la décision de tracer sa voie dans le monde universitaire et, par la suite, dans le monde de la politique. En 1959, M. McCurdy obtient un poste de maître de conférences à l’Université Assumption de Windsor et devient ainsi le premier Canadien noir à décrocher un poste menant à la permanence dans une université canadienne. Quinze ans plus tard, il devient la première personne noire à occuper la direction d’un département universitaire au Canada.
Après avoir passé 20 années dans des salles de classe et des laboratoires de biologie (au cours desquelles il a été président de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université et fondateur de la National Black Coalition of Canada) et avoir contribué à fonder et à nommer le NPD en 1961, M. McCurdy quitte le monde universitaire pour se lancer dans la politique. Il est élu échevin du quartier 3 du conseil municipal de Windsor en 1980 et représente plus tard la circonscription de Windsor-Walkerville comme député fédéral de 1984 à 1993. Comme il le dit lui-même, il devient « le premier néo-démocrate à être élu à Windsor au palier fédéral et le premier descendant d’anciens esclaves fugitifs arrivés par le chemin de fer clandestin à siéger au Parlement canadien ».
La carrière d’homme politique de M. McCurdy est mouvementée. Il participe à de nombreux débats importants, incluant le débat qui a condamné la Chine pour la manifestation de la place Tiananmen en 1989. Les autres points forts de sa carrière incluent les moments où il serre notamment la main du pape Jean-Paul II, rencontre Nelson Mandela et prend le thé avec le dalaï-lama.
Ses récits nous laissent entrevoir le paysage politique du Canada, des années 1960 aux années 1990. À cet égard, son autobiographie est un document de référence qui constitue une critique panafricaniste et (ou) socialiste de facto des positions du Canada en matière d’affaires mondiales et de questions intérieures.
Les deux derniers chapitres décrivent les dernières années de M. McCurdy sur la scène politique et son retrait subséquent de la vie politique. Il y présente, avec une clarté auguste, ses réflexions sur les événements qui ont invariablement fait de lui une persona non grata dans certains milieux politiques et médiatiques. Bien que bon nombre des incidents qu’il relate donnent à réfléchir, ils pâlissent en comparaison des insultes personnelles et d’abus physiques qu’il a endurés pendant cette période.
Par exemple, alors qu’il parlait pendant une période des questions aux Communes, un député conservateur lui lance: « Tais-toi, Sambo ». En 2006, alors qu’il rentre chez lui à Windsor après un séjour à Détroit, il est la cible d’agents frontaliers canadiens racistes qui, au poste de contrôle du pont Ambassador, le jettent à terre, lui passent les menottes et le mettent en cellule. Il est ensuite accusé d’avoir résisté à son arrestation et fait obstruction à un agent de la paix. N’ayant aucun fondement, ces fausses accusations sont abandonnées dès que l’affaire est portée devant les tribunaux.
Mais les effets de l’agression perdurent et demeureront dans la conscience des Canadiennes et des Canadiens qui se souviennent de cet incident et de celles et ceux qui liront le livre. Le fait qu’un éminent septuagénaire ait pu être malmené de la sorte sans motif raisonnable est déchirant, et encore plus difficile à avaler compte tenu de son profil public d’homme d’État âgé. Invariablement, le récit de M. McCurdy met en évidence une triste vérité : le racisme anti-Noir au Canada n’a aucun respect ni pour l’âge ni pour le statut.
Du point de vue du style, les petites nuisances telles que l’utilisation excessive de l’expression « lookit » constituent une distraction indésirable ayant peu d’effet sur la fluidité de la lecture. On pourrait dire que ces interjections traduisent l’excitation que M. McCurdy a dû ressentir en se remémorant et en relatant les événements de sa vie. Bien que le livre soit généralement facile à lire et structuré de façon raisonnable et prévisible, l’auteur raconte parfois des événements dont la succession rapide ne nous laisse pas le temps de digérer les conclusions qu’il en tire.
Il ne fait aucun doute que le récit de vie de M. McCurdy témoigne de la résilience d’un homme qui n’a pas reculé devant le racisme et qui s’est tenu debout, grand parmi ses pairs, en défendant toujours ce qui est juste, droit et vrai. Il conclut son récit en proposant des leçons de vie instructives sur la manière de comprendre l’expérience des personnes noires dans le Canada d’aujourd’hui :
Mes enfants ont connu moins de racisme que moi, même si j’en ai connu moins que mes ancêtres. Mes petitsenfants, avec leurs amis multiculturels, en sont à peine conscients. Pourtant, je crains qu’ils ne disposent pas des armes nécessaires pour lutter contre les vestiges du racisme auxquels ils pourraient encore être confrontés. Ils doivent connaître l’histoire de notre lutte. Sans cela, ils pourraient être tentés de croire qu’il n’y a pas eu de changement ou être frustrés par ce qui n’a pas changé. C’est en ayant conscience du passé qu’ils pourront le mieux réagir au besoin de changer ce qui doit encore l’être.
L’autobiographie de M. McCurdy a sa place dans nos salles de classe, nos bibliothèques et nos étagères personnelles. Son récit enrichit nos archives collectives et notre compréhension de l’histoire de la politique canadienne. Il constitue également une ressource pour les chercheuses et chercheurs qui s’efforcent d’améliorer notre compréhension de l’expérience des personnes noires au Canada. Pour le critique littéraire, il soulève des questions sur le terme « autobiographie » et nous invite à en réexaminer la définition. Par exemple, comment devons-nous lire les récits de vie édités par des personnes distinctes de l’autobiographe?
Surtout, le livre de M. McCurdy est un incontournable pour les Canadiennes et Canadiens noirs, en particulier celles et ceux qui continuent d’exceller et de s’épanouir dans des espaces qui ont été conçus pour les exclure. Il leur rappelle qu’ils ont un précurseur dont ils peuvent être fiers : Howard Douglas McCurdy!
Titilola Aiyegbusi est doctorante au département d’anglais de l’Université de Toronto.