Back to top

Tribune Libre / L’efficacité des communications lors des récentes grèves

Tribune Libre / L’efficacité des communications lors des récentes grèves

Par Rachel Brickner, Andrew Biro et Joseph Hayes

Un nombre record de six associations membres de l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université ont fait grève au cours de l'année académique 2021-2022. L'année suivante, sept autres syndicats de personnel académique se sont mis en grève. Cette résurgence du militantisme syndical dans le secteur postsecondaire s'est produite dans un contexte de crise et de transition au sein des médias canadiens.

Au cours de l'été et de l'automne 2022, nous avons interrogé des membres des équipes de communication de cinq des six syndicats qui avaient fait grève, afin de comprendre comment ils abordaient la communication dans cet environnement médiatique changeant. Ils ont (et nous avons) tiré trois leçons majeures.

Premièrement, lorsque les grèves ont été couvertes par les médias traditionnels, les articles ont eu tendance à présenter des reportages non filtrés qui respectaient les conventions journalistiques d’une couverture « équilibrée », mais n'offraient à l’auditoire que peu de repères pour évaluer la véracité des affirmations concurrentes. Les syndicats et les administrations universitaires ont ainsi eu la même possibilité de communiquer leurs messages directement au public.

Une autre caractéristique de la couverture médiatique traditionnelle est la tendance à présenter les grèves comme des conflits sur les salaires, en minimisant d'autres questions fondamentales comme la gouvernance, l'équité et la sécurité d'emploi. Lorsque les médias traditionnels ont couvert les grèves de manière plus approfondie, c'était généralement dans des organes de presse de moindre envergure géographique ou financière.

Les grèves à l’Université de Lethbridge et à l'Université Sainte-Anne, par exemple, ont fait l'objet d'une couverture plus complète dans les journaux de leurs communautés locales que dans les grands quotidiens d'Edmonton, de Calgary ou de Halifax. On considère que le Lethbridge Herald a bien couvert la grève à l’Université de Lethbridge, tout comme le Winnipeg Free Press en ce qui concerne la grève de l’association du personnel enseignant de l’Université du Manitoba.

Deuxièmement, si la communication avec le grand public par le biais des médias traditionnels est importante, les équipes de communication reconnaissent que leur public prioritaire est constitué des membres du syndicat. L'une des personnes interrogées a évoqué la notion du public en termes de cercles concentriques :  les membres du syndicat au centre, puis le milieu étudiant et les autres membres de la communauté universitaire, et enfin le grand public en périphérie. Ce schéma a été compliqué par d'autres qui ont trouvé un public varié en dehors de l'université, y compris le gouvernement, le mouvement syndical local et d'autres syndicats de personnel enseignant à travers le pays.

Étant redevables envers différents groupes, y compris le milieu étudiant et les parents, les équipes de communication se sont efforcées de conserver un ton professionnel et de soutenir le moral et la solidarité des membres. Dire la vérité, être raisonnable et faire preuve de professionnalisme étaient importants pour obtenir le soutien des membres, du milieu étudiant et d'autres personnes moins enclines à considérer la grève comme une lutte « politique ». 

Il est intéressant de noter que plusieurs syndicats ont également signalé que pendant leurs grèves, les administrations universitaires ont cessé de communiquer avec le grand public et même avec le milieu étudiant et les autres membres de la communauté universitaire. Dans ces cas, les équipes de communication des syndicats ont pris au sérieux leur rôle d’informer le public externe des positions des parties et de l’évolution de la situation.

De nombreux syndicats ont régulièrement fait le point auprès du milieu étudiant et des parents. L'association du personnel enseignant de l’Université de Lethbridge a organisé plusieurs réunions publiques à l'intention du milieu étudiant et des parents, ce qui non seulement a généré du soutien, mais a également permis aux membres de constater l'engagement du syndicat en faveur de la transparence et d'un dialogue ouvert.

Troisièmement, la création de contenu efficace sur les médias sociaux est particulièrement importante pour atteindre la population étudiante. Il s'agissait d'adapter les messages à chaque plateforme pour qu'ils trouvent un écho auprès du public. La nature informelle des médias sociaux a obligé les syndicats à trouver un équilibre entre le maintien d'un ton professionnel et les possibilités d'irrévérence offertes par les différentes plateformes. Les mèmes Internet ont fourni un exemple de cette tension, alors qu’une partie du travail éditorialiste et des « prises » plus audacieuses était effectuée par des membres de la communauté étudiante et d'autres alliés.

L'utilisation efficace des médias sociaux est une compétence particulière qui nécessite du temps et de l'engagement pour générer un auditoire, une tâche qui doit se faire en amont de l’envoi de messages critiques. L'écosystème des médias sociaux évolue rapidement. Alors que les membres de la population étudiante auraient pu être trouvés sur Facebook en 2010 ou sur Twitter en 2015, les syndicats ont eu plus de succès à rejoindre la population étudiante sur Instagram en 2021-2022. TikTok a été reconnu comme la nouvelle plateforme où le milieu étudiant était le plus susceptible d'être rejoint, mais peu d'équipes de communication des syndicats l'utilisaient.

Là encore, il faut trouver un équilibre entre le maintien d'un ton « professionnel » et les conventions génériques des plateformes de médias sociaux qui sont conçues pour attirer les jeunes plutôt que le milieu professionnel plus âgé. Pourtant, quels que soient les défis auxquels les syndicats ont dû faire face pour communiquer via les nouveaux médias sociaux, rien ne prouve que les administrations d'université aient eu plus de succès. Il en ressort que les stratégies de communication doivent se concentrer sur le support et la forme, ainsi que sur le contenu et le ton.

Tous les enseignements tirés ci-dessus soulignent l'importance de déployer des stratégies de communication bien avant l'action syndicale. Il s'agit notamment d'informer la population étudiante et d'autres personnes sur le processus de négociation et les enjeux, d'adopter un ton favorisant une image qui soit positive pour le syndicat et qui puisse être maintenue dans le temps, et de cultiver un auditoire sur de multiples plateformes.

Dans un contexte médiatique en pleine évolution, il demeure important de faire passer le message par le biais des médias traditionnels, mais les éléments clés du message peuvent être déformés, et les principaux groupes d'intérêt ne seront pas atteints. Bien qu’il soit logique que les comités syndicaux intensifient leurs activités en période d'action syndicale, notre étude suggère que la complexité et l'importance de la communication impliquent de prioriser la mise en place d’une base de communication efficace entre les périodes de négociation.


Rachel Brickner et Andrew Biro sont professeure et professeur au département de politique de l'Université Acadia. Joseph Hayes est professeur au département de psychologie de l'Université Acadia. Tous trois ont joué un rôle important lors de la grève de l’association du personnel enseignant de l'Université Acadia en février 2022.

En relation

/sites/default/files/styles/responsive_low_constrict/public/sept-oct-2023-bulletin-graphic-864x386.png?itok=N_DVqM7K
septembre 2023

Bulletin de l'ACPPU — Septembre-Octobre 2023

Télécharger la version intégrale. Lire la suite
septembre 2023

Actualités / Le personnel académique de l'École de médecine du Nord de l'Ontario soutient unanimement la grève

Les membres de la Northern Ontario School of Medicine University Faculty and Staff Association... Lire la suite
/sites/default/files/styles/responsive_low_constrict/public/btns-header_2.jpg?itok=VQodWAAy