Par Peter McInnis
Depuis des décennies, la question de la gouvernance collégiale demeure un enjeu préoccupant pour le personnel académique. Il y a presque 60 ans, la Commission Duff-Berdahl, une enquête menée conjointement par l’ACPPU et l’organisation qui a précédé Universités Canada, insistait sur la centralité de la gouvernance mixte pour une croissance rapide des établissements d’enseignement postsecondaire.
On peut en dire autant de notre situation contemporaine au moment où nous naviguons à travers des bouleversements démographiques, de nouvelles technologies et des barrières à l’apprentissage accessible.
Pour certaines personnes, la gouvernance collégiale est un concept abstrait qui suggère des formes d’action largement coopératives entre le corps professoral et l’administration afin de répondre tant aux priorités académiques qu’aux objectifs stratégiques des universités et collèges canadiens — une bonne chose, bien qu’opaque par définition et incertaine dans sa mise en oeuvre.
Pour comprendre plus précisément la gouvernance collégiale, il faut savoir qu’elle a longtemps représenté une composante essentielle de l’avancement constructif de l’éducation postsecondaire. L’énoncé de principes de l’ACPPU sur la gouvernance en offre une définition succincte. « Le personnel académique doit jouer le rôle décisif dans la prise des décisions académiques et la définition des politiques académiques afin de permettre aux établissements postsecondaires de remplir leur mission publique de création, de préservation et de diffusion du savoir, ainsi que d’éducation des étudiantes et étudiants. Les associations de personnel académique doivent veiller à consolider les modèles de gouvernance partagée de leurs établissements, à protéger les droits du personnel académique et à renforcer sa voix au sein même de ces structures. »
Nos universités et collèges ne rempliront pas leurs obligations sociétales sans une robuste gouvernance collégiale. Les efforts entrepris pour diminuer ou contourner la participation du corps professoral aux décisions académiques affaiblissent les énoncés de mission des établissements, en plus de priver la communauté de la participation et de la contribution critiques de celles et ceux qui comprennent le mieux cet environnement de travail.
Il ne faut pas confondre collégialité et civilité, ou des définitions imposées d’un comportement acceptable ou de l’amabilité. La gouvernance, c’est la pleine participation du corps professoral aux plans stratégiques, à l’élaboration des budgets et à une véritable consultation sur les nominations, ou reconductions, aux postes administratifs de direction.
Les négociations contractuelles et quelques grèves récentes ont montré que la gouvernance collégiale est devenue hautement controversée. Le recours répandu à des sociétés commerciales de recrutement pour les nominations aux postes administratifs de direction a exacerbé les préoccupations en matière de reddition de comptes et de transparence.
Le Rapport de l’ACPPU sur les structures des conseils d’administration de trente et une universités canadiennes a révélé de larges variations dans la composition des conseils et une tendance pernicieuse à rendre les mécanismes de gouvernance moins ouverts au corps professoral, au personnel et au corps étudiant.
Les personnes représentant les conseils des professeures et professeurs ont fait l’objet d’accusations fallacieuses de « conflit d’intérêt » tout simplement pour avoir participé à des réunions de routine; d’autres ont été exclus des délibérations par une invocation générale de processus secrets à huis clos; d’autres encore ont dû signer des ententes de non-divulgation et promettre de ne pas respecter leurs obligations fiduciaires d’informer leurs collègues des délibérations des réunions. Et pour ajouter l’insulte à l’injure, les administrations de direction ont utilisé les médias sociaux pour menacer de mesures disciplinaires les professeures et professeurs qui « violaient » cette exigence de silence.
Nos universités, collèges et instituts sont des établissements publics qui existent pour servir l’intérêt de la collectivité. Ils ne sont pas, et ne devraient jamais être, mis au pas par des processus d’exclusion et trop hiérarchiques qui cherchent à garder un public plus large loin de la prise d’importantes décisions. Les principes de la gouvernance collégiale ne doivent pas être détournés par un petit nombre au détriment des plus nombreux.
L'utilisation du mot « intervenants » pour laisser entendre un ensemble large et souvent non différencié de participantes et participants donne l’apparence d’un processus inclusif ou transparent, alors que, en pratique, il cache des procédures non démocratiques. Il devient synonyme d’« actionnaires » et sous-entend une présentation restrictive ou mal utilisée de l’éducation postsecondaire comme une entreprise largement commerciale.
La gouvernance collégiale n’empiète pas sur les droits de la direction. Elle est plutôt l’affirmation d’une pratique passée acceptée avec sagesse en éducation postsecondaire.
Pour citer un extrait de la prochaine trousse d’outils de l’ACPPU sur la gouvernance : « Comme membres au coeur de la communauté d’enseignement d’un établissement, le personnel académique a un rôle clé à jouer, non seulement par son travail académique immédiat (son enseignement et son travail de recherche), mais aussi à titre collégial. Tout en faisant partie de la communauté universitaire de son établissement, chaque membre du personnel académique est employé par cet établissement. La tension inhérente à la double nature du rôle du personnel académique exige un environnement de travail — incluant, mais sans s’y limiter, les conditions d’emploi officielles — qui protège et favorise la dimension collégiale du rôle. »