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Le mot du président / La précarité croissante des postes menant à la permanence au Canada

Le mot du président / La précarité croissante des postes menant à la permanence au Canada

Par Peter McInnis

Permanence. Pour un élément qui se trouve au cœur des aspirations du personnel enseignant à la recherche d’un poste permanent dans les milieux universitaire et collégial, peu de gens comprennent pleinement le concept plus large ainsi que la façon dont les établissements d’enseignement postsecondaire au Canada se comparent avec d’autres à l’échelle internationale. Le lien entre la permanence de l’emploi et la liberté académique est également minimisé, alors que ces deux concepts constituent le fondement même du « poste académique » holistique tel que nous le comprenons — qui englobe la diversité de l’enseignement et de la recherche ainsi que de solides libertés académiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des établissements d’enseignement.

Trop souvent, le concept de permanence est simplement réduit à une garantie de protection de l’emploi. Cette simplification excessive engendre des critiques voulant que ce type d’engagement continu empêche la mise en œuvre de mesures de rendement contestées ou d’autres initiatives liées à l’administration. Certains croient que le concept de permanence devrait être annulé ou, à tout le moins, que les personnes ayant un emploi permanent devraient être soumises régulièrement à une évaluation. Cette façon de voir occulte la valeur fondamentale de la permanence de l’emploi qui est d’assurer la permanence du milieu de travail et de fournir au corps professoral la stabilité nécessaire à l’exécution de ses principales tâches professionnelles : l’avancement et la transmission des connaissances.

Les établissements d’enseignement postsecondaire au Canada se comparent assez favorablement en ce qui a trait à l’emploi avec ceux à l’échelle internationale, où l’option de la permanence n’est pas offerte ou restreinte en comparaison. Au Royaume-Uni, la permanence de l’emploi a tout simplement été abolie en 1988 et remplacée par des contrats à durée déterminée, assortis de demandes incessantes d’évaluation du rendement formulées en fonction des systèmes Research and Teaching Excellence Frameworks. On retrouve des cadres d’emploi similaires avec contrat à durée limitée dans de nombreux pays, notamment en Suède, en Finlande, en Italie, au Danemark, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Le manque de stabilité en matière d’emploi est fréquemment reconnu comme l’un des principaux facteurs de stress en milieu de travail et de diminution de la satisfaction par rapport à la carrière.

Il n’est pas surprenant de constater que récemment, des vulnérabilités en matière de permanence de l’emploi et de liberté académique se sont retrouvées mêlées à des luttes culturelles plus larges aux États-Unis. Le déclin précipité du nombre de postes permanents a commencé dans les années 1970 et en 2022, des données étonnantes de l’American Association of University Teachers indiquent que 80 % des enseignantes et enseignants du premier cycle sont en situation d’emploi précaire. Il y a pire. À peine plus de 10 % des nouveaux postes seront « admissibles à la permanence », selon ce modèle de livraison juste à temps en vertu duquel les professeures et les professeurs deviennent tout simplement des livreurs de produits éducatifs. Après DoorDash ou SkipTheDishes, voilà AuRevoirLaPermanence?

Personne ne devrait être surpris d’apprendre que dans cet environnement de travail instable qui contribue à la restriction radicale ou à l’élimination de la liberté académique, ce phénomène s’est considérablement accru dans certains États comme la Géorgie, l’Iowa, la Caroline du Sud et le Wisconsin. Les membres du personnel enseignant qui doivent traiter de sujets touchant d’importantes théories concernant la race, l’identité de genre, la sexualité et l’environnement sont maintenant particulièrement vulnérables aux variations des courants politiques. Le dilemme pour les membres du corps professoral est le suivant : comment se prévaloir de leur liberté académique, à l’intérieur ou à l’extérieur des établissements d’enseignement, lorsque leur emploi est à la merci des sentiments de puissants opposants? L’utilisation répandue des médias sociaux a exacerbé cette situation et maintenant, un seul petit message publié sur Twitter a le pouvoir de mener à la persécution collective et à des demandes de renvoi.

Bien qu’étant moins grave qu’aux États-Unis, la situation au Canada demeure inquiétante. Les données de Statistique Canada concernant les personnes classées comme étant des travailleuses ou travailleurs académiques permanents indiquent que les postes permanents sont passés de 17,1 % en 1991 à 39,9 % en 2021. Pourtant, la tendance contre la permanence des postes est évidente.

En 2018, deux rapports produits par l’ACPPU et le Centre canadien de politiques alternatives révélaient que 54 % des postes académiques étaient d’une durée limitée. Parmi ceux-ci, la plupart étaient assortis d’ententes de quatre à huit mois, ou moins. Bien que tenant compte du sous-financement chronique de l’enseignement postsecondaire, de la variation des données démographiques concernant les étudiants ainsi que des demandes en matière de discipline d’enseignement, ces deux études observent que la précarité ne peut être perçue comme une aberration temporaire, mais plutôt comme une réalité structurelle bien établie et un choix administratif conscient d’opter pour l’insécurité en milieu de travail.

La réduction des postes permanents révèle des faiblesses dans le modèle académique de participation collégiale à l’analyse dans le cadre de bourses assorties d’un examen par les pairs. Celles et ceux qui souhaitent évaluer des demandes pour des organismes de financement, se joindre à des comités de rédaction, examiner des propositions pour des revues, jouer le rôle d’évaluateurs dans le cadre d’examens à l’extérieur d’un département ou encore se joindre à des comités chargés du classement de la permanence des postes sont moins nombreux depuis quelques années. Il revient généralement aux membres permanents du corps professoral d'offrir des services essentiels de cette nature, et leur nombre est en diminution.

Est-ce à dire que la permanence académique est destinée à disparaître progressivement, tout comme la couverture de glace dans l’Arctique fondant dans l’océan qui se réchauffe? La complaisance est l’ennemie de l’action collective. Ceux qui occupent un poste permanent ou destiné à le devenir doivent être conscients des iniquités inhérentes à la situation des membres du personnel académique contractuel, de plus en plus nombreux. Cela consiste non seulement à s’assurer que le personnel académique contractuel fait l’objet d’un traitement équitable, mais également à lutter pour la mise en place d’un processus clair de conversion des postes contractuels en des postes permanents. La titularisation ainsi que des conventions collectives inclusives offrent une avenue de protection juridique. Des dispositions concernant l’effectif professoral peuvent être négociées de concert avec les protections connexes pour les professeures et professeurs qui occupent un poste ne menant pas à la permanence. Il est dans l’intérêt de tous de résister à l’insidieuse tendance dans le milieu de l’enseignement postsecondaire.

Les universités et les collèges publics du Canada contribuent au bien commun de manière irremplaçable et jouent un rôle vital auprès des étudiants pour en faire des citoyens indépendants dotés d’un bon esprit critique. Notre foi en une démocratie forte et en santé s’appuie d’une manière importante sur les compétences et la confiance que nous attribuons aux étudiants. Plus que jamais, notre société a besoin des contributions intellectuelles constructives qu’engendrent la permanence de l’emploi et la liberté académique.

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