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Derrière des portes closes : Regard sur le scandale à la Laurentienne

Derrière des portes closes : Regard sur le scandale à la Laurentienne

Au cours des mois qui ont précédé la décision de l’Université Laurentienne, prise en 2021, de demander d’être protégée contre ses créanciers, les administrateurs supérieurs ont discrètement sollicité des conseils juridiques et financiers externes sur la façon de s’orienter dans une procédure judiciaire en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) — une loi conçue principalement pour les sociétés privées et non pour les établissements financés par l’État.Cette décision controversée a été prise après des annéesde déficits croissants causés par l’augmentation des coûts administratifs.

Toutefois, selon un rapport provisoire de la vérificatrice générale de l’Ontario, Bonnie Lysyk, la décision sans précédent de demander de se mettre à l’abri de ses créanciers était non seulement inutile mais elle reflétait une faible surveillance de la part du conseil d’administration de l’université. « Dans le cadre des efforts déployés pour aller de l’avant, écrit-elle, les Ontariens veulent et méritent des réponses à certaines questions difficiles. Parmi celles-ci : Comment une université ontarienne financée en bonne partie par les contribuables et redevable au public s’est-elle retrouvée dans une situation financière catastrophique? Son recours à la LACC était-il une solution appropriée? »

La convention collective conclue avec l’Association des professeures et professeurs de l’Université Laurentienne (APPUL) renfermait une clause de « nécessité financière » qui devait être invoquée spécifiquement dans une telle situation. Les administrateurs de la Laurentienne ont plutôt eu recours à la procédure sous le régime de la LACC, ce qui a entraîné l’annulation de plus d’un tiers des programmes de l’établissement de Sudbury, la suspension des conventions collectives et le licenciement de près de 200 membres du corps enseignant et du personnel, tandis que les avocats et les comptables engagés par la Laurentienne ont été payés 24 millions de dollars.

Dans le cadre d’un processus supervisé par un tribunal et un séquestre, les créanciers de la Laurentienne, y compris ses deux syndicats, votent ce mois-ci sur une proposition de plan d’arrangement.

« Ce que le rapport préliminaire de la vérificatrice générale a mis en évidence, et ce qui est apparu de plus en plus clairement, c’est à quel point il ne s’agissait pas d’une crise soudaine, mais [plutôt] du résultat en quelque sorte d’un échec prolongé de la gouvernance, observe l’anthropologue Robin Whitaker de l’Université Memorial, vice-présidente de l’ACPPU et présidente du groupe de travail sur la gouvernance. L’ACPPU a un rôle très important à jouer en veillant à ce que les autres associations et syndicats de personnel académique s’efforcent de protéger nos propres établissements contre ce genre de situation. »

Les conditions à la Laurentienne étaient peut-être uniques, ou du moins très anormales. Cependant, selon Mme Whitaker, les associations de personnel académique ont de bonnes raisons de se demander sérieusement si les pratiques traditionnelles de gouvernance collégiale — la division du processus décisionnel académique et de la gouvernance administrative — sont suffisamment solides pour résister aux pressions extérieures. Celles-ci comprennent entre autres les coupes dans le financement provincial, le financement fondé sur le rendement, la dépendance croissante à l’égard des frais de scolarité élevés exigés des étudiants étrangers et la tendance vers un gestionnariat axé davantage sur le secteur privé. « Le modèle de corporatisation des établissements postsecondaires va à l’encontre de la notion de gouvernance collégiale, fait valoir Mme Whitaker. Le système fonctionne-t-il comme il est censé fonctionner? »

Les associations de personnel académique affirment que le processus de renforcement du système de gouvernance collégiale implique une série de correctifs, allant de réformes des politiques et de la législation à des modifications du libellé des conventions collectives qui garantiront une plus grande responsabilité et transparence.

Réforme de la LACC

« Depuis le début, nous avons toujours pensé que les procédures de la LACC étaient totalement inappropriées pour un établissement postsecondaire sans but lucratif, déclare le président de l’APPUL Fabrice Colin. La [disposition] de nécessité financière qui existait dans la convention collective aurait dû être invoquée à ce moment-là. »

Selon une analyse juridique de Virginia Torrie, professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université du Manitoba, le recours de la Laurentienne à la LACC est certes sans précédent. D’autres grandes entités publiques, telles que des hôpitaux, des municipalités et des commissions scolaires, n’ont jamais eu recours à cet outil lors de crises financières. Elle ajoute que la loi, telle qu'elle a été conçue à l’origine, n’était pas non plus destinée à être utilisée de cette façon. « Elle était censée être très étroite, dit-elle. Il s’agit d’une loi sur l’insolvabilité commerciale. Il n’y a pas vraiment de précédent pour appliquer cette [loi] de manière sensée à une université publique. »

Virginia Torrie, co-auteure d’un rapport juridique commandé par l’ACPPU, soutient que le gouvernement fédéral doit s’empresser de modifier la LACC afin d’empêcher que ne l’utilisent d’autres institutions publiques qui font face à des crises financières.

D’autres parties en conviennent : « La LACC doit être modifiée de sorte à exclure les établissements du secteur public de la liste des organismes autorisés à déposer le bilan, ou du moins les universités et autres établissements postsecondaires, fait valoir Robert Kristofferson, président de la Wilfrid Laurier University Faculty Association (WLUFA). Cette situation n’aurait jamais dû se produire. »

Clauses de nécessité financière dans les conventions collectives

La plupart des conventions conclues par les associations de personnel académique comportent des dispositions qui s’appliquent lorsque les établissements sont confrontés à des crises financières. Mais à la suite de l’insolvabilité de la Laurentienne, il apparaît de plus en plus évident que le libellé des conventions collectives ne suffit peut-être pas à empêcher les administrations de prendre des raccourcis. Le rapport établi pour l’ACPPU énonce 32 recommandations pour un nouveau modèle de clauses de nécessité financière qui détaille la façon dont ces clauses sont invoquées, ainsi que les responsabilités en matière de rapports et la création de comités de nécessité financière.

Selon Tom Fenske, président du Syndicat des employé(e)s de l’Université Laurentienne, les dispositions relatives à la nécessité financière doivent s’accompagner de mesures visant à garantir que les organisations d’employés ont libre accès aux finances et aux organes décisionnels de l’université. Il est d’avis que les représentants syndicaux devraient avoir un droit de vote au sein de tous les comités qui supervisent les opérations et les finances de l’établissement, ainsi que l’embauche de consultants. « Cela va représenter beaucoup de travail pour beaucoup de gens, reconnaît-il.Mais c’est la transparence dont nous avons besoin. »

Évaluation indépendante des états financiers

Au cours des années qui ont précédé l’insolvabilité, souligne M. Fenske, les administrateurs supérieurs de la Laurentienne, son comité des finances, son conseil d’administration et même son vérificateur externe ont assuré aux syndicats de l’université que le budget était équilibré, alors qu’en fait, il était loin de l’être. « À moins que les syndicats et l’association ne fassent l’objet de vérifications judiciaires chaque année, pourquoi s’attendre à ce qu'il en soit autrement? Alors qui doit répondre de cette erreur?»

À l’Université Wilfrid-Laurier (WLU), relate M. Kristofferson, l’association du personnel a intensifié une pratique antérieure consistant à procéder à sa propre évaluation des états financiers de l'université. Jusqu’à l’année dernière, un professeur de comptabilité de la WLU, qui se trouvait être le président de la WLUFA, effectuait un examen de la situation financière de son université. Cette année, cet examen a été considérablement élargi et est désormais effectué par un comité composé de trois comptables professionnels agréés, d’un professeur de finances et d’un professeur d’économie.

Il ajoute que quelques autres associations de personnel académique ont commencé à publier leurs propres analyses des états financiers de leur établissement.

« Je pense que les associations de personnel académique bénéficieraient vraiment de la présence d’un comité des finances universitaires qui évalue la santé financière de l’établissement sur une base annuelle, parce qu’il existe inévitablement un écart entre les affirmations que les universités dans tout le Canada font sur leur santé financière, et ce que leurs états financiers semblent montrer. »

Ségrégation des fonds

La Laurentienne a pendant un certain temps dissimulé partiellement le véritable état de ses finances au moyen de sa pratique consistant à verser les subventions des organismes de recherche, comme le Conseil de recherches en sciences humaines, dans les recettes générales. La révélation que l’université s’était « appropriée ces fonds [a] été assez choquante », déclare Min Sook Lee, présidente de l’Association des professeurs de l’OCADU.

Elle souligne que la Laurentienne mettait fortement l’accent sur la recherche et l’érudition autochtones, et qu’elle utilisait en fait cette orientation académique pour promouvoir son approche de la décolonisation. « Les fonds destinés à soutenir la recherche et les programmes d’études autochtones ont été appropriés, dit-elle. Comment mettre des mots là-dessus? C’est comme une nouvelle recolonisation de la propriété intellectuelle autochtone. »

De manière plus générale, Min Sook Lee et d’autres affirment qu’un élément clé de la gouvernance collégiale dans le monde postérieur à la situation de crise à l’Université Laurentienne doit comprendre des contrôles financiers qui délimitent ce type de financement afin de s’assurer que les chercheurs qui ont demandé de telles subventions en bénéficient.

Du huis clos au grand jour — la gouvernance collégiale

Le principal enseignement tiré de la crise de la Laurentienne est sans doute l’importance de favoriser des relations de collaboration transparentes entre les administrateurs, les conseils d’administration et les groupes d’employés.

Les administrateurs et les conseils d’administration doivent être prêts à faire de cette approche de la gouvernance une pratique courante, ajoute Fabrice Colin, de la Laurentienne. « Ce que nous avons appris de la crise, c’est que les décisions concernant l’avenir des établissements ne doivent pas être prises derrière des portes closes. »

Pour Robin Whitaker, la question se résume aux principes fondamentaux. « La raison première des universités publiques est la mission académique. C’est pourquoi la collégialité est si importante, car sans la participation des personnes les plus intéressées et les mieux informées sur ce qu’implique cette mission, nous ne parviendrons pas à réaliser ce pour quoi nous sommes là. »

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