Par Edward Swidriski
Au cours de la dernière année, plusieurs projets de loi visant à interdire l’enseignement de concepts liés à la justice raciale et à l’histoire du racisme aux États-Unis ont été présentés dans au moins 23 États, et au moins 20 États (dont certains sont les mêmes) ont vu le dépôt de propositions cherchant à restreindre l’enseignement d’idées liées à la justice et à l’égalité de genre. La plupart de ces projets de loi visent les classes de la maternelle à la 12e année des écoles publiques, mais bon nombre étendraient ces restrictions aux universités et collèges publics. Des projets de loi interdisant l’utilisation de concepts « conflictuels » dans le cadre des programmes de formation et de l’enseignement primaire et secondaire ont été promulgués dans certains de ces États, et des propositions prohibant l’utilisation de tels concepts dans l’enseignement supérieur progressent ailleurs. À l’échelle nationale, des membres républicains du Congrès ont parrainé des lois similaires, dont un projet de loi qui interdirait le financement fédéral de toute entité qui enseigne ou promeut certaines idées sur l’influence de la race et du racisme dans l’histoire et la société américaines.
Cette vague de projets de loi soulève un certain nombre de questions juridiques impérieuses concernant la liberté académique et le premier amendement. Deux des arrêts de principe de la Cour suprême en matière de liberté académique, Sweezy v. New Hampshire (1957) et Keyishian v. Board of Regents (1967), condamnaient les efforts de l’État pour « imposer un carcan » à l’égard de l’enseignement et « jeter un voile d’orthodoxie sur la salle de classe ». En cherchant à promouvoir un régime de censure gouvernementale des idées controversées, au point d’imposer dans certains cas la manière dont les événements historiques devraient être traités en classe, ces projets de loi vont clairement à l’encontre de ces principes. l'American Association of University Professors (AAUP) a récemment soulevé ces points et d’autres questions connexes dans un mémoire de parties intéressées déposé auprès du bureau du procureur général du Texas pour s’opposer aux efforts d’un représentant de l’État demandant que le bureau du procureur déclare que l’enseignement de concepts liés à la race, dont la théorie critique de la race, enfreint la Constitution des États-Unis et d’autres lois. Comme le soutient l’AAUP dans son mémoire, « une interdiction décrétée par le gouvernement relative aux échanges d’idées en classe et à l’analyse du contexte historique et des problèmes actuels de la race et du racisme aux États-Unis porterait atteinte à la liberté académique et ébranlerait le système d’enseignement supérieur ».
Un libellé vague et imprécis se rattache à l’ensemble de ces projets de loi. Par exemple, une loi du Texas empêche les enseignants de discuter du « concept » selon lequel « l’esclavage et le racisme ne sont rien d’autre qu’une incapacité à respecter les principes fondateurs authentiques des États-Unis ». Compte tenu de cette formulation, il serait légitime de se demander si les professeurs d’histoire peuvent discuter sérieusement des clauses esclavagistes de la Constitution avec leurs élèves ou leur demander de lire le célèbre discours de William Lloyd Garrison de 1854 dans lequel il qualifiait la Constitution des États-Unis de « pacte avec la mort » en raison de son cautionnement de l’esclavage. Une loi de l’Oklahoma empêche de façon équivoque les enseignants de discuter avec leurs élèves d’une longue liste de concepts liés à la race tout en déclarant que la loi n’interdit pas l’enseignement de concepts « conformes aux normes académiques de l’Oklahoma », un interminable ensemble de lignes directrices qui, dans le cas du programme d’études sociales, encourage en fait les enseignants à examiner les enjeux courants, dont les relations raciales. Ce manque de clarté menace de refroidir la liberté académique en dissuadant les éducateurs de s’engager dans un discours protégé par le premier amendement et suppose donc des interdictions constitutionnelles sur la base de lois vagues et trop larges.
Il existe peu de précédents historiques récents où des lois restreignant l’enseignement d’idées précises ont gagné du terrain aussi rapidement. Plus particulièrement, plusieurs États ont adopté, dans les années 1920, des lois anti-évolution en réponse à une recrudescence du fondamentalisme religieux. La plus connue de ces lois, la « loi du singe » du Tennessee, a été adoptée en 1925 et a donné lieu au tristement célèbre procès du professeur d’école secondaire John Scopes. L’arrêt rendu par la Cour suprême plusieurs décennies plus tard, dans l’affaire Epperson v. Arkansas (1968), a mis un terme à ces lois fondées sur la clause d’établissement du premier amendement.
Bien qu’il reste encore beaucoup à voir, l’ampleur et l’envergure mêmes de cette recrudescence législative suggèrent que les tribunaux ne prendront pas autant de temps pour résoudre les nombreuses questions soulevées par ces nouvelles lois. Espérons que cette résolution préservera les valeurs fondamentales de la liberté académique et de la liberté d’expression.
Edward Swidriski est conseiller juridique adjoint à l'American Association of University Professors. Cet article a été traduit et publié avec l'autorisation d'Academe. © American Association of University Professors, 2021