Plus tôt cet automne, une équipe de recherche de l’Université McMaster publiait les conclusions d’un vaste sondage qui visait à prendre le pouls des milieux de travail des universités et collèges presque une année et demie après le début de la pandémie de COVID-19. L’un des résultats principaux n’étonnera aucun membre du personnel académique : beaucoup des 475 répondants ont déclaré que les restrictions de distanciation relatives à la COVID-19 avaient affaibli la productivité, avec les laboratoires qui ont fermé, les activités de recherche sur le terrain qui ont cessé et les parents de jeunes enfants, en particulier les femmes, qui ont tenté tant bien que mal de conjuguer responsabilités familiales et professionnelles.
Mais deux autres conclusions donnaient une vision plus sombre et nuancée des effets de la pandémie. Plus de la moitié des personnes interrogées ont dit penser plus, ou beaucoup plus à la mort qu’avant que l’Organisation mondiale de la santé ne déclare l’état d’urgence dans le monde en mars 2020. Et la très grande majorité trouvaient que la pandémie avait eu des effets décidément inégaux. « Parmi les répondants, 91 % convenaient que certains groupes, dont les chercheurs en début de carrière (82 %), les parents (99 %), les femmes (72 %), les personnes 2SLGBTQ+ (19 %), les personnes en situation de handicap physique ou mental (63 %) et les populations PANDC (35 %) subissaient les conséquences de la crise de manière disproportionnée. »
Pour la chercheure principale de l’étude, Marisa Young, professeure agrégée de sociologie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en santé mentale et en transitions entre la vie professionnelle et la vie privée, ces statistiques « attirent vraiment l’attention sur la santé mentale des universitaires. Si, en tant que main-d’œuvre, nous ne sommes pas en santé, nous ne serons pas aussi productifs que notre université ou notre collège le souhaiterait. »
La pandémie a déclenché, ou du moins amplifié, une prise de conscience sociétale profonde en ce qui a trait à la santé mentale. Profitant de l’acceptation répandue de la télésanté, les gouvernements ont accru l’accès aux services d’aide psychologique. Certains employeurs revoient les avantages sociaux qu’ils offrent. Et les tensions presque universelles entraînées par la crise ont eu comme effet de dissiper en partie la honte associée aux troubles comme la dépression, l’anxiété et le stress.
Malgré tout, avec les Canadiens qui sont aux prises avec le nouveau variant Omicron et la pandémie qui entre dans sa troisième année, les associations de personnel académique exigent des réponses plus claires à leurs questions sur la façon dont les universités et les collèges ajusteront leurs propres pratiques en réponse aux résultats comme ceux de l’étude de McMaster, ainsi que ceux de recherches similaires menées dans d’autres universités.
En se basant sur des sondages menés auprès de membres du personnel académique en juin 2020 et 2021, Jennifer Davis, professeure adjointe de gestion à l’Institut pour la vie en santé et la prévention des maladies chroniques (Institute for Health Living and Chronic Disease Prevention) de l’Université de la Colombie-Britannique, affirme que les personnes soignantes, les personnes racisées, les femmes et les chercheurs en attente de permanence vivent un niveau plus élevé de stress et de problèmes de santé mentale. Ses sondages ont révélé une consommation accrue d’alcool et de cannabis et seulement 56 % des répondants disaient se sentir socialement appuyés par leur établissement.
Des projets de recherche retardés et la diminution du nombre de publications ont exacerbé le stress professionnel. « L’une des leçons à tirer de ces nouveaux faits pourrait de repenser le processus de promotion et de permanence qui s’applique aux chercheurs en début de carrière », remarque-t-elle.
Mais Mme Davis ajoute que de nombreux chercheurs qui en sont au début du processus se disent aussi insatisfaits de la réponse institutionnelle, c’est-à-dire la prolongation d’un an des périodes probatoires pour les professeurs en attente de permanence. « La pré-permanence est une période inconfortable, commente-t-elle. [Ils] ne veulent pas nécessairement ajouter une année; ils préféreraient avoir la possibilité de repenser le cadre d’évaluation. »
Peu après le début de la pandémie, les associations de personnel académique ont négocié des lettres d’entente (LE) avec les universités et les collèges pour mettre en évidence une série de problèmes relatifs au travail comme la garde d’enfants, l’enseignement en ligne, les droits de propriété intellectuelle et les mesures d’accommodement. Quelques revendications, bien que peu nombreuses, avaient trait aux soutiens offerts en santé mentale.
L’association des professeures et professeurs de l’Université de Waterloo (Faculty Association of the University of Waterloo ou FAUW) a ajouté des conseils en santé mentale et des liens sur son propre site web, incluant des rappels destinés à ses membres sur leurs droits s’ils se retrouvent aux prises avec des troubles débilitants. Comme le souligne la page sur les soutiens en santé mentale de la FAUW, « n’oubliez pas que vous avez des recours si votre situation a des effets sur votre capacité à travailler, dont la thérapie, les mesures d’accommodement et les congés ».
À mesure que le confinement durait et que les conséquences psychologiques augmentaient, les associations de personnel académique pouvaient mieux comprendre les implications pour la santé mentale, non seulement sur la productivité, mais aussi sur la capacité à rapidement passer à l’enseignement en ligne et au travail de la maison. Ce passage impliquait la création d’un contenu en ligne, l’apprentissage de plateformes d’enseignement virtuel et, dernièrement, l’accroissement du temps d’enseignement, certaines universités ayant adopté des modèles hybrides qui permettent aux étudiants de choisir entre le mode en personne et le mode à distance. « L’équilibre travail-famille a été complètement chamboulé », selon Susan Spronk, directrice de l’École de développement international et mondialisation à l’Université d’Ottawa et coprésidente du comité d’équité de l’ACPPU. « Les implications pour l’équité nous préoccupent particulièrement. »
Mme Spronk affirme que des sondages menés en 2020 par l’Association des professeures et professeurs de l’Université d’Ottawa (APUO) révèlent que les niveaux de stress ont augmenté entre mai et novembre. « Cette tendance est inquiétante et nous continuons à négocier des lettres d’entente pour faire face à cette situation. »
De nombreux établissements ont eu tendance à axer leurs ressources en santé mentale sur les étudiants. L’Université de l’Alberta, par exemple, a offert un accès élargi à un éventail de services de thérapie et de bien-être. Mais, comme le souligne Mme Spronk, de telles mesures traitent les symptômes plutôt que les causes systémiques.
« Bien qu’elles soient utiles, comme le soulignait l’APUO l’hiver dernier, ces ressources tendent à considérer les problèmes de santé mentale sur le campus comme des questions purement individuelles et à négliger leurs éléments structurels et systémiques, comme la pression associée aux droits de scolarité qui grimpent, le fait que le [Service d’appui au succès scolaire] soit débordé, l’insuffisance des ratios étudiants-professeurs ou la charge de travail croissante des professeurs, bibliothécaires et membres du personnel de soutien. La santé mentale ne peut pas être isolée de son contexte. »
Les universités et les collèges n’ont pas non plus tenu compte du fait que de nombreux membres du personnel académique ont dû offrir un soutien à leurs étudiants en détresse émotionnelle – une situation qui, en elle-même, a imposé un stress additionnel à des professeurs déjà surchargés de travail.
L’Université McMaster, remarque Mme Young, a créé des centres de bien-être pour les étudiants aux prises avec des attaques de panique ou des dépressions. Mais, selon elle, les conseillers ne comprennent pas nécessairement les pressions universitaires particulières qu’ils vivent. « Ces étudiants vont plutôt parler à leurs professeurs d’une échéance et, très vite, ils leur confient leurs problèmes et le fait que quelqu’un qu’ils connaissent est mort de la COVID. »
Selon Mme Young, c’est au personnel académique qu’incombe, dans les faits, le fardeau additionnel du soutien aux étudiants en détresse. Même si beaucoup avaient espéré qu’un retour complet ou partiel aux classes en personne cet automne améliorerait certains des symptômes de l’isolement social, les effets psychologiques néfastes de la pandémie ont persisté. « D’après mes observations anecdotiques, les choses s’empirent. »
Les services de thérapie virtuels, ajoute-t-elle, ne doivent pas être considérés comme une panacée et certainement pas comme un substitut aux groupes de soutien par les pairs plus informels. « Beaucoup des solutions en ligne qui sont offertes, et même beaucoup des conseils qui sont donnés, ne sont pas, à mon avis, très utiles, parce qu’ils n’incluent pas d’autres personnes qui vivent des situations semblables. »
Compte tenu de tout ce qui s’est passé au cours des 21 derniers mois, il semble probable que la santé mentale deviendra un enjeu primordial dans les négociations au cours des prochaines années. Pendant la grève qui a eu lieu à l’Université du Manitoba à l’automne, les professeurs en soins infirmiers ont mentionné des facteurs de stress au travail, comme les pénuries de personnel en soins infirmiers, la violence interpersonnelle croissante et la détresse morale vécue en première ligne, en tant qu’éléments qui contribuent à l’incidence accrue des problèmes de santé mentale dans la profession.
L’association des professeures et professeurs de l’Université du Manitoba (University of Manitoba Faculty Association ou UMFA) avait souligné l’importance de la santé mentale dans ses communications aux membres avant la grève. « Au cours des 21 derniers mois, selon la présidente de l’UMFA Orvie Dingwall, l’enjeu dont les membres ont le plus souvent parlé relativement à la santé, c’est l’impact de la pandémie de COVID-19 » qui a exigé un enseignement à distance et a mené à une augmentation de la charge de travail et des pressions en matière de garde à l’enfance. Pendant la grève, l’UMFA a proposé aux membres de faire du piquetage virtuel et offert des conseils sur la pleine conscience. Mme Dingwall précise que certaines clauses de la nouvelle convention collective visent à atténuer une partie des stresseurs et de l’anxiété qui alimentaient les pressions en santé mentale subies par les membres.
À l’Université de Lethbridge, où le personnel académique est sans convention collective depuis juin 2020, l’association des professeures et professeurs avertit que les mises à pied et les reculs salariaux continus ont eu des effets négatifs sur la santé mentale des membres.
Susan Spronk, de l’APUO, souligne que les enjeux de négociation pour son association incluent de meilleurs services en santé mentale. Elle remarque qu’à l’Université Carleton, les séances de thérapie sont entièrement payées, tandis qu’à l’Université d’Ottawa, elles ne le sont qu’à 50 %. « Nous devons négocier des services psychologiques payés à 100 % », affirme-t-elle.
En effet, l’une des principales solutions aux problèmes mentaux entraînés par la pandémie avait été identifiée avant la crise et elle est encore plus pertinente aujourd’hui, ajoute Mme Spronk. « Nous devons constamment faire pression pour que soit abordé l’enjeu de la charge de travail. Nous ne pouvons pas isoler la santé mentale de ce contexte. »