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Le mot de la présidente / Une « vision à deux yeux » de la décolonisation

Le mot de la présidente / Une « vision à deux yeux » de la décolonisation

par Brenda Austin-Smith

La première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, qui a eu lieu en septembre dernier, rappelle les efforts continus déployés dans cette nation de nations en vue d’autochtoniser l’enseignement postsecondaire. S’inspirant des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, et plus particulièrement des recommandations 62 et 63, de nombreux établissements postsecondaires ont entrepris d’examiner leurs programmes d’études, systèmes de gouvernance et méthodes d’enseignement dans le but d’assurer à la fois la décolonisation et l’autochtonisation de la nature et du fonctionnement de l’éducation postsecondaire. 

Mais qu’entend-on réellement par « autochtonisation du milieu académique »? Que signifie l’expression et comment y parvenons-nous, en tant que personnes visées par les traités?  Les conversations amorcées sur la façon dont les collèges et universités pourraient et devraient donner suite aux appels à l’action de la Commission offrent de nombreuses réponses. Premièrement, il importe de reconnaître le passé colonisateur de l’éducation elle-même. Comme l’indiquait en 2016 dans le Bulletin de l’ACPPU le président de la Chanie Wenjack School for Indigenous Studies de l’Université Trent, David Newhouse, l’éducation postsecondaire a souvent servi d’instrument d’assimilation. Les universités et les collèges ont poursuivi le travail débuté dans les pensionnats en vue d’éliminer le savoir, les langues et les traditions autochtones au nom de l’enseignement et de l’apprentissage. 

Le rejet de cet héritage par l’autochtonisation peut prendre plusieurs formes. Avant tout, cependant, il doit passer par le recrutement de penseurs, d’employés de soutien et d’étudiants issus des Premières Nations et des communautés inuites et métisses. La politique de l’ACPPU, par exemple, réclame l’expansion permanente de la taille de l’effectif académique autochtone des établissements postsecondaires par l’entremise de processus d’embauche menés par des pairs. Les enseignants autochtones nommés par établissements doivent ensuite obtenir la formation et les soutiens professionnels requis pour assurer leur maintien en poste et leur avancement, et faire en sorte qu’ils puissent préserver leurs liens avec leurs collectivités, leurs terres et leurs eaux. 

Au cœur du soutien continu accordé au personnel académique autochtone doivent aussi figurer la reconnaissance des organes de publication et services communautaires appropriés sur le plan culturel et l’inclusion de la transmission du savoir et des langues autochtones aux facteurs de titularisation et d’octroi de promotions. Pour assurer l’apport des changements nécessaires à ce chapitre, les associations de personnel académique pourraient devoir faire pression pour que soient modifiés les articles pertinents des conventions collectives touchant les pratiques et politiques équitables.  

L’autochtonisation signifie aussi de créer des espaces au sein des établissements où organiser des fêtes et des pow-wow, et de prendre des dispositions pour assurer le soutien des étudiants. Ce soutien inclut l’accès à des aînés et l’occasion de participer sur place à des cérémonies de diplomation adaptées. Dans le campus principal de mon université, par exemple, le centre de soutien aux étudiants autochtones du Migizii Agamik met des conseillers et des ressources documentaires (entre autres) à la disposition des étudiants. L’accès aux ressources documentaires s’effectue par l’entremise d’un portail géré par une ou un bibliothécaire d’ascendance métisse. 

La réconciliation par l’autochtonisation passe également par l’examen du curriculum et des programmes d’études afin de veiller à ce que les étudiants développent leurs connaissances des peuples et cultures autochtones. L’Université de Winnipeg a été l’une des premières universités à approuver une exigence de cours relative aux peuples et cultures autochtones, une initiative depuis reprise par de nombreuses universités. Plusieurs établissements ont favorisé la conception de tenues et d’étoles particulières pour célébrer l’identité et l’héritage autochtones durant les cérémonies de collation des grades.  Ces gestes accroissent la visibilité du fait autochtone et favorisent le changement.  

Cependant, il n’est pas suffisant d’intégrer des penseurs et des étudiants autochtones dans un établissement qui ne modifie pas certaines de ses caractéristiques pour leur faire une place. En 2018, dans un article de la revue Maclean’s qui portait sur la question, la présidente du Groupe de travail sur l’éducation postsecondaire des Autochtones de l’ACPPU, Priscilla Settee, mettait en garde contre le modèle de l’autochtonisation par addition (« incorporez des Autochtones et mélangez »). Il est essentiel d’apporter un changement réel en intégrant les modes de connaissance autochtones aux espaces centraux de recherche et d’enseignement des établissements postsecondaires. Dans l’article de Maclean’s, David Newhouse reprend le concept mi’kmaq de « vision à deux yeux » pour prôner le jumelage du meilleur savoir occidental et, sous la direction d’aînés autochtones, du meilleur savoir autochtone. Comme l’indique David Newhouse dans le Bulletin de l’ACPPU, la création d’un espace d’érudition autochtone « puisant ses racines dans la pensée autochtone traditionnelle » est essentielle. Pour lui, la capacité d’établir soi-même ce qui constitue un problème d’érudition, et comment l’aborder, l’analyser et mettre en commun les résultats de son enquête, est la marque d’une université autochtonisée.  

Certaines personnes se préoccupent de la reconnaissance et de l’intégration du savoir autochtone dans l’espace académique, y voyant un risque d’atteinte à la qualité de l’éducation postsecondaire. Cette appréhension est un exemple de fragilité organisationnelle qui s’exprime par la crainte que l’intégration de différents modes de connaissance dans l’espace de travail et d’érudition d’un collège ou d’une université ne fragilise l’établissement. Mais comme le souligne l’article de David Newhouse, les universités et les collèges ne sont pas immuables. Le penseur utilise la théorie du prolongement des chevrons des Haudenosaunee dans le but de décrire la façon dont les établissements ont déjà évolué au fil des siècles pour inclure une multitude de savoirs et d’expériences à l’enseignement, aux recherches et aux services. 

La prise en compte du savoir autochtone dans le milieu académique ne détruira pas l’éducation postsecondaire. Au contraire, elle la rendra plus inclusive et résiliente. Le prolongement des chevrons nous concerne tous. Nous devons faire ce bon travail de la bonne manière, comme dit la tradition anishinaabe.

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