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Entrevue / Steven High

Entrevue / Steven High

[© Concordia University]

Steven High est historien interdisciplinaire en histoire orale et publique et s’intéresse vivement aux approches transnationales aux études sur la classe ouvrière, l’immigration forcée, la recherche communautaire engagée, ainsi que la méthodologie de l’histoire orale et l’éthique. Il est professeur titulaire à l’Université Concordia, membre fondateur du Centre d’histoire orale et de récits numérisés, de même que président de la Société historique du Canada (2021-2023).

Le mois dernier, la Société historique du Canada a envoyé une lettre à Bibliothèque et Archives Canada pour se plaindre des compressions de services. Que s’est-il passé? 

La recherche historique exige l’accès aux archives publiques ainsi qu’à nos partenaires d’entrevue. La pandémie a entraîné la suspension des entrevues en présentiel et la fermeture des archives publiques. Jusqu’à la pleine diffusion de la vaccination, ces mesures étaient nécessaires pour sauver des vies. Par contre, les gouvernements ont plutôt été lents à rouvrir les archives et, dans le cas de Bibliothèque et Archives Canada, on a en fait commencé à réduire les heures d’ouverture. On craint de plus en plus que le gouvernement utilise l’éclosion de la pandémie pour réduire encore davantage l’accès du public aux services. 

Nous avons observé une érosion constante du financement public aux universités et collèges. Quelles sont les répercussions sur le personnel enseignant, particulièrement les historiens? 

Pendant trop longtemps, on a rejeté que la précarité soit un problème, invoquant l’idée destructrice que nous vivons et travaillons dans une méritocratie : à savoir que les candidats « les meilleurs » trouvent un emploi à temps plein. D’une part, l’internalisation de l’idée de la méritocratie a fait que nombre de membres du personnel enseignant et de diplômés récents à la recherche de travail ont fini par douter d’eux-mêmes. Si seulement ils avaient travaillé plus dur, s’ils avaient publié davantage, rencontré davantage de personnes, le résultat aurait pu être différent. Par ailleurs, la réflexion méritocratique a servi à rassurer les personnes déjà installées dans leur confort : l’effet a été de dépolitiser la précarité. Les structures « collégiales » à l’intérieur des universités supposent du personnel enseignant à plein temps dans un système dont nous ne sommes pas les auteurs et qui est fondamentalement injuste et source d’exploitation. 

La Société historique du Canada a organisé l’an dernier une série de tables rondes sur la précarité dans la profession et a ensuite publié un rapport, où on traite des forces structurelles en présence, par exemple le passage au temps partiel/occasionnel. 

Comment le domaine de l’histoire a-t-il évolué depuis quelques décennies?

L’histoire, à juste titre, a la réputation d’être l’une des disciplines du savoir les plus « blanches » au Canada. Bien sûr, il est important de savoir qui est dans le débat : informer nos pratiques et interprétations actuelles de la recherche. C’est ainsi que se façonne également notre rapport avec les collectivités que nous étudions. Comment pourrait-il en être autrement?

Je fais parfois remarquer que l’autorité disciplinaire en histoire s’est fondée sur la distanciation critique : mieux vaut plus que moins. Avec la distance vient la clarté ou c’est du moins la vieille logique de la discipline. Les étudiants en histoire apprennent donc à rédiger au passé et à la troisième personne afin de supprimer véritablement le présent. Être proche des histoires que nous étudions est donc suspect sur le plan politique. Par contre, une nouvelle génération d’érudits PNAR (populations noires, autochtones et racialisées) et autres contestent le prétendu désintérêt. 

Nous avons pu le constater cet été lorsque le conseil de régie de la Société historique du Canada a publié une déclaration pour la Fête du Canada soulignant le génocide des Autochtones au Canada. Ce n’était pas étranger au fait que plus du tiers du conseil appartient à la communauté des PNAR. Même avec l’appui écrasant de nos membres, une lettre ouverte signée par 53 historiens et spécialistes en sciences politiques a condamné cette déclaration, soutenant que ce type d’activisme était incompatible avec la véritable science. Le fait que les médias d’extrême droite aient applaudi les signataires n’était pas une coïncidence, car cela s’inscrit parfaitement dans leur discours de guerre culturelle. Le fait que seulement cinq des signataires étaient en fait membres de la Société historique du Canada et que même peu d’entre eux étaient des spécialistes de la matière a été passé sous silence. Pas étonnant, car ils étaient également blancs, surtout de sexe masculin et la plupart à 
la retraite. 

Ainsi que les historiens autochtones du conseil de Shekon Neechie le mentionnaient dans leur lettre ouverte au conseil de la Société historique du Canada et au public canadien, il ne s’agit pas simplement d’un débat d’interprétation circonscrit à la tour d’ivoire. Il a des répercussions actuelles véritables et importantes pour notre société....Nous affirmons que prendre un espace pour contester l’utilisation du mot génocide, tandis que les collectivités autochtones de l’ensemble du pays sont à vif et endeuillées, est un autre exemple de la conduite aveugle, sans cœur et contraire à l’éthique qui a marqué tant d’études sur les peuples autochtones au Canada. 

Quelles sont vos réflexions sur la façon dont les associations de personnel académique peuvent piloter des débats litigieux sur des thèmes comme la liberté académique? 

La panique morale sur la « culture de l’élimination » est exagérée. Le véritable danger pour notre liberté académique, ce sont les gouvernements conservateurs, qui utilisent cela comme prétexte pour imposer par la force une sorte de fausse « neutralité » aux universités ou qui détournent les ressources au détriment des sciences humaines et sociales. Au R.-U., on a vu la fermeture, pour des motifs idéologiques, d’un certain nombre de services d’histoire dans les universités de la classe ouvrière. Il existe un risque que les universités qui ne sont pas du palier supérieur deviennent des écoles de métiers, en réservant les arts et humanités libérales à des collèges plus élitistes. 

Ce qui est arrivé à l’Université Laurentienne, il est impératif que cela ne se reproduise plus jamais. Et je dis cela en tant que personne originaire du Nord de l’Ontario. Mon conseil pour les associations de personnel académique est donc de ne pas perdre de vue le ballon.

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