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Le mot de la présidente / Désastres soudains et graduels

Le mot de la présidente / Désastres soudains et graduels

Par Brenda Austin-Smith

« Comment avez-vous fait faillite? », demande l’un des protagonistes du roman d’Hemingway Le soleil se lève aussi. « De deux manières. Graduellement, et puis soudainement », lui répond son interlocuteur. Ces propos semblent aujourd’hui faire écho à deux désastres frappant le milieu académique. L’un, l’apparente insolvabilité de l’Université Laurentienne, serait survenu soudainement. L’autre, le démantèlement du système d’éducation postsecondaire de l’Alberta par le gouvernement provincial, s’est déployé lentement et graduellement. Les deux, toutefois, mènent vers une issue similaire. Partout où nous posons le regard, nous percevons les effets dévastateurs de la joute politique sur l’enseignement supérieur, avec les menaces pesant sur le financement, et le recours à la loi pour passer outre aux conventions collectives et pour décimer la gouvernance collégiale, pierre angulaire de l’autonomie dans notre système.

L’érosion du soutien financier aux collèges et aux universités menace les fondements même de notre secteur depuis des années. Le Canada se situe au 28e rang des 35 pays de l’OCDE pour le financement public de l’éducation postsecondaire (EPS). Seulement 54 % du financement de l’EPS au Canada provient des fonds publics. Le reste provient de sources privées. Tous les pays de l’UE nous devancent. Seuls le Royaume-Uni, le Japon, les États-Unis, le Chili, l’Australie, la Corée et la Nouvelle-Zélande sont derrière nous. En 1992, la contribution du gouvernement fédéral à l’EPS s’élevait à 3 432 $ par étudiant (en $ de 2019). En 2018-2019, cette contribution était passée à 2 046 $. Le dernier supplément fédéral pour soutenir les coûts de fonctionnement de l’EPS remonte à 2008, sous le gouvernement Harper. L’érosion du financement public dans notre secteur entraîne une augmentation des frais de scolarité pour les étudiants et leur famille, une précarisation accrue de l’enseignement, et toutes les autres conséquences néfastes que subissent et observent nos membres chaque jour.

En examinant la situation en Alberta, nous constatons à quel point les gouvernements provinciaux aggravent et accélèrent les dommages. Alors même que la COVID perturbait le travail de nos collègues, le gouvernement Kenney retranchait 117,6 millions $ aux subventions des universités et collèges. Selon les établissements, les réductions pouvaient atteindre jusqu’à 20 %. De plus, le gouvernement n’a pas prévu d’indexation, a supprimé le plafond des frais de scolarité et a éliminé les crédits d’impôt pour frais de scolarité. L’ampleur de ces compressions est proprement effarante. En 2019, elles représentaient une saignée de 44 millions $ dans le budget de l’Université de l’Alberta, et de plus de 32 millions $ dans celui de l’Université de Calgary. Dans la foulée, cette dernière anticipe la perte de quelque 1 100 postes équivalents temps plein entre 2019 et 2022. Les projets d’implantation de modèles de financement fondé sur le rendement ont été suspendus pendant la pandémie, mais personne ne sait pour combien de temps.

Sabrer le financement de l’éducation pendant une pandémie est la pire chose qu’un gouvernement puisse faire. L’EPS prépare les étudiants à un éventail de carrières professionnelles. Transformer les universités en centres de formation professionnelle ne contribue nullement à stimuler la créativité et la réactivité que les entreprises recherchent. Il est impossible de passer de l’éclosion d’un nouveau virus à la fabrication d’un vaccin en privant le personnel académique de la liberté et des ressources nécessaires pour trouver des réponses à des problèmes mondiaux. La nature coercitive de la restructuration du secteur académique en Alberta menace l’autonomie et la qualité des établissements qui y survivront.

Du côté de l’Université Laurentienne, l’administration n’a pas communiqué à l’association de personnel académique son intention de demander la protection judiciaire en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Plusieurs facteurs témoignaient de problèmes avant l’annonce du 1er février. L’association de personnel académique a plus de 100 griefs actifs. Le conseil de l’établissement a refusé de mettre en place de bonnes pratiques de gestion et, à plus forte raison, la gouvernance collégiale. Il a bafoué les décisions de son sénat en matière académique, pris de mauvaises décisions financières, et fait fi des demandes d’information financière fiable et de reddition de comptes. L’administration aurait pu invoquer la clause de nécessité financière de la convention collective, mais a décidé de se positionner en tant qu’entreprise insolvable plutôt qu’institution publique redevable envers son personnel qui s’ajoute maintenant à une longue liste de créanciers.               

Afin d’exiger des comptes de l’administration pour sa mauvaise gestion et d’obtenir justice pour nos collègues, nous devrons exercer des pressions politiques. Signer les pétitions, participer à un défilé avec concert de klaxons, ériger des pingouins de neige devant l’Assemblée législative, tenir des assemblées en ligne pour définir des stratégies collectives, téléphoner aux membres de l’Assemblée législative ou du parlement provincial sont autant de moyens à votre disposition pour ce faire. Joignez-vous aussi à l’ACPPU pour exhorter le gouvernement fédéral à accroître le financement de l’EPS de manière à éviter les désastres en devenir des prochaines décennies. Seule notre action collective peut les juguler.

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