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Entretien / Liz Morrish

Entretien / Liz Morrish

Liz Morrish est une universitaire indépendante qui milite contre la prise de contrôle des universités par la direction. Chargée de cours invitée à la York St John University, elle était maître de conférences et directrice du département de linguistique à la Nottingham Trent University jusqu’à sa démission, en 2016. Mme Morrish est coauteure d’Academic Irregularities, ouvrage sur le discours managérial dans le monde universitaire néolibéral, et elle tient un blogue sous le même titre. Elle a parlé aux membres de l’ACPPU à l’occasion d’une rencontre virtuelle organisée dans le cadre de la Semaine de l’équité d’emploi 2020 sur le thème « Le fléau des universités : La pandémie a ouvert des brèches qui menacent l’avenir des travailleurs, la pédagogie et les valeurs de l’enseignement supérieur ».

Quelles conséquences la pandémie a-t-elle sur l’éducation postsecondaire au Royaume-Uni?

Comme de nombreux systèmes universitaires dans le monde, nous adoptons des mesures d’urgence en ce qui concerne les conditions de travail, d’enseignement et d’apprentissage. Nous espérons qu’elles seront temporaires. Cependant, nous savons aussi qu’il est très peu probable que nous revenions à ce qui nous semblait normal. Nous savons que les équipes de direction des universités saisissent souvent ces occasions pour alimenter un sentiment de crise et peut-être réorienter l’université en fonction d’une série de priorités que nous qui formons l’université ne partageons sans doute pas. Ce que nous voyons en ce moment au Royaume-Uni, c’est un système qui se débat avec plusieurs vulnérabilités persistantes et que la COVID a vraiment mises en lumière. Elles existaient déjà, mais elles pèsent particulièrement sur les conditions de travail et sur l’expérience des étudiants. Ce sont des choses que nous devrons garder à l’esprit par la suite.

Vous dites de l’enseignement supérieur britannique qu’il est marchéisé. Quel impact est-ce que cela a sur l’éducation postsecondaire pendant la pandémie?

Nous devons examiner l’économie politique des universités britanniques et les vulnérabilités révélées par la pandémie. Nous avons un enseignement supérieur marchéisé en Angleterre. J’exclus l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord qui ont des variantes légèrement différentes de ce système, mais 80 % des revenus de l’enseignement viennent des frais de scolarité, dont 23 % du contingent des étudiants étrangers. Si l’une ou l’autre de ces sources de revenus défaille, les universités se trouveront exposées à des difficultés financières. En juillet, le gouvernement a décrété que les universités ne pouvaient facturer la totalité des frais que si les cours avaient lieu en personne. Le modèle économique repose sur les revenus des résidences universitaires, la restauration et d’autres services, comme les gymnases. Il allait donc falloir faire revenir les étudiants sur les campus. Les résidences universitaires affichaient complet à la rentrée d’automne, contrairement à certaines universités américaines qui en limitaient le taux d’occupation à moins de 50 %. La santé des étudiants, du personnel et de la collectivité en général devait être sacrifiée pour que les universités survivent.

Au Canada, pour des questions de santé et de sécurité, les écoles ont largement rejeté un retour complet à l’enseignement en personne. Comment s’est déroulé le retour en classe au Royaume-Uni?

C’était un désastre. Par exemple, en octobre 2020, Nottingham, où je vis, affichait le taux de propagation de la COVID-19 le plus élevé du Royaume-Uni. Malheureusement, l’augmentation des chiffres a coïncidé avec l’arrivée dans la ville d’au moins 60 000 étudiants. Je ne fais certainement pas de reproches aux étudiants en l’espèce. J’espère qu’une enquête publique permettra un jour de demander des comptes au gouvernement et aux équipes de direction des universités. Les campus et les résidences ont été ouverts contre l’avis du propre comité consultatif scientifique du gouvernement, des syndicats et des spécialistes en santé publique. Quoi qu’il en soit, la migration des étudiants a eu lieu. Bien que la direction des universités ait assuré qu’il n’y avait pas de COVID sur les campus, le taux d’incidence de l’infection dans certains quartiers de certaines villes universitaires, notamment Nottingham, était huit fois supérieur à celui de New York au pic de l’épidémie en avril. Sous quelque angle qu’on le prenne, cette incapacité de protéger la santé publique est scandaleuse.

À ce que vous voyez, quel est l’impact sur le travail académique?

Pendant l’été 2020, les universités britanniques sont devenues très prudentes financièrement et se sont mises à craindre les foudres du gouvernement. Certaines ont cherché à restructurer le programme de cours proposés pour le recentrer sur la préférence du gouvernement pour les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques, les STIM. Certaines ont prévu des licenciements massifs face à la baisse des inscriptions qu’elles pressentaient pour cette année. Ainsi, l’Université de Coventry a annoncé 100 licenciements de professeurs agrégés et elle remplace ses effectifs par du personnel supplémentaire payé à l’heure. Dans bien des endroits, ce sont les universitaires en début de carrière et en situation précaire qui paient le prix, car les postes d’assistant d’enseignement des cycles supérieurs et les postes d’auxiliaire sont annulés. C’en est peut-être fini de leurs perspectives de carrière. En tout cas, le personnel salarié permanent se retrouve avec une charge ingérable. Ainsi, beaucoup ont vu tripler leur charge d’enseignement et annuler leur temps de recherche. Ce que la pandémie a surtout fait comprendre, c’est qu’un enseignement supérieur contrôlé par le marché n’est pas aussi solide que les fondamentalistes du marché aiment à le répéter avec insistance. Le délestage de talents universitaires n’est pas aussi visible dans les systèmes moins marchéisés.

Même avant la pandémie, la tendance à la fracturation — à la séparation pour le corps enseignant des filières d’enseignement et de recherche — se dessinait déjà. Il est devenu plus difficile (ou la direction y est moins encline) de subventionner la recherche avec les frais de scolarité. Par conséquent, pour obtenir un code de recherche, le projet doit être payé par des revenus extérieurs. Donc, pas de subvention peut vouloir dire pas de volet de recherche dans la charge de travail. La pandémie accentuera cette tendance.

Quel sera, selon vous, l’impact de la pandémie?

Il se peut qu’on voie un retour aux bonnes vieilles habitudes du recours à de la main-d’œuvre précarisée, car la pandémie offre une nouvelle occasion d’exploiter ses compétences. C’est une possibilité quand on regarde les décisions opportunistes prises par l’industrie des technologies de l’éducation pour profiter du passage à l’enseignement en ligne. Les entreprises concernées poursuivent une stratégie qui consiste à offrir leurs produits gratuitement maintenant pour les vendre par la suite, tout en cherchant à la fois à remédier aux perturbations mondiales à court terme et à préparer une transformation à plus long terme des systèmes éducatifs, des établissements et de la pratique. Nous voyons qu’elles cherchent vraiment à se présenter comme les sauveurs de l’éducation. Ainsi, des entreprises comme la Khan Academy offrent gratuitement des logiciels à la suite de dons de bienfaiteurs qui s’attendent à pouvoir recouvrer leur dépense en réduisant à terme le coût de l’enseignement. Il se peut qu’à l’avenir, la préoccupation dominante en matière de politique de l’éducation dans le monde soit d’enseigner sans écoles et de délivrer des diplômes sans campus. En attendant, il est question de logiciels qui permettent de gérer des examens par algorithme avec un risque pour les renseignements personnels des étudiants. Certains reprochent, par ailleurs, aux algorithmes utilisés pour la reconnaissance faciale et la détection de ne pas reconnaître aussi facilement les visages noirs que les visages blancs, ce qui renforce le racisme structurel. Peut-être qu’en fait, nous pourrions chercher à refondre les programmes d’études et les évaluations de manière à transformer l’apprentissage des étudiants et à ouvrir des possibilités, plutôt que de les confiner à une série de résultats d’apprentissage transactionnels. Les étudiants devraient être coproducteurs du savoir au lieu d’être consommateurs d’une sorte de service d’archives.

Ce qui ressortira de ce chaos, c’est l’université post-pandémique. Nous espérons seulement que ce sera une université que nous reconnaîtrons et qui travaillera dans l’intérêt des étudiants et de la recherche académique. Nous devons être vigilants et veiller à ce que les schémas plus pernicieux qui vont à l’encontre de ces intérêts à l’heure actuelle ne soient pas amplifiés dans les nouvelles formes de pédagogie et de gestion qui se matérialiseront.

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