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Autochtonisation du milieu académique / Cinq ans après la Commission de vérité et réconciliation

Autochtonisation du milieu académique / Cinq ans après la Commission de vérité et réconciliation

[National Centre for Truth and Reconciliation at the University of Manitoba]

Le 2 juin 2015, le juge Murray Sinclair rendait public le rapport historique de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) comportant 94 appels à l’action. Au terme d’années de témoignages et de recherches sur les séquelles multigénérationnelles du système des pensionnats indiens, l’heure était venue de passer à l’action, aux excuses et à la guérison. L’éducation était appelée à jouer un rôle clé.

Comme l’a déclaré le juge Sinclair : « L’éducation est la source du problème […], mais elle est également essentielle à la réconciliation. »

Les établissements postsecondaires ont rapidement répondu aux recommandations de la CVR, y allant d’actes de contrition publics et d’examens de conscience collectifs pour trouver la voie à suivre. Mais les excuses publiques et les déclarations de solidarité ne vont pas loin. Cinq ans plus tard, nous pouvons mesurer le chemin parcouru en nous penchant sur les actions et résultats accomplis. Et nous découvrons un chemin jalonné à la fois d’espoir et de frustration.

D’un bout à l’autre du Canada, des comités, groupes de travail, conseils consultatifs et événements ont été mis sur pied et nécessitent la participation de membres du corps professoral autochtones. Ces derniers sont par conséquent aux prises avec un surcroît de travail et un niveau de stress accru qui, dans certains cas, mène à l’épuisement professionnel.

« Nous sommes en quelque sorte habitués à lutter, tant au sein de nos communautés que dans le contexte historique du colonialisme, dit la professeure Patricia Settee de l’Université de la Saskatchewan. Nous avons d’emblée tendance à saisir l’occasion qui nous est offerte. Mais ce qu’on nous demande, à mon avis, c’est d’abattre plus de travail avec moins de ressources. »

Selon la professeure Settee, l’un des principaux accomplissements de l’Université de ces cinq dernières années est la création du département des études autochtones, qui attire un nombre croissant d’étudiants.

« Pour que cela se concrétise, les chefs et éducateurs autochtones n’ont pas lâché l’université d’une semelle », dit la professeure Settee. Parmi les autres améliorations, on compte l’attribution obligatoire de plusieurs postes de professeurs et d’administrateurs à des Autochtones au fil de la prochaine décennie.

Le corps professoral a également réussi à convaincre l’Université de la Saskatchewan de créer un poste de cadre supérieur.

« La création de ce poste a nécessité des années d’efforts, dit Marie Battiste, professeure émérite au département des fondements de l’éducation à l’université. Nous avons travaillé fort pour l’obtenir, pour le faire connaître et pour amener les aînés et les communautés à s’engager. » Mme Battiste, universitaire micmaque de la Première Nation Potlotek en Nouvelle-Écosse, croit que « les efforts déployés à un haut niveau mèneront vraisemblablement à de meilleurs changements ».

Toutefois, au cours de la dernière année, dix professeurs autochtones ont quitté l’Université. Mme Battiste en fait partie.

Bien qu’elle ne connaisse pas les raisons précises qui ont motivé le départ des autres professeurs, elle mentionne que l’épuisement professionnel, la lenteur des changements, les répercussions de la COVID-19 et les coupes budgétaires sont, entre autres facteurs, à l’origine de sa décision.

« J’ai pris une retraite anticipée du College of Education et accepté une charge de travail réduite pour deux ans. J’ai décidé de partir au bout d’un an parce que le College of Education n’avait à mon sens pas pris les mesures voulues afin d’améliorer le climat pour les membres autochtones du corps professoral et du personnel. »

Selon Mme Battiste, c’est une chose de créer un poste de haut niveau et de prendre des engagements pour améliorer les choses, mais c’en est une autre de réaliser des changements concrets au sein des collèges et facultés.

« Tous les collèges doivent revoir leurs politiques et activités. Ils doivent s’ancrer dans des activités de réconciliation qui font au besoin appel aux membres autochtones du corps professoral et du personnel. Sans cette consultation, ce soutien et cette aide, les grandes idées émanant de l’Université au niveau de la vice-doyenne ne seront pas aussi efficaces […] Il faut remplacer l’approche descendante par une approche multidirectionnelle déployée en collaboration avec les communautés. »

Mme Battiste poursuit néanmoins ses efforts en matière de réconciliation au sein de l’Université. Elle continue de siéger à un groupe d’aînés et de détenteurs du savoir traditionnel qui, en collaboration avec la vice-doyenne à l’engagement des Autochtones, travaille au parachèvement d’une stratégie d’autochtonisation et à son éventuelle mise en application.

« Je fais toujours partie du comité consultatif des aînés et je vais continuer à aider Mme Ottmann à mener ces efforts à bien. »

D’autres établissements ont aussi eu de la difficulté à garder en poste les membres autochtones de leurs corps professoral et personnel.

Ces difficultés pourraient prendre source dans des visions et compréhensions divergentes de l’autochtonisation du milieu académique. Adam Gaudry, professeur agrégé à la faculté des études autochtones, et Danielle Lorenz, doctorante au département d’études des politiques éducatives de l’Université de l’Alberta, ont analysé différentes initiatives d’autochtonisation pour conclure qu’elles constituaient un parcours en trois temps dans un article publié en 2018. Selon les chercheurs, la gamme des initiatives d’autochtonisation dans les universités canadiennes va du statu quo à une certaine forme de transformation, la majorité se trouvant dans cette dernière catégorie.

« Nous avons besoin de solutions complexes et à long terme, souligne la professeure Patricia Settee. Si nous gardons le même cap, je crains des contrecoups pour nous tous en tant que communauté académique et pour l’avenir. »

Pour que des progrès concrets soient réalisés au cours des prochaines années, les universités et collèges devront cesser de considérer les personnes autochtones comme un « groupe d’équité au même titre que les autres », dit Patti Doyle-Bedwell, professeure au département d’études autochtones de l’Université Dalhousie. « Nous sommes le peuple micmac et nous avons une relation de nation à nation avec la Couronne […] La reconnaissance du territoire est bienvenue, mais il faut commencer à joindre l’acte à la parole. »

Le Groupe de travail de l’ACPPU sur l’éducation postsecondaire des Autochtones a cerné plusieurs actions pouvant aider à mettre fin au statu quo. « Pour changer le système d’éducation, il faut transcender la représentation des Autochtones au sein des effectifs professoraux et étudiants, les changements aux programmes d’étude et les espaces, même si tous ces éléments ont leur importance, déclare David Newhouse, directeur de l’École Chanie Wenjack pour les études autochtones à l’Université Trent et président du groupe de travail de l’ACPPU.  Il faut avant tout reconnaître et respecter les droits des peuples autochtones ainsi que les systèmes de création et de diffusion des connaissances autochtones et rétablir les liens avec les communautés, les cultures et les langues. »

« Il faudra également de nouveaux modèles ou modes de gouvernance à tous les niveaux pour prioriser l’implication des enseignants et des communautés autochtones dans le processus d’autochtonisation et leur influence sur ce processus », ajoute M. Newhouse.

De plus en plus d’associations de personnel académique ont entrepris d’inciter les établissements postsecondaires à faire avancer l’autochtonisation le long du parcours décrit par Gaudry et Lorenz.

À l’Université Dalhousie, l’association de personnel académique a obtenu l’intégration à la convention collective de clauses de reconnaissance du savoir autochtone et du surcroît d’activités de service des membres du corps professoral autochtones. Elle a aussi obtenu pour ces derniers le droit de compter un membre de leur communauté aux comités d’octroi de la permanence et de promotion.

« En étant engagés auprès de nombreux comités, nous finissons parfois par moins publier et, ainsi, par nous voir refuser des promotions, dit Patti Doyle-Bedwell. Nous sommes dorénavant protégés à ce titre par la convention collective. »

L’association du personnel académique de l’Université de Brandon a récemment négocié la création d’un groupe de travail mixte pour déterminer des modes de reconnaissance des connaissances et des compétences autochtones, ainsi que d’évaluation de l’excellence en enseignement à l’aide d’un modèle d’apprentissage autochtone. Ce groupe étudie également comment le savoir, les méthodes de recherche et les activités de service autochtones peuvent être perçus et reconnus en fonction d’une perspective autochtone.

En Colombie-Britannique, le groupe de travail sur la décolonisation, la réconciliation et l’autochtonisation de la Federation of Post-Secondary Educators demande aux membres d’axer leur travail sur « l’équité éducative » en prenant en considération le rôle qu’ont la liberté culturelle, le consentement éclairé et la dignité des étudiants et des professeurs autochtones qui évoluent au sein du milieu académique et qui ont involontairement, ou volontairement, concouru au génocide culturel des peuples autochtones.

Pour M. Newhouse, en tant qu’Haudenosaunee, le travail en cours en réponse aux recommandations de la CVR, que ce soit l’embauche d’un plus grand nombre d’Autochtones au sein du personnel académique, la création de programmes d’études autochtones, l’apport de changements aux structures administratives et de gouvernance, le soutien à la recherche en matière autochtone ou l’intégration des savoirs autochtones dans le milieu académique, revient à « rallonger les chevrons » pour pouvoir accueillir une nouvelle famille dans la maisonlongue. Selon lui, le rôle des associations de personnel académique ne s’arrête pas là.

« Cet immense projet suscitera des tensions sur les plans des conditions de travail, du soutien à la recherche, de l’établissement de relations avec les collègues et les communautés, et de l’évaluation du rendement individuel, entre autres. »

Mme Settee convient qu’il est crucial que les associations de personnel académique continuent de défendre vigoureusement ces enjeux. « En tant que membre de l’ACPPU, c’est la situation d’ensemble qui me préoccupe. Une large partie de ces efforts pourrait n’être que de la poudre aux yeux si nous ne sommes pas vigilants. Nous avons désespérément besoin de l’intervention de nos associations », conclut-elle.

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