Par Brenda Austin-Smith
Une rhétorique guerrière domine les descriptions des mesures que le Canada devrait prendre face à la COVID-19. Les métaphores militaires, presque aussi répandues que le virus lui-même, nous disent de combattre cet « ennemi invisible » et de lutter contre la maladie de manières qui ne sont pas sans rappeler une bataille nécessitant différents « ajustements » dans les méthodes de travail et modes de vie des professionnels de la santé, de l’industrie et de la population en général. Dans le secteur public, on nous demande de faire des sacrifices évocateurs de ceux de l’Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale, où les jardins de la victoire, le rationnement et les coupures d’électricité répondaient aux appels à l’aide des gouvernements.
Un trimestre de printemps perturbé faisant place à une session d’été tout aussi perturbée, nous voyons les répercussions du virus sur le secteur postsecondaire. Quand on lui a demandé, il y a quelques semaines, de passer à un enseignement, à des recherches et à des services en ligne, le personnel académique a aussitôt entrepris d’aider les étudiants à terminer la session ordinaire en utilisant l’enseignement à distance organisé d’urgence. Nous avons adapté nos méthodes de recherche et beaucoup se sont recentrés sur des domaines de recherche liés à la COVID-19. Nos activités de services à l'établissement et à la collectivité sont aussi passés en ligne. Le fardeau de ce travail supplémentaire a pesé de façon disproportionnée sur les universitaires contractuels, dont bon nombre ont travaillé beaucoup plus d’heures que leur contrat ne le prévoyait.
Mais tandis que les conséquences socio-économiques de la COVID-19 continuent de se faire sentir dans l’ensemble de notre secteur, l’histoire des conflits offre des leçons tout aussi importantes sur ce qui nous attend. Des destructions massives exigent une reconstruction tout aussi massive pour aider les populations et les institutions à se relever. Après la Deuxième Guerre mondiale, le Canada a adopté la Loi sur la réadaptation des anciens combattants (LRAC), qui était en fait un programme de prestations comprenant l’accès à l’éducation. Comme l’écrivent les auteurs de Taking Public Education Seriously, la LRAC couvrait les frais de scolarité et prévoyait une allocation pour ceux qui souhaitaient aller au collège ou à l’université. Résultat : en 1947, le nombre des inscriptions universitaires avait déjà doublé. Chaque établissement recevait aussi une subvention par ancien combattant inscrit. Des mesures gouvernementales comme celle-ci ont nettement contribué à démocratiser l’accès aux études postsecondaires, surtout en période de crise économique, quand le chômage et le sous-emploi incitent plus de gens à s’inscrire au collège et à l’université afin d’améliorer leurs connaissances et leurs compétences.
Nous connaissons à présent la situation socio-économique la plus calamiteuse depuis la Grande Dépression et il est temps que le gouvernement fédéral prenne l’initiative d’une Nouvelle Donne (New Deal) pour l’éducation. L’économiste Jim Stanford en parlait d’ailleurs dans un récent article paru dans Policy Options. Ce qu’il nous faut pour combattre non seulement le virus, mais aussi ses effets persistants sur l’économie, c’est l’équivalent aujourd’hui du plan Marshall qui a aidé à reconstruire l’Europe après la guerre. Comme le fait observer Jim Stanford : « Pendant de nombreuses années encore, l’économie canadienne dépendra du service public, de l’investissement public et de l’entrepreneuriat public comme principaux moteurs de croissance. Ils seront le fer de lance du redressement après la récession instantanée, nous prépareront à affronter de futures crises sanitaires et environnementales et remédieront aux situations désespérées dans nos collectivités. »
L’éducation occupe une place essentielle dans ce redressement, qui prendra des années et demandera des interventions financières considérables. Les lamentations habituelles au sujet des déficits et de l’endettement croissants ne tarderont pas à se faire entendre, mais il faut les rejeter avec force. Le gouvernement a une énorme capacité d’emprunt et la santé et la stabilité futures du pays et de sa population dépendent de mesures énergiques prises maintenant. Consciente du besoin criant d’interventions financières dans l’enseignement postsecondaire, l’ACPPU demande au gouvernement fédéral de donner suite à trois recommandations qui permettront à nos établissements de survivre à la crise immédiate et de contribuer au redressement :
- Autoriser les universités et collèges à percevoir la Subvention salariale d’urgence du Canada;
- Collaborer avec les provinces et les institutions sur des dispenses de frais de scolarité pour faire en sorte que tout étudiant qualifié puisse suivre des études ou une formation sans avoir à s’endetter davantage;
- Augmenter le transfert fédéral aux provinces pour l’enseignement postsecondaire, avec des ententes sur des priorités communes pour améliorer l’abordabilité, l’accessibilité et la qualité.
Ces mesures sont à la fois essentielles et concrètes. Elles réduiront le chômage, abaisseront les obstacles à l’éducation sans alourdir l’endettement des ménages et créeront un financement public à long terme pour notre système national. Des établissements d’enseignement bien financés aideront le Canada à se remettre de la pandémie. Si nous sommes effectivement en guerre, aider ainsi les étudiants, les universités et les collèges doit faire partie de l’effort de guerre du pays et, surtout, faire partie de ce qui suivra.