Michael Meranze est professeur d’histoire et président du sénat académique de l’Université de Californie à Los Angeles, où il est spécialiste de l’histoire intellectuelle et juridique des États-Unis. Il est également membre du Comité A de la liberté académique et de la permanence de l’emploi de l’American Association of University Professors.
La COVID-19 frappe les pays dans toutes les régions du monde. Comment, selon vous, les États-Unis sont-ils touchés?
Aux États-Unis, le sous-financement chronique de la santé publique et le refus de se préparer adéquatement aux pandémies causent désormais des ravages parmi la population et parmi le personnel médical qui tente de lui apporter des soins. Trois décennies de détournement des ressources vers la commercialisation de la recherche financée par l’État n’ont fait qu’aggraver cette situation. Quand je regarde mes collègues médecins qui cherchent à pallier l’insuffisance de l’équipement de sécurité, le manque de lits de soins intensifs, l’incapacité à effectuer des tests à grande échelle et l’épuisement causé par le surmenage, je souhaite souvent vivre dans un pays moderne.
Au Canada, les répercussions de la pandémie varient selon les différents secteurs de la société. Voyez-vous la même situation se développer dans votre pays?
Aux États-Unis, la pandémie frappe plus largement une société déchirée par des inégalités croissantes. La stagnation des salaires et la croissance des bénéfices des entreprises, ainsi que leur effet, l'économie basée sur l’offre et la demande, ont laissé de plus en plus de personnes sans ressources pour sortir de la crise. Les demandes d’assurance-emploi ont monté en flèche à des niveaux spectaculaires. La politique et les pratiques néolibérales ont supplanté d’autres formes de rationalité; les biens publics et la solidarité ont été dévalués au profit du capital individuel; la connaissance, à la fois de la nature (changement climatique, épidémiologie) et de la société est rejetée au nom de la sagesse populiste affirmée par le président Trump.
Comment les établissements post-secondaires américains sont-ils touchés?
Les collèges et universités dans tout le pays sont passés à l’apprentissage à distance; ils ont déplacé le personnel, les étudiants et les professeurs hors campus, fermé les laboratoires et, là où ils ont des centres médicaux, essayé de déplacer autant de ressources que possible pour les soutenir. Certes, c’était clairement la bonne chose à faire, mais nous devons reconnaître les dommages probables que cela causera : dans l’apprentissage des étudiants, les ressources financières, les carrières des membres du corps professoral et du personnel, les recherches perturbées sinon avortées, et les dommages à la réflexion collective qui sont, ou du moins devraient être, les caractéristiques des milieux de la recherche.
Comment voyez-vous l’avenir de l’enseignement supérieur dans votre pays?
L’enseignement supérieur est confronté à des défis de taille, mais il n’est pas trop tard pour réfléchir à ce que nous voulons au lendemain de la pandémie. Nous devons saisir l’occasion qui s’offre à nous d’amorcer une nouvelle réflexion et nous devons faire front aux gourous de la technologie de pointe ou aux administrateurs qui souhaitent retirer aux étudiants leur droit de bénéficier d’un enseignement en établissement et aux professeurs leur contrôle sur le programme d’études et ses formes. Si le confinement obligé par la COVID-19 nous a appris quelque chose, c’est que certains aspects des universités et des collèges sont essentiels et qu’ils ne peuvent être sauvés qu’en repensant ce qui ne l’est pas.
Nous sommes rapidement passés à la formation à distance. Devrions-nous poursuivre l’enseignement en ligne même après la pandémie?
Premièrement, plutôt que de prouver que l’avenir est en ligne, le repli actuel dans l’enseignement à distance révèle exactement le contraire. Les étudiants ont clairement expliqué à quel point ils apprécient l’expérience en établissement – tout comme les professeurs se souviennent de l’importance de la salle de classe partagée pour l’éducation. Deuxièmement, les universités devront établir un nouveau contrat public; plus de gens – pas moins – devraient pouvoir vivre l'expérience en établissement. Cela signifie augmenter les ressources publiques pour réduire les prix sur l’ensemble des coûts. Et les universités doivent défendre plus efficacement l’importance de la recherche et de l’enseignement supérieur dans toutes les disciplines. La pandémie montre une fois de plus à quel point la connaissance de la culture, de l’histoire et de la société est importante pour répondre à des crises et aussi pour contrôler le développement des crises elles-mêmes.
Quel changement devra s’opérer avant que les universités ne puissent adopter une telle vision ambitieuse?
Les universités qui se remettent de cette crise doivent réfléchir profondément à leurs objectifs. Les membres du corps professoral doivent réfléchir à ce qui est essentiel dans l’organisation de leur enseignement et de leurs recherches. Tant les professeurs que les administrateurs devront repenser l’autorité afin que les décisions soient prises par ceux qui sont les plus proches de la pratique et des connaissances. La plus importante : les collèges et universités — et ceux qui y travaillent — continueront-ils de voir qui peut triompher dans la lutte pour le prestige privé? Ou vont-ils travailler pour aider à produire un bien public revitalisé et international?