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Le mot du président / Une approche non binaire de la liberté académique

Le mot du président / Une approche non binaire de la liberté académique

Par James Compton

« Tout cela est déjà arrivé et se reproduira. » Les amateurs de science-fiction reconnaîtront cette phrase tirée de la réédition, saluée par la critique, de Battlestar Galactica au début des années 2000. La science-fiction étant un puits sans fond, disons simplement que les événements fantasmagoriques de la série s’inscrivaient dans un cycle du temps plus vaste, où passé et présent se confondaient. Une forme de déjà-vu.

Les historiens vous le diront, les tensions et les thèmes sociaux ont tendance à disparaître pour refaire surface plus tard. On peut le constater sur les campus canadiens et américains, où le choc des conceptions de la liberté académique suscite la controverse. Dans le coin droit du ring, les partisans d’un lieu d’apprentissage sécuritaire et exempt de harcèlement réclament des restrictions à la liberté d’expression pour éliminer les propos qui peuvent être blessants, offensants ou provocateurs. Dans le coin gauche, les défenseurs de la liberté d’expression, plus absolutistes, ou libertariens, ne craignent pas la controverse et se moquent parfois des « gauchistes bornés » qui, disent-ils, ne peuvent tolérer les idées en dehors de leur zone de confort. Tout cela est déjà arrivé. Mais qui dit que cela doit se reproduire?

M’inspirant des travaux de Henry Louis Gates Jr., je pense que les débats actuels reposent sur une fausse dichotomie entre le bien social de l’inclusion et la liberté académique. En 1996, l’éminent professeur publiait dans The Future of Academic Freedom un examen critique de textes des années 1980 et du début des années 1990 sur les normes de langage sur les campus.

Les arguments en faveur de normes de langage restrictives ont comme postulat principal, nous dit H.L. Gates, que « les insultes raciales sont profondément politiques et font partie d’un vaste mécanisme de sub-ordination sociale » qui met sur un pied d’égalité les conséquences de propos blessants et le préjudice causé par une agression physique. Les partisans des normes de langage justifient leur position en remettant en question la neutralité des principes du droit. Ils insistent sur la nécessité de mener une « analyse contextuelle/historique du droit » qui prend en compte les inégalités de pouvoir des groupes victimes d’une « oppression historique ». Selon eux, les règles neutres sont appliquées contre les groupes marginalisés et ils prennent en exemple les lois interdisant le port de masques, qui ont été détournées pour cibler les femmes voilées musulmanes. Dans son résumé des arguments, le professeur Gates écrit : « Peut-être, concluent ces théoriciens critiques, le moment est-il venu d’abandonner l’application de principes abstraits pour défendre les victimes contre leurs agresseurs, et obtenir des résultats ici et maintenant, non pas dans un avenir ensoleillé. »

Nous ne pouvons qu’être d’accord avec cela — il n’existe pratiquement aucun groupe de soutien des agresseurs — et, pour ma part, je souscris pleinement à l’appel à une analyse historique. Comme le souligne le professeur Gates, l’analyse historique « n’est pas un mauvais principe. Mais cela me dit que nous devons revenir aux cas et examiner […] les résultats réels des diverses réglementations du discours haineux ». Bien, faisons-le. Cet exercice nous apprend que souvent, et ironiquement, les premières victimes des restrictions à la liberté d’expression sont les groupes minoritaires ou marginalisés. Un exemple : au début des années 90, afin d’appliquer les lois réprimant l’obscénité, les policiers de Toronto ont fait une descente dans une librairie pour homosexuels et lesbiennes qui vendait une certaine revue. Le professeur Gates fait état d’une situation semblable survenue en 1988, quand l’Université du Michigan a introduit des normes de langage — plus tard annulées par les tribunaux. Il raconte que, pendant l’année où les normes « ont été en vigueur, plus de vingt Noirs ont été accusés — par des Blancs — de propos racistes […] aucun Blanc n’a été puni pour ses propos racistes ».

Les tenants des normes pour restreindre la liberté d’expression et créer un milieu de travail respectueux font un acte de foi en supposant que les autorités et les institutions chargées de surveiller le discours se rangeront de leur côté. Mais cela n’est pas assuré, comme l’a appris à ses dépens Masuma Khan. Cette étudiante de l’Université Dalhousie a fait l’objet d’une enquête en vertu du code de conduite des étudiants parce qu’elle avait employé un langage grossier sur les médias sociaux pour défendre la décision de son groupe de ne pas approuver les célébrations du 150e anniversaire du Canada, et de ne pas y participer.

Les retournements du mouvement des droits civils aux États-Unis laissaient M. Gates perplexe. Il a écrit : « La lutte contre le racisme a été menée traditionnellement par le langage, non pas contre le langage; les bouleversements de l’époque de la défense des droits civils ont été favorisés par une vision ouverte du Premier amendement, à laquelle la lutte contre le racisme a ensuite donné un prestige moral. »

La liberté académique peut mener à des propos légaux, certes, mais qui peuvent être jugés offensants. Toutefois, il est clair qu’elle a aussi contribué à l’émergence de disciplines autrefois exclues des programmes universitaires. Sans la liberté académique, il ne fait aucun doute que les études féministes, les études critiques de la race et les études anti-coloniales n’auraient jamais vu le jour.

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