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Entrevue / Adelle Blackett

Entrevue / Adelle Blackett

Adelle Blackett est professeure de droit et titulaire de la chaire de recherche du Canada (niveau 1) en droit du travail transnational de la faculté de droit de l’Université McGill. La professeure Blackett a été nommée par le ministre fédéral du Travail à la tête du nouveau Groupe de travail sur l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, dont le rapport a été publié en décembre 2023.

Qu’est-ce que l’équité en matière d’emploi?

L’équité en matière d’emploi est un principe proactif qui reconnaît la discrimination systémique et la sous-représentation de groupes traditionnellement marginalisés dans le marché du travail canadien. Elle vise à cerner et à éliminer les barrières qui créent ces problèmes.

L’équité en matière d’emploi porte sur les pratiques d’embauchage, de maintien en poste et de promotion de candidates et candidats compétents provenant de groupes traditionnellement marginalisés. Elle a pour but d’assurer que les processus fonctionnent tout au long du cycle de vie d’un emploi pour créer un environnement dans lequel chaque personne se sent intégrée au milieu de travail.

Les barrières au travail incluent l’absence d’installations accessibles et non genrées. Ces barrières empêchent une personne en fauteuil roulant, une personne responsable d’un enfant et qui pourrait emmener cet enfant avec elle au travail, ou une personne effectuant une transition de genre de s’acquitter de leurs tâches au travail.

Ces barrières ne sont pas nécessairement physiques. Par exemple, le harcèlement est un problème pour beaucoup de gens au travail. En l’absence de procédures, de mécanismes et de politiques créés pour répondre à la situation, plusieurs catégories de travailleuses et de travailleurs sont immergées dans des cultures de travail toxiques.

Comment l’équité en matière d’emploi a-t-elle évolué au fil des dernières décennies?

L’équité en matière d’emploi est un concept introduit par la juge Rosalie Silberman Abella en 1984 dans le rapport de la Commission royale sur l’égalité en matière d’emploi, qui a mené à la création de la Loi sur l’équité en matière d’emploi en 1986. Le rapport Abella a exercé une énorme influence sur les lois relatives à l’emploi et aux droits de la personne.

Après d’importantes révisions effectuées dans les années 1990, la Loi sur l’équité en matière d’emploi a été adoptée. Elle vise quatre groupes désignés : les femmes, les peuples autochtones, les personnes en situation de handicap et les membres des minorités visibles.

La définition de l’équité en matière d’emploi a rétréci depuis les années 1980 et 1990 parce que les examens quinquennaux que la loi oblige le gouvernement à mener n’ont pas eu lieu. L’équité en matière d’emploi se résume maintenant à un simple exercice d’arithmétique visant à déterminer qui est disponible pour être embauché dans le marché du travail.

Le concept nettement canadien d’équité en matière d’emploi s’est peu à peu confondu avec celui d’action positive aux États-Unis, même si la juge Abella a choisi une expression différente pour se distancier d’une compréhension rigide s’appuyant sur les quotas et de la présomption que la mise en œuvre de l’équité équivaut à de la discrimination à rebours.

Quelles sont vos réflexions sur le rapport du Groupe de travail sur l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi?

Le premier programme canadien d’équité en matière d’emploi visait à assurer aux francophones un accès équitable à tous les postes dans la fonction publique fédérale. Il y avait des francophones compétents sur le marché du travail, mais ils étaient sous-représentés dans la fonction publique à cause de barrières systémiques. Par conséquent, nous ne pouvons pas aborder l’équité en matière d’emploi du point de vue d’un modèle de déficit. Il serait absurde de prétendre le contraire. Ce sont les systèmes et les structures qui empêchent la pleine inclusion.

Nous avons oublié l’histoire qui émane des communautés noires ayant fait l’objet d’une ségrégation raciale au travail partout au pays, et de façon plus poignante dans le secteur ferroviaire. Le travail du professeur Cecil Foster sur cet enjeu précis a aidé à montrer que les lois ne suffisent pas. Nous devons aussi mettre en place des mécanismes proactifs pour changer notre compréhension des milieux de travail et de celles et ceux qui y sont inclus.

La pandémie a permis de comprendre concrètement l’ampleur de tout ce que nous tenons pour acquis. Pour la première fois, les gens ont commencé à reconnaître l’importance des travailleuses et travailleurs essentiels. Ils ont posé des questions difficiles sur qui devrait se trouver dans notre marché et où. Par exemple, pourquoi les personnes noires et racisées sont-elles surreprésentées dans les emplois essentiels à faible salaire et à stress et à risque élevés? Pourquoi trouvet-on si peu de personnes noires et racisées parmi les médecins?

Les statistiques montrent que des personnes hautement compétentes provenant de groupes désignés sont disponibles dans le marché du travail. Le rapport du Groupe de travail a donc cherché à recentrer le discours canadien de l’équité en matière d’emploi sur l’élimination des barrières.

Quelle recommandation clé, si elle est mise en œuvre, aidera à atteindre l’équité en matière d’emploi dans le secteur de l’éducation postsecondaire?

L’ACPPU a présenté au Groupe de travail des mémoires sur les subventions de recherche, qui sont surtout financées par le gouvernement fédéral, mais qui ne font absolument pas partie du cadre de l’équité en matière d’emploi.

Plus précisément, les chercheuses et chercheurs ne font pas partie du Programme de contrats fédéraux parce que les universités et les collèges sont de compétence provinciale, même s’ils reçoivent des montants importants du gouvernement fédéral par le biais des subventions de recherche.

De nombreux universitaires ne sont pas admissibles au Programme parce que ce dernier exclut les subventions de recherche et les contributions de cette nature. Le niveau de financement requis pour que des fournisseurs soient inclus dans la loi a aussi été haussé, passant de 200 000 $ à 1 million de dollars.

On devrait revenir au seuil de financement original et à une définition plus large des contrats fédéraux en vertu du Programme pour y inclure les subventions de recherche fédérales. Les universités et les collèges devraient s'engager à être couverts par le cadre fédéral de l’équité en matière d’emploi.

Comment les associations de personnel académique peuvent-elles contribuer à promouvoir l’équité en matière d’emploi?

L’adoption du principe de participation « rien sur nous sans nous » favorise la reddition de comptes. C’est pour cette raison que, dans l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, le Groupe de travail a insisté sur l’importance de véritables consultations avec les groupes concernés, ce qui nous a amenés à présenter un total de 187 recommandations.

Dans le contexte académique, il est particulièrement important que les membres des associations de professeures et de professeurs s’engagent concrètement à exiger du gouvernement et des employeurs le respect des exigences de la loi.

L’équité doit s’inscrire dans les stratégies de négociation des associations de personnel académique et une partie du travail académique de Linda Briskin est cruciale à cet égard. Nous devons cesser de considérer l’équité en matière d’emploi comme une question purement administrative.