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Compte rendu du livre / À la recherche d'un engagement envers l'éthique de la recherche en sciences sociales

Compte rendu du livre / À la recherche d'un engagement envers l'éthique de la recherche en sciences sociales

Will C. van den Hoonaard
University of Alberta Press, 2023; 152 pp;

Par Udo Krautwurst​

Nous savons tous que l’éthique s’incarne dans l’action, une vérité allant de soi. Cependant, ce qui constitue les normes ou principes qui guident ou motivent l’action est beaucoup moins évident. Cet ouvrage porte sur les liens qui devraient exister entre l’action et les principes de recherche en sciences sociales en milieu universitaire, en particulier en ce qui a trait à la sociologie et à l’anthropologie; il accorde également une place importante aux sciences sociales ainsi qu’aux sciences humaines.

Selon l’auteur, le problème pour les chercheuses et chercheurs qui effectuent principalement des études qualitatives est le suivant : on s’attend à voir appliquer une monoculture en matière d’éthique de la recherche à une pratique de recherche qui est plurielle. Pour paraphraser Isabelle Stengers, une célèbre philosophe des sciences, nous avons plutôt besoin d’un éventail de pratiques en matière d’éthique. L'auteur connaît à fond le sujet puisqu'il a effectué des recherches et écrit abondamment sur la question à titre de sociologue universitaire et également, il faut le souligner, à titre de membre de différents comités d’éthique des trois Conseils.

L’ouvrage comporte sept courts chapitres faciles à comprendre ainsi qu’un appendice. Au début du livre, l’auteur formule le problème tandis qu’au dernier chapitre, il propose une stratégie pour aborder l’éthique autrement. Les lectrices et lecteurs qui souhaitent en savoir plus sur le sujet peuvent se tourner vers les très nombreuses références, puisque le livre lui-même semble viser un large public.

L’enjeu au cœur de tout l’ouvrage est le suivant : un cadre d’éthique de recherche médicale est devenu la norme selon laquelle sont mesurées toutes les études de recherche en sciences humaines en milieu universitaire. Dans le premier chapitre, l’auteur ne nie pas la nécessité d’avoir une éthique de la recherche (fait impossible à nier), et il n’écarte pas non plus les différentes façons dont les divers comités canadiens d’éthique de la recherche interprètent et appliquent l’énoncé de politique EPTC2 (ou les autres équivalents nationaux). Le problème est structurel.

Globalement, les décideuses et décideurs politiques à l’extérieur du milieu universitaire ont consacré un modèle que j’appellerai « éthique parrainée par l’État » qui s’appuie sur la vision d’un individu en tant qu’objet isolé et décontextualisé de la modernité post-illuministe, plutôt que sur celle de groupes d’êtres, humains et non humains, qui interagissent de toutes sortes de façons différentes. De manière éclairante, l’auteur démontre comment des groupes autochtones, féministes et d’autres communautés minoritaires résistent depuis des décennies à la tentative de réduction à l’éthique parrainée par l’État, démontrant ainsi que d’autres principes et pratiques en matière d’éthique sont possibles et même souhaitables. Ce premier chapitre est largement consensuel, à part la suggestion que la promotion de l’interdisciplinarité par les universités jumelée au cadre dominant d’éthique de la recherche médicale nuit à l’intégrité de la sociologie et d’autres disciplines. Cela peut sembler un détail, mais je crois qu’il existe plusieurs façons dont l’interdisciplinarité peut se manifester, et qu’il serait préférable de ne pas circonscrire le sort des différentes disciplines.

Les chapitres suivants présentent une toile de fond historique couvrant la période d’environ 1980 jusqu’à nos jours. L’auteur nous rappelle que l’éthique institutionnelle plutôt que disciplinaire s’est déployée dans un contexte particulier, c’est-à-dire l’émergence des politiques néolibérales à l’échelle mondiale. À mesure que les politiques néolibérales étaient imposées au secteur de l’enseignement postsecondaire par l’entremise d’organismes gouvernementaux, elles se sont manifestées sous la forme de ce qu’on a nommé la culture de la vérification. L’objectif manifeste était de prévenir toute conduite contraire à l’éthique par la normalisation. L’effet recherché, affirme van den Hoonaard, était de limiter les types de questions sur lesquelles pouvaient se pencher les chercheuses et chercheurs employant des méthodes qualitatives et, plus important encore, de réduire les types de relations susceptibles de se développer avec les personnes visées par un projet de recherche. La norme qui a été appliquée et largement adoptée depuis est fondée sur le modèle clinico-médical mentionné précédemment. Le sujet de la recherche est essentiellement un objet de recherche isolé des communautés auxquelles il appartient; on suppose qu’il est largement conscient de son environnement, ou de manière insuffisante, et qu’il est toujours en position de désavantage ou de carence cognitive par rapport à la chercheuse ou au chercheur.

La préoccupation formulée ici par van den Hoonaard est la suivante : les chercheuses ou chercheurs utilisant des méthodes qualitatives sont obligés d’utiliser un cadre éthique qui ne correspond pas à ce qu’elles ou ils font (ou souhaitent faire) sur le terrain. Plusieurs exemples (avant et après) sont fournis dans les deux chapitres qui suivent. L’un traite d’anthropologie socioculturelle et l’autre, rédigé par Marco Marzano, se concentre sur les approches qualitatives et ethnographiques en sociologie.

Le chapitre traitant de l’état actuel de l’éthique en matière de recherche définit quatre groupes de personnes qui souhaitent modifier le statu quo. Le plus petit de ces groupes comprend celles et ceux qui veulent renforcer la structure actuelle. La plupart des chercheuses et chercheurs veulent augmenter la souplesse du système sans y renoncer tout à fait, alors qu’un troisième groupe souhaite établir deux ou plusieurs voies parallèles en vertu des mêmes prémices réglementaires (par exemple, une voie médicale et une voie en sciences sociales). Le dernier groupe, une minorité certes, veut éliminer les structures réglementaires institutionnelles de haut en bas — l’une des versions découlant de cette volonté étant soutenue par l’auteur.

Sans aucun doute, c’est le dernier chapitre de cet ouvrage qui est le plus important. Pour un bon nombre de lectrices et lecteurs, ce sera le plus litigieux puisqu’il propose de s’éloigner du contrôle institutionnel et parrainé par l’État qui veut garantir ce qui ne peut être garanti. Ce que l’auteur nous offre, ce n’est pas « la » solution à un problème, mais plutôt une stratégie. Au lieu de développer une norme universelle en matière d’éthique de la recherche, il faudrait promouvoir des principes dotés d’une souplesse suffisante pour composer avec une variabilité contextuelle et méthodologique. Le terme choisi par van den Hoonaard pour cette stratégie est un « covenant » (engagement) en matière d’éthique de la recherche. Il est parfaitement conscient de la connotation religieuse du terme, même s’il en suggère l’utilisation à des fins profanes. L’aspect percutant de cette stratégie est le suivant : plutôt que de se concentrer sur la chercheuse ou le chercheur moderne et isolé(e) pour savoir si elle ou il est éthique ou non, on se concentre sur la ou les relation(s) en question pour savoir si elles sont éthiques ou non, en sachant que ces relations mettent toujours en cause au moins deux personnes engagées dans des négociations (politiques, morales et éthiques) dans un contexte unique. Cette façon de faire permet d’éviter de traiter des personnes comme des objets méthodologiquement dissociés les uns des autres.

En effet, un élément important de l’engagement éthique proposé est de conscientiser tôt dans leur formation les étudiantes et étudiants de premier et de deuxième cycle au fait que l’éthique est toujours immanente en matière de situation, peu importe le domaine d’étude, et non pas un simple « élément complémentaire » à la recherche ou aux cours sur les méthodes de recherche. Une conduite éthique exige la réciprocité dans un échange continu qui mène à une équité négociée, toujours dynamique, au lieu d’une conformité avec un modèle monolithique dépourvu de contexte sociohistorique. C’est certainement là que se trouve le chevauchement, et par conséquent une importante possibilité de travailler avec et parmi les pratiques de recherches autochtones et féministes mentionnées tout au long du livre. Nous sommes de retour au principe de l’éthique qui s’incarne dans l’action, mais sans prétendre à l’application d’une norme universelle, seulement à une négociation en continu dans un éventail de pratiques relatives à l’éthique.


Udo Krautwurst est professeur agrégé au département de sociologie et d’anthropologie de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard.

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