Par Lilach Marom
Spécialiste juive en éducation, je travaille sur des questions concernant l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI). Les attaques du 7 octobre et leurs contrecoups ont déclenché un torrent d’antisémitisme sur les campus canadiens. Je voudrais dire à mes collègues que l’antisémitisme n’est pas un problème du passé et que nous devons l’aborder sous l’égide de l’EDI.
Les universités canadiennes ne s’attaquent pas à l’antisémitisme malgré leur engagement croissant en faveur de l’EDI. Cette omission est d’autant plus préoccupante que les niveaux et les actes d’antisémitisme sont de plus en plus élevés sur les campus et que les questions liées à l’EDI font l’objet d’approches actives. Cela tient, à mon avis, à une conception simpliste et erronée du peuple juif dans le cadre de l’EDI.
Dans le contexte nord-américain, le peuple juif a été « blanchi ». L’héritage juif a été dilué dans l’appartenance religieuse, au lieu d’englober l’histoire distincte (et diverse) du peuple juif, y compris les manifestations récurrentes de marginalisation et d’exclusion. La discrimination fondée sur la religion n’est généralement pas au centre de l’EDI, et la blanchité est considérée comme un système de privilèges. Cette intersection ne rend pas compte de la condition juive et alimente les vieux clichés antisémites selon lesquels la communauté juive détient des pouvoirs de manipulation et des privilèges dans les universités.
Le colonialisme de peuplement est un cadre important pour aborder la question de la marginalisation des peuples autochtones au Canada. En l’appliquant de manière simpliste au sionisme et à la formation d’Israël, on néglige l’histoire longue et complexe du territoire et on crée une fausse dichotomie entre le peuple juif en tant qu’incarnation de l’oppression (forces coloniales blanches) et le peuple palestinien en tant que peuple autochtone. Cette vision binaire fait abstraction de la diversité des liens historiques, culturels et spirituels qui unissent les Juifs à la terre et alimente de nouvelles formes d’antisémitisme. Elle explique les violations des codes éthiques de l’EDI après le 7 octobre, telles que le rejet de preuves de violence sexuelle à l’encontre de femmes israéliennes, des célébrations du massacre du Hamas, et des panels académiques traitant de l’antisémitisme et de l’antisionisme au sein desquels aucune voix juive (dominante) n’est incluse.
La montée de l’antisémitisme sur les campus est utilisée comme arme contre l’EDI et alimente les appels à son démantèlement. Il s’agit d’une erreur à mon avis. Nous devons avoir le courage de remédier à cette omission afin de créer un cadre plus nuancé, autocritique et véritablement inclusif.
Il existe des mesures immédiates que les professeures et professeurs d’université au Canada peuvent prendre.
Au sein de l’établissement :
- Demander à la direction des universités et aux bureaux d’EDI de traiter systématiquement l’antisémitisme dans les politiques et les plans d’action de l’EDI.
- Consulter le milieu étudiant, le corps enseignant et le personnel juifs. Le principe de « Rien sur nous, sans nous » ne doit pas être négligé lorsqu’il s’agit d’antisémitisme.
- Faire place à la complexité plutôt que d’alimenter les dissensions. Demander aux universités d’offrir des espaces d’apprentissage et de dialogue.
En classe :
- Prendre le pouls de la communauté étudiante juive — vérifier si ses membres ont besoin de parler et si la communauté se sent en sécurité sur le campus.
- Se rappeler que, comme pour beaucoup d’autres groupes d’appartenance, les membres de la communauté étudiante juive (et de nationalité israélienne) sont nés avec cette identité. Ils et elles ne sont pas des représentants et des représentantes d’Israël ou du peuple juif. Ils et elles ne devraient pas être mis sur la sellette ni être tenus d’aborder des questions politiques.
- Encourager le dialogue au-delà des différences. Comprendre ne signifie pas être d’accord. Donner l’exemple et travailler à comprendre plutôt qu’à faire converger les points de vue. Nous pouvons avoir des opinions politiques différentes tout en reconnaissant l’humanité de chaque personne.
Lilach Marom Professeure adjointe, faculté d’éducation, Université Simon Fraser