Par Andrea Reid
« Apprendre, c’est super cool », m’a lancé une étudiante en quittant mon bureau par un après-midi ensoleillé de mars dernier. Ses études de premier cycle tirant à leur fin, elle envisageait de s’inscrire à un programme de cycle supérieur. Sachant que j’avais récemment terminé mon doctorat, elle était passée à mon bureau armée de questions judicieuses sur mon expérience et les décisions qui avaient ponctué mon parcours.
Mon étudiante commençait à se voir différemment. La théorie et le dialogue académiques avaient changé sa façon de comprendre le monde. Les études supérieures semblaient offrir un moyen passionnant d’explorer davantage les merveilles et les fruits de l’enquête réflexive. Cet après-midi-là, nous avons eu une conversation stimulante sur l’enseignement, l’apprentissage et la réflexion qui m’a rappelé pourquoi j’avais choisi d’obtenir mon doctorat.
Notre discussion a également soulevé des questions éthiques : Comment puis-je dresser un portrait réaliste des études supérieures et de leurs perspectives sans étouffer les rêves de mon étudiante? Quelles sont mes responsabilités en tant que boursière postdoctorale et professeure auxiliaire qui exerce une influence sur les étudiantes et étudiants, mais a peu de moyens de modifier les conditions au sein de l’université dans son ensemble?
J’aime la théorie critique et je crois en la valeur de l’enseignement supérieur. Un moment de lucidité ou d’inspiration dans une classe de premier cycle peut déclencher une passion à vie pour l’apprentissage qui se grave dans le moi profond et mène à des investissements émotionnels et psychiques dans une certaine vision de la vie académique. Or, la force de tels liens affectifs rend le personnel académique vulnérable à l’exploitation.
Plutôt que le début d’une vie passionnante d’enrichissement intellectuel et émotionnel, Adrianna Kezar, Daniel Scott et Tom DePaola affirment que « les études supérieures ne sont que la première étape d’un long processus de victimisation qui mise sur la peur des coûts irrécupérables pour emprisonner les universitaires hautement qualifiés dans un marché du travail occasionnel qui a été créé de la sorte de façon active et non accidentelle. »
Dans le secteur des études supérieures, des changements structurels à long terme ont conduit à la prolifération des emplois précaires, surtout chez les personnes occupant des postes d’enseignement. À l’Université Queen’s, où je travaille, 41 % des cours sont dispensés par du personnel auxiliaire, un pourcentage qui devrait augmenter à la suite du récent gel de l’embauche de personnel à temps plein par l’administration.
Il n’est pas surprenant que beaucoup d’étudiantes et d’étudiants se sentent désillusionnés et démoralisés lorsqu’ils terminent leur doctorat et par la suite durant leur carrière postdoctorale. Après des années de bourses refusées, d’insécurité financière et de perspectives d’emploi médiocres, la fin du doctorat peut donner la sensation non pas d’un événement marquant, mais plutôt d’une crise existentielle.
J’ai eu plusieurs conversations avec des amies et amis qui, à la fin de leur doctorat, ont remis en question non seulement la valeur de leur contribution possible au monde, mais aussi leurs capacités et leur intelligence en général. On parle ici d’une situation qui va bien au-delà du syndrome de l’imposteur et qui témoigne d’un grave problème lié à l’expérience doctorale et au système académique plus vaste.
Depuis les années 1970, les universités canadiennes ont systématiquement augmenté le nombre de programmes de doctorat et de diplômes offerts, tout en diminuant simultanément le nombre de postes à temps plein et de postes menant à la permanence. Par conséquent, de plus en plus de titulaires de doctorat acceptent des bourses postdoctorales à long terme, soit des postes qui constituent davantage des sources de main-d’œuvre bon marché que des tremplins vers un emploi sûr.
À l’Université Queen’s par exemple, le salaire minimum pour les postdoctorantes et postdoctorants est actuellement de 35 958 $, ce qui équivaut à 18,69 $ de l’heure pour une semaine de 37 heures. Les personnes occupant des emplois postdoctoraux se voient également refuser l’accès aux services de santé sur le campus et aux logements communautaires de l’université.
Comme moi, beaucoup de postdoctorantes et de postdoctorants font également partie du personnel auxiliaire et supervisent des étudiants de premier cycle. Ces rôles auprès des étudiantes et des étudiants nous placent dans la position éthiquement ambiguë d’encourager l’intérêt pour la recherche académique tout en sachant que cet intérêt pourrait mener à des carrières tout aussi précaires.
Pendant que les universités de l’ensemble du Canada organisaient une série de soirées et de présentations à l’occasion de la Semaine nationale d’appréciation des postdoctorantes et des postdoctorants, les postdoctorantes et postdoctorants de l’Université Queen’s, se préparaient à entamer des négociations. N’étant plus soumis au projet de loi 124, nous réclamons des salaires équitables qui suivent le coût de la vie et demandons des droits fondamentaux comme l’accès aux soins de santé.
Nous voulons obtenir les ressources nécessaires pour subvenir à nos besoins. Les présentations sur les recherches menées donnent bonne figure aux universités, mais ne changent rien aux conditions matérielles de nos vies. En prenant nos préoccupations au sérieux, les universités ont la possibilité de témoigner de leur appréciation sincère à l’égard de notre travail et d’améliorer nos conditions de travail.
Andrea Reid est postdoctorante et professeure auxiliaire à la School of Kinesiology and Health Studies de l’Université Queen’s.