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Profil / La solidarité jette les bases d’une grève extraordinaire

Profil / La solidarité jette les bases d’une grève extraordinaire

Aux États-Unis en avril dernier, Rebecca Givan a capté l’attention nationale lorsqu’elle a mené son syndicat ainsi que deux autres lors de la première grève à l’Université Rutgers au cours de ses 257 années d’existence. La grève, touchant 9 000 membres du personnel académique, était l’une des plus imposantes de l’histoire américaine dans le secteur de l’enseignement supérieur.

À titre de présidente de la Rutgers American Association of University Professors–American Federation of Teachers (AAUP-AFT), Rebecca Givan lutte pour l’équité et de meilleures conditions de travail. Son syndicat représente 5 000 professeures et professeurs à temps plein, travailleuses et travailleurs diplômés, associés postdoctorants et conseillères et conseillers.

Elle a livré le discours principal lors de la Conférence du personnel académique contractuel de l’ACPPU qui s’est déroulée en octobre et a relaté aux participantes et participants l’histoire de la grève.

En 2020, certaines universités américaines ont utilisé la pandémie comme prétexte pour procéder à des coupures de personnel. L’Université Rutgers disposait d’un fonds d’urgence pour pallier des crises comme la pandémie, mais l’administration a jugé préférable de mettre à pied des travailleuses et travailleurs précaires.

« Très rapidement, nous avons créé une coalition des syndicats de Rutgers », a affirmé Rebecca. Plus de 24 syndicats représentant 20 000 travailleuses et travailleurs, incluant les membres auxiliaires du corps professoral, se sont unis pour s’opposer aux mises à pied. Ils ont proposé l’idée d’un programme de « partage du travail » afin de prévenir les mises à pied. L’université accorderait aux travailleuses et travailleurs un congé équivalent à une petite partie de leurs heures de travail, les déficits salariaux étant compensés par des fonds gouvernementaux.

Ce programme de congé proposé permettrait d’économiser des centaines de millions et offrirait la possibilité aux travailleuses et travailleurs précaires de continuer à soutenir leurs familles, a-telle dit. Mais les syndicats se sont heurtés à la résistance de l’université.

Les syndicats ont également travaillé pour atteindre un équilibre entre les professeures et professeurs permanents qui communiquent avec l’administration au nom des membres du corps professoral dont la situation était la plus précaire, et les travailleuses et travailleurs les plus précaires qui défendent leur propre cause. « Je préfèrerai toujours que les gens parlent en leur propre nom, mais s’il existe un avantage stratégique à faire autrement et que nous pouvons ainsi obtenir des gains matériels, je suis ouverte à cette idée », a affirmé Rebecca.

Au moment où les négociations contractuelles ont commencé en mai 2022, les trois syndicats de l’université se préparaient déjà à une grève. « Nous avons toujours su que nous devions être prêts à faire la grève, a déclaré Rebecca. Nous savions quelle était l’approche de la direction. Nous avions vécu l’expérience de négociations en temps en pandémie. Nous étions convaincus de devoir nous préparer à vivre une grève. »

La coalition des syndicats a adopté un processus de négociation transparent et inclusif grâce auquel jusqu’à 75 membres pouvaient agir en tant qu’observatrices et observateurs. En mars 2023, il est apparu clairement à Rebecca et à ses membres que l’université ne souhaitait pas négocier. « Au moment où nous avons déclaré la grève, nous n’avions plus le choix » a-t-elle affirmé.

La grève touchait tous les membres du personnel universitaire sur le campus et a engendré la fermeture de l’université après une année de négociations. Rebecca a fait remarquer que les syndicats avaient négocié à temps plein pendant six semaines. La grève d’une semaine englobait des travailleuses et travailleurs couverts par six différents contrats et touchait 70 000 étudiantes et étudiants répartis sur huit campus.

« Je suis allée visiter cinq ou six piquets de grève pendant la première ou les deux premières heures de la grève. Autrement, j’étais constamment aux tables de négociations. Les étudiantes et étudiants nous appuyaient massivement » a dit Rebecca.

Il n’existe aucune loi au New Jersey qui interdit aux travailleuses et travailleurs du secteur public de faire la grève; cependant, il existe une solide jurisprudence en matière d’injonction. Rebecca a rappelé que certains membres du syndicat, en particulier parmi les travailleuses et travailleurs diplômés et militants, étaient disposés à rester en grève et à risquer ainsi de se faire arrêter si l’université demandait une injonction.

Les syndicats avaient une stratégie au cas où l’université opterait pour cette voie. « Nous pourrions créer simplement un chaos dans lequel les gens continueraient peut-être à donner leurs cours ou à enseigner suffisamment pour que l’université ne puisse pas vraiment contrôler s’ils n'enseignent pas, mais nous aurions toujours ce qui ressemble à des piquets de grève, et l’activisme étudiant, nous le savions, serait susceptible de s’intensifier. »

Le Gouverneur Phil Murphy est intervenu afin de ramener l’université et les syndicats à la table de négociations. Entre-temps, sur les lignes de piquetage, les leaders syndicaux ont envoyé des camions de crème glacée et des drag queens se sont jointes aux troupes. Un groupe d’étudiants musiciens a même créé un hymne sur les lignes de piquetage. La grève a fait l’objet d’une très large couverture médiatique qui lui était favorable.

Au bout d’une semaine, « nous avons pu définir un cadre économique et nous avons suspendu la grève. Nous devions ensuite poursuivre nos négociations pour conclure toutes les ententes. »

Les syndicats ont négocié des gains contractuels, notamment une augmentation de 43 % pour les membres auxiliaires du corps professoral. Les professeures et professeurs occupant un poste ne menant pas à la permanence ont obtenu des contrats renouvelables. Les travailleuses et les travailleurs diplômés ont obtenu une augmentation de salaire de 33 % pour atteindre un salaire de subsistance.

« La plus grande victoire a été la solidarité qui régnait dans nos rangs — nous sommes allés en grève afin d’obtenir des améliorations pour nos collègues auxiliaires, nos travailleuses et travailleurs diplômés et nos postdoctorants. Les professeures et professeurs à temps plein ont compris que nous devions rester solidaires si nous voulions véritablement améliorer l’Université Rutgers », a conclu Rebecca Givan.

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