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L’intelligence artificielle et l’avenir du travail académique

L’intelligence artificielle et l’avenir du travail académique

Par Lissa Cowan

Je ne suis pas inquiète à l’idée d’être remplacée, a déclaré Linda Meegan, responsable du programme de développement de l’anglais professionnel à l’Institut de technologie de la Colombie-Britannique (British Columbia Institute of Technology, BCIT). En revanche, les risques qu’elle comporte me rendent nerveuse : plagiat, perte de compétences, perte d’esprit critique, désinformation, dépendance excessive à l’égard de la technologie... »

Mme Meegan fait référence à ChatGPT, un type d’intelligence artificielle ou IA — une branche de l’informatique qui vise à développer des machines et des programmes informatiques capables d’apprendre et de penser comme des humains.

Lancé en novembre 2022, ChatGPT est une plateforme interactive d’IA qui répond à une question posée par un utilisateur. Le personnel académique, les étudiantes et étudiants sur les campus à travers le pays utilisent ChatGPT pour des activités telles que l’écriture ou l’édition, tandis que des outils similaires comme OpenEssayist, Turnitin et GradeScope peuvent être utilisés pour détecter l’IA ou aider à la notation.

« La technologie peut être utilisée de manière éthique, mais elle peut aussi l’être à mauvais escient et exploitée. L’utilisation éthique de l’IA est une question qui nous concerne tous », a déclaré Sarah Elaine Eaton, professeure agrégée en éducation à l’Université de Calgary. Ses recherches portent sur l’éthique universitaire dans l’enseignement supérieur.

« Microsoft et Google laissent entendre que d’ici la fin de l’année 2025, les technologies d’IA seront entièrement intégrées dans la suite Microsoft Office et les produits de Google. » Elle ajoute que les membres du personnel enseignant et académique ne sont pas préparés à la programmation de l’intelligence artificielle qui est pleinement intégrée dans nos technologies quotidiennes.

« Certains voudront l’interdire, d’autres voudront l’intégrer aux activités de la classe ou l’utiliser dans la conception de matériel pédagogique, d’autres encore l’autoriseront pour la relecture des travaux par les étudiantes et étudiants, et d’autres — par exemple, ceux qui enseignent l’anglais comme langue seconde — ne le feront peut-être pas, a déclaré Andrea Matthews, qui enseigne les communications au BCIT. Les étudiantes et étudiants devront comprendre que ce qui est autorisé par un professeur peut ne pas l’être par un autre, et il leur incombera de reconnaître qu’ils ont utilisé l’IA dans des travaux notés. »

L’ajout à la charge de travail du personnel universitaire de l’utilisation de l’IA par les étudiantes et étudiants peut avoir de lourdes conséquences.

« Par exemple, si le personnel universitaire travaille dans des conditions de précarité ou d’inégalité, il n’y aura pas assez de temps, d’occasions et de liberté pour s’engager dans de nouveaux outils ou problèmes potentiels, que ce soit de manière productive ou dans un esprit critique », a déclaré Marc Schroeder, professeur agrégé en informatique à l’Université Mount Royal.

Selon M. Schroeder, les syndicats du personnel académique ont réclamé une gouvernance collégiale plus importante dans les universités canadiennes et se sont efforcés de favoriser la voix du personnel académique au sein des processus collégiaux. La question de l’IA doit faire partie des actions des syndicats pour protéger le travail académique et créer un environnement d’apprentissage fructueux pour les étudiantes et étudiants.

« Ce type de questions sur la politique universitaire, notamment sur l’enjeu de savoir qui est habilité à prendre des décisions concernant les programmes d’études et le choix des outils d’apprentissage, des activités d’apprentissage et des évaluations ou des modes d’enseignement ne fait que renforcer la nécessité pour le personnel académique de participer pleinement aux processus institutionnels qui façonnent les conditions de leur travail universitaire », a-t-il déclaré.

« C’est un peu comme un réveil pour le milieu universitaire », affirme Alec Couros, professeur de technologie éducative et de médias à l’Université de Regina. Il a ajouté qu’il entendait constamment du personnel académique de tout le Canada parler d’éventuels cas d’inconduite universitaire.

Depuis 2018, Mme Eaton et son équipe ont analysé plus de 80 politiques d’inconduite universitaire de tout le Canada dans le cadre d’une analyse nationale des politiques sur l’inconduite académique dans les universités et collèges canadiens financés par des fonds publics.

« Je peux affirmer avec confiance que tous les établissements d’enseignement postsecondaire canadiens financés par des fonds publics disposent de politiques relatives à la conduite des étudiantes et étudiants et/ou à l’intégrité académique. À ma connaissance, très peu d’entre eux, voire aucun, n’ont de clauses relatives à l’intelligence artificielle. »

Selon elle, la plupart des établissements pourraient utiliser leurs politiques existantes dans une certaine mesure pour traiter les fautes impliquant une mauvaise utilisation des outils d’intelligence artificielle. Mme Eaton cite les recommandations sur l’utilisation éthique de l’intelligence artificielle dans l’éducation, publiées en mai 2023 par le Réseau européen pour l’intégrité académique, qui peuvent être transférées aux établissements canadiens.

Au Canada, plusieurs universités ont émis des lignes directrices et des politiques concernant l’utilisation de ChatGPT, notamment l’Université de Waterloo et l’UBC. À l’Institut de technologie de la Colombie-Britannique (BCIT), Mme Matthews a déclaré que le code d’intégrité académique des étudiantes et étudiants ne changera pas de manière substantielle avec l’essor des outils d’IA générative et que « sa déclaration selon laquelle les étudiants doivent s’assurer que tous les travaux académiques qu’ils produisent sont les leurs englobe l’utilisation non autorisée de l’IA ». Elle renvoie au guide sur les outils d’IA générative du BCIT qui couvre certains de ces sujets.

Des technologies de détection comme Turnitin sont utilisées par un grand nombre d’universités, de collèges et d’autres établissements publics d’enseignement postsecondaire dans le monde entier pour vérifier si les travaux des étudiantes et étudiants ne sont pas plagiés. Un autre outil, GPTZero, créé par Edward Tian, un étudiant en informatique de 22 ans de Toronto, détecte si une étudiante ou un étudiant a utilisé ChatGPT. À l’inverse, une étudiante ou un étudiant peut utiliser Quilbot pour effacer les traces d’IA d’un document avant de le rendre.

« Je ne suis pas un partisan de ces outils qui permettent de détecter si les étudiants utilisent le ChatGPT et d’autres technologies similaires », a déclaré M. Couros, ajoutant qu’une question plus appropriée serait la suivante : « Pourquoi utilisons-nous ces outils comme une technique d’évaluation qui permet aux étudiants de tricher plus facilement? »

Mme Eaton est d’accord avec une approche plus proactive de l’IA.

« Supposer que les étudiants n’utilisent les applications d’intelligence artificielle que pour tricher est réducteur, et cette affirmation n’est étayée par aucune recherche actuelle. » Elle a fait remarquer que les étudiantes et étudiants utilisent depuis des années des applications basées sur l’intelligence artificielle, par exemple pour vérifier leur grammaire. Selon Mme Eaton, les établissements d’enseignement supérieur peuvent et doivent élaborer et dispenser des cours de premier cycle sur l’utilisation de ces technologies. Elle a cité en exemple la Haskayne School of Business de l’Université de Calgary, qui proposera à l’automne un cours de premier cycle sur l’IA générative et la rédaction de textes.

M. Schroeder considère également l’avènement des outils d’IA comme une occasion pour le personnel académique de se poser des questions sur les théories de l’apprentissage. « En quoi ces activités [d’apprentissage et d’évaluation] contribuent-elles spécifiquement à l’apprentissage des étudiants?

Comment révèlent-elles, ou non, que l’apprentissage a lieu? » Comment cette tâche d’analyse supplémentaire affecte-telle la charge de travail?

Selon Mme Eaton, il doit y avoir un moyen de s’assurer que les étudiantes et étudiants apprennent et ont la possibilité de démontrer ce qu’ils ont appris sans alourdir la charge de travail du personnel académique.

« Des membres du personnel académique m’ont demandé quand des applications d’IA seraient disponibles pour les aider à noter les travaux des étudiantes et étudiants et quelles applications d’IA pourraient les aider à alléger leur charge de travail », a-t-elle déclaré. Il y a également des implications pour le travail universitaire, comme le fait que le personnel enseignant a besoin d’une formation pour apprendre à utiliser les applications d’IA dans leurs disciplines respectives.

Alors que la pandémie a incité à réévaluer les approches de l’enseignement et de l’apprentissage, l’IA perturbe à nouveau l’enseignement supérieur, et les syndicats de personnel académique doivent se mobiliser autour de cette question. Des structures et des politiques de prise de décision partagées sont nécessaires pour réunir la communauté universitaire et lui permettre de relever les défis de l’IA. Le territoire inexploré de l’IA exige également des engagements financiers de la part des gouvernements fédéral et provinciaux pour s’attaquer à des questions telles que la disparité salariale et les conditions de travail du personnel académique.

« Lorsque les conditions de travail du personnel académique sont saines, nous pouvons mieux remplir notre rôle dans l’intérêt des étudiantes et étudiants et des collectivités à qui nous offrons des services », a déclaré M. Schroeder.

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