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Un changement radical dans notre façon d'enseigner et d'apprendre

Un changement radical dans notre façon d'enseigner et d'apprendre

par John Lorinc

Le président de la Dalhousie Faculty Association, David Westwood, découpe la période que nous traversons en parlant des trois phases de l'enseignement en ligne — une référence à moitié ironique aux cinq étapes du deuil d'Elizabeth Kubler-Ross.

La première, en mars 2020, marquée par la frustration, lorsque d'innombrables enseignants se sont vus obligés de devenir du jour au lendemain des experts de l'enseignement sur des plateformes comme Zoom. La deuxième phase ressemblait davantage à de la négociation : le personnel enseignant a appris à tirer parti de ce nouveau média, voire à améliorer l'expérience d'apprentissage.

La phase finale, cependant, est encore en gestation alors que les enseignants, les associations de personnel académique et les administrations s'efforcent d’officialiser ce qui constitue un changement radical dans la façon dont le personnel académique enseigne. Comme le soulève David Westwood, professeur de kinésiologie : « Que veut dire enseigner? »

Une poignée d'établissements canadiens et d'associations de personnel académique ont été confrontés à cet épineux problème lors de récentes négociations collectives. La question d’inscrire une disposition relative à l'enseignement en ligne dans les conventions collectives est devenue un point urgent à l’ordre du jour, alors que de nombreuses associations sont retournées à la table des négociations.

D'une certaine manière, cette question n'est pas inédite. Les cours d’enseignement à distance et les cours en ligne ouverts à tous existent depuis des années. Dans les deux cas, les associations de personnel académique ont négocié des dispositions relatives à ce type de cours dans les conventions collectives.

Les problèmes de convention collective liés à l'enseignement en contexte de pandémie et l'utilisation de plateformes en ligne sont cependant à distinguer, notamment parce que tout le monde a dû s’adapter au printemps 2020. Des questions ont alors été soulevées concernant les demandes d’accommodement des étudiants pendant la pandémie, la pression exercée par les administrateurs pour offrir des activités en présentiel aux étudiants, et les attentes des étudiants quant à ce qui constitue un cours. À son tour, le personnel enseignant s’est inquiété de la protection du matériel de cours en ligne, de la flexibilité et de la pratique de la prestation de cours hybrides.

De plus, maintenant que l'enseignement en ligne est devenu monnaie courante, même si les universités et les collèges ont repris les cours en présentiel, de nombreuses associations de personnel académique ont vu apparaître de fortes divergences d'opinion parmi leurs membres : « Certains membres nous ont dit :‘Oh, ça alors, j'ai hâte de retourner dans la salle de classe, je ne veux plus jamais enseigner en ligne’, a déclaré Orvie Dingwall, présidente de l'Association des professeurs de l'Université du Manitoba (UMFA). D'autres membres nous ont dit : ‘Oh, cela m'a ouvert tellement de possibilités en tant qu’enseignant, je ne veux plus jamais me retrouver dans une classe en présentiel’. Et plusieurs personnes se situent entre les deux extrêmes. »

Au delà des points de vue de chaque membre du personnel académique, Mme Dingwall, bibliothécaire associée, affirme que les enjeux relatifs à l'enseignement en ligne — contrôle de la propriété intellectuelle, choix du mode d’enseignement, etc. — sont devenus un important sujet de négociation. « Nos membres ont fait savoir haut et fort qu'en cas d’éventuelle modification de la conception des cours, le personnel académique devait avoir son mot à dire sur le choix de l'enseignant, ainsi que sur le processus collégial de protection de la propriété intellectuelle et sur la décision de savoir si le cours peut être donné en présentiel ou en mode virtuel. »

Ce sont précisément ces questions qui ont occupé le devant de la scène lorsque l'UMFA a déclenché une grève à la fin de l'année 2021. Selon Mme Dingwall, cette grève a notamment permis à l’Université du Manitoba et à l'association du personnel académique de mettre sur pied un comité conjoint axé sur la technologie, l'enseignement et l'apprentissage, qui étudiera la meilleure approche à adopter.

Mais avec la reprise des cours en présentiel à l'automne 2022, le personnel académique s’est retrouvé à subir des pressions pour offrir des cours hybrides, avec des caméras dans les salles de classe. « Personne ne veut revenir en salle de classe avec une caméra les filmant, tout en enseignant simultanément aux étudiants qui sont en mode virtuel et aux étudiants qui sont en présentiel, affirme Mme Dingwall. Ce n'est pas la bonne façon de donner des cours, nos salles de classe et nos amphithéâtres ne sont pas équipés pour cela. »

La même préoccupation a fait surface lors des négociations de 2021 à l'Université Concordia d'Edmonton, et portait sur la question de savoir si l'administration devrait pouvoir imposer des exigences en matière d'enseignement en ligne. La question centrale, selon Glynis Price, présidente de l'association du personnel académique, « était assez claire ». La décision devrait être laissée au personnel académique. D’ailleurs, la nouvelle convention collective, ratifiée en janvier 2022, a explicitement établi ce droit.

À l’Université Dalhousie, l'histoire s'est déroulée différemment, au moins en partie parce que l'université a longtemps promu l'expérience résidentielle des étudiants. Après le confinement, l'association du personnel académique a demandé à un arbitre du travail de décider si l'université pouvait unilatéralement ordonner que tout l'enseignement soit transféré en ligne. L'association a perdu — l'arbitre a estimé qu'une urgence de santé publique l'emportait sur la clause de consentement contenue dans la convention collective — mais des frictions concernant l'enseignement en ligne ont fait surface lors des négociations contractuelles et de la tenue d'un vote en décembre dernier.

« Nous n'avions aucune disposition sur l'enseignement en ligne, a indiqué David Westwood. Nous sommes partis de zéro. »

Une grande partie des négociations a porté sur la charge de travail. « Nous sommes venus à la table de négociation avec un point en particulier, soit la reconnaissance de la charge de travail supplémentaire qui découle non seulement de l'enseignement en ligne, mais aussi du changement, a-t-il expliqué. Si vous aviez prévu ou planifié d'enseigner en présentiel ou selon un mode traditionnel et qu'on vous dit [ensuite] que vous devez changer de mode d’enseignement, comment cela doit-il être reconnu en termes de rémunération ou de libération d'autres tâches? »

L'association du personnel académique a fait pression sur l’Université Dalhousie pour qu'elle accorde une allocation pour le travail supplémentaire et a négocié une nouvelle convention collective contenant des dispositions explicites sur la charge de travail en ligne. La convention collective précise que les administrateurs doivent faire des « efforts raisonnables » pour informer le personnel académique longtemps à l'avance des affectations de travail pour l'année universitaire à venir, y compris la prestation de cours en ligne. La convention collective dresse également la liste des formes de compensation pour le travail lié aux affectations d'enseignement en ligne, y compris l'ajout d'un soutien pédagogique ou d'allocations. « C’est une victoire pour nous », a déclaré M. Westwood.

Il souligne également un changement important dans le discours sur l'enseignement en ligne. Au début de la pandémie, de nombreux membres du personnel académique le détestaient. Mais lorsque l'université a commencé à faire pression pour la reprise des cours en présentiel, plusieurs d’entre eux avaient non seulement appris à enseigner à distance mais avaient également amélioré l'expérience pédagogique. Pour plusieurs, les frontières entre l'enseignement en présentiel et l'enseignement en ligne sont devenues floues, car ils passent d'un mode à l'autre en fonction de leur pédagogie. « Un travail de réflexion est à faire sur les définitions, ajoute M. Westwood. Que devons-nous dire maintenant aux étudiants lorsqu'ils s'inscrivent à un cours en particulier? »

Des questions restent non résolues au sujet des demandes d’accommodement de la part des étudiants et du personnel académique. Le passage à la formation à distance pendant la pandémie a été bénéfique pour les étudiants et le personnel académique ayant des problèmes d'accessibilité, et a donc suscité des attentes quant à ce que les universités et les collèges devraient fournir à ces deux groupes. « Pour nos membres ayant une incapacité physique, visuelle, auditive ou autre, le passage à l'enseignement en ligne a créé de réelles opportunités d'inclusion », explique Mme Dingwall.

D'autres se demandent ce qui est sacrifié à l'ère de l'enseignement en ligne. David Bakhurst, professeur de philosophie à l'Université Queen's, a écrit un texte sur les implications pédagogiques de l'enseignement en ligne et sur la façon dont il peut nuire à l'expérience d'apprentissage. « Il est très difficile de favoriser un sentiment de communauté, explique-t-il. Vous ne pouvez pas vraiment détecter si les gens comprennent la matière ou s'ils s'ennuient. »

Pourtant, il reconnaît également que les plateformes ont fourni des solutions qui ne fonctionnent parfois pas aussi bien dans la salle de classe physique, notamment la possibilité de créer de petits groupes virtuels et la possibilité qu’ont les étudiants de s'inscrire à une combinaison de cours en ligne et en personne. « Je connais des étudiants qui aiment combiner les deux parce que cela leur permet de mieux gérer leur temps. »

Toutefois, les avantages et les inconvénients de l'enseignement en ligne pourraient bientôt être de l'histoire ancienne, compte tenu de l'émergence de ChatGPT. « Tous mes collègues en parlent, affirme M. Westwood. Ils ont presque oublié la COVID et disent : 'Qui s'en soucie maintenant? J'ai un problème plus important. Je ne sais plus comment évaluer les étudiants'. L'avenir est très incertain quant à ce qui va se passer dans six mois, et encore moins dans cinq ans. »

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