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Entrevue / Valentin Migabo

Entrevue / Valentin Migabo

[UQAM / Nathalie St-Pierre]

Pour le politologue et spécialiste en gestion des conflits et de la paix, originaire de la République Démocratique du Congo (RDC), Valentin Migabo, l’année 2019 a été celle d’un nouveau départ. En devenant le premier chercheur invité par le comité Scholars at Risk (Universitaires en danger, en français) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), il a pu enfin publier ses travaux sur la région des Grands lacs. Valentin est actuellement chercheur affilié au Centre des droits de la personne et du pluralisme juridique de l’Université McGill (Universitaires en danger – récipiendaire de la bourse O’Brien).

Parlez-nous de la situation dans la région des Grands lacs?

La situation est instable dans la région des Grands lacs qui comprend la RDC, le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda. Les populations vivent une situation de violations des droits de l’homme, d’enlèvements, de disparitions, et de morts quotidiennes. Il y a eu bien entendu, le clivage ethnique entre les hutus et les tutsis qui a conduit au génocide rwandais en 1994, mais les régimes autoritaires des chefs d’État qui s’éternisent au pouvoir sont la cause principale des conflits armés dans cette région.

Quels sont les personnes les plus touchées par la situation en RDC?

La RDC est en guerre depuis 1996 et plus de 137 groupes armés y sont actifs. Les chercheurs qui enquêtent sur les atrocités commises contre les populations sont souvent la cible du pouvoir, des miliciens et parfois des populations qui craignent des représailles. Toute recherche sur la mémoire des victimes des conflits, se penche inévitablement sur le pillage organisé des ressources naturelles et sur la mauvaise gouvernance. Les chercheurs, les défenseurs des droits humains, et les journalistes sont donc souvent victimes de censure, reçoivent des menaces de mort, et certains disparaissent sans laisser de traces.

Les femmes, les enfants, et les gardes de parcs et réserves naturelles sont les premières victimes des conflits armés. Le viol des femmes est utilisé comme arme de guerre. Elles vivent, la peur au ventre. Le recrutement d’enfants soldats est aussi une pratique courante. Ces enfants n’ont souvent pas d’autres alternatives viables pour gagner leurs vies. Les groupes armés tuent aussi les gardes des réserves naturelles parce qu’ils sont les seuls à leur opposer une résistance dans l’exploitation des ressources naturelles dont regorgent les parcs et réserves se trouvant dans des zones éloignées de tout service de l’État.

Quelles obstacles avez-vous rencontrés en effectuant vos recherches?

Deux jours après la présentation du thème de ma recherche sur la mémoire des personnes enterrées dans des fosses communes au Sud-Kivu, à la réunion du conseil de mon département, mon doyen m’a dit : « Mon frère, le thème sur lequel tu veux entreprendre des enquêtes est très dangereux. Est-ce qu’il n’y a pas moyen de laisser tomber ? » Un collègue a essayé de me décourager pendant que d’autres m’ont dénoncé aux autorités. J’ai été interpellé par le service de renseignement : « Nous avons appris que vous travaillez sur les fosses communes. En quoi cela vous intéresse? En quoi c’est votre affaire ? »

J’ai été victime de censure et aussi de tentative de corruption. En 2016, un ministre du gouvernement m’avait proposé de l’argent pour que mon article sur les causes de la persistance des groupes armés en RDC soit publié à son nom. Face à mon refus catégorique, cet article n’a jamais été publié en RDC. Je n’ai pu publier cet article qu’une fois arrivé à l’UQAM.

Comment s'est passée votre arrivée à l'UQAM?

Je suis arrivé à l’UQAM fin mai 2019 sur invitation de la Faculté de science politique et de droit et de la Faculté de communication, en partenariat avec Scholars at Risk. J’ai été accueilli et installé par des personnes géniales et je tiens à remercier tous ceux qui de près ou de loin ont contribué à ma venue au Canada. J’ai reçu un appui considérable du syndicat des professeurs.

Mes collègues m’ont fourni beaucoup d’aide pour trouver une maison et faire venir ma famille auprès de moi. Je me suis senti très à l’aise dans mon cadre de travail et aussi en dehors. J’ai eu l’occasion de faire des conférences publiques mais aussi pendant des cours que donnaient mes collègues. J’ai eu l’opportunité de partager mes connaissances et mon expérience sur les conflits armés.

Quel rôle peuvent jouer les associations de professeurs?

Les associations de professeurs jouent déjà un rôle important parce que leurs membres s’intéressent à la situation en RDC. Les professeurs canadiens interviennent régulièrement dans les médias pour informer le grand public sur les atrocités qui y sont commises.

En juin 2020, un groupe d’universitaires et de défenseurs des droits humains canadiens a demandé à la Cour pénale internationale d’ouvrir une enquête sur l’ancien président de la RDC, Joseph Kabila. Mon récent article sur les violations des droits des femmes et des enfants sur les sites miniers a fait l’objet d’un lobby sur le plan international avec l’aide de professeurs canadiens, notamment de l’Université McGill. Cet activisme est louable et ne passe pas inaperçu.

Les associations de professeurs peuvent jouer un plus grand rôle en encourageant les discussions sur la situation en RDC dans les milieux académiques. Ceci entraînera éventuellement, je l’espère, un grand intérêt pour ce sujet parmi les étudiants qui produiront des thèses sur les différents aspects et impacts des conflits armés. Une thèse sur les ressources naturelles de la RDC a été récemment publiée à l'UQAM. Plus il y aura de telles productions intellectuelles, plus le public comprendra la complexité de la situation.

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