Par Carys Craig
Le Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) s’est réuni en novembre dernier, avec pour toile de fond une crise sanitaire mondiale qui a fondamentalement modifié nos méthodes d’enseignement et d’apprentissage. La législation en matière de droit d’auteur doit désormais être adaptée à cette nouvelle situation.
Lorsque la pandémie de COVID-19 s’est étendue aux quatre coins de la planète au début de 2020, la plupart des établissements scolaires, de Dublin à Delhi, ont été contraints de fermer leurs portes et d’organiser l’enseignement en ligne. Les manuels scolaires ont été abandonnés dans les casiers des élèves, les livres laissés intacts sur les étagères des bibliothèques. Les enseignant·e·s ont dû se tourner vers les méthodes d’enseignement à distance pour permettre à leurs élèves de terminer avec succès ce semestre maudit. Mais ce basculement rapide vers les classes Zoom, les cours Moodles, les leçons enregistrées à domicile, ou encore la publication de PDF, a fait resurgir la question des restrictions en matière de droit d’auteur, interrogeant la légalité des pratiques d’apprentissage en ligne, devenues subitement plus que nécessaires.
Dans la parution prochaine d’un article, Bob Tarantino et moi-même analysons comment le confinement imposé par la pandémie a stimulé, comme jamais auparavant, la créativité, les échanges culturels et l’apprentissage en ligne. Nous apportons également quelques témoignages révélant les obstacles très réels imposés par la législation en matière de droit d’auteur, avec ses règles complexes, les risques de poursuites et leurs effets dissuasifs.
Le problème est lié à la portée considérable du droit d’auteur. La législation actuelle en la matière protège quasiment tout écrit, dessin, chant, interprétation ou enregistrement pour une durée allant de cinquante à plus de cent ans. Elle offre une protection non seulement contre toute copie intégrale d’une œuvre mais aussi contre toute copie d’une partie substantielle de cette dernière, toute l’ambiguïté résidant dans ce que l’on entend par « partie substantielle ». Si faire des copies était autrefois une pratique coûteuse, les technologies numériques d’aujourd’hui impliquent que presque toutes les activités en ligne sont associées à de multiples reproductions numériques. La législation en matière de droit d’auteur protège également contre les représentations publiques non autorisées, ce qui inclut les communications en ligne.
Comme on peut le comprendre, un grand nombre d’enseignant·e·s nourrissent des inquiétudes par rapport au droit d’auteur, alors qu’il·elle·s mettent tout en œuvre pour planifier et dispenser leurs cours depuis leur domicile. Mes collègues se demandaient avec inquiétude quelles images pouvaient être présentées dans le cadre de leurs cours via Zoom, tandis que la bibliothèque se démenait pour aider les élèves à accéder aux lectures requises. Il ressort d’une récente étude menée dans une bibliothèque universitaire canadienne que 85 % des manuels de cours existants ne sont tout simplement pas disponibles dans un format autre qu’imprimé. Et ce problème ne se limite pas uniquement à l’enseignement supérieur. Mes propres enfants, s’efforçant de suivre les cours à domicile, n’ont pas pu accéder à leurs manuels scolaires, tandis que mon fils de neuf ans a dû attendre trois mois avant que son professeur de primaire n’ose lire une histoire à sa classe de quatrième année.
Dans un premier temps, plusieurs maisons d’édition et fournisseurs de bases de données ont fait preuve de bonne volonté en augmentant la disponibilité des ressources, quoique de façon limitée. Certaines sociétés de gestion du droit d’auteur (qui en assurent la gestion pour les propriétaires) ont proposé une augmentation temporaire du pourcentage de copies autorisées. L’une d’entre elles, la société canadienne Access Copyright, s’est associée à diverses maisons d’édition pour lancer « Read Aloud », un programme de lecture à voix haute d’un catalogue limité de livres, en renonçant temporairement aux droits de licence pour les heures de lecture en ligne, à condition que les enseignant·e·s communiquent un rapport complet de ce qui a été lu, en quelle quantité, par qui et pour qui et que les enregistrements soient ensuite détruits.
Ces mesures étaient trop limitées, inutilement éphémères (la plupart ont expiré à ce jour) et, dans certains cas, redondantes (la lecture à voix haute à des élèves ne constitue pas une violation du droit d’auteur au Canada, aucune licence ou dérogation n’étant nécessaire pour ce type d’activité). Ces initiatives ont permis de mettre en exergue les problèmes existants liés au modèle d’édition commerciale des ressources éducatives, ainsi que les systèmes de licences collectives trop restrictifs et opaques auxquels sont largement soumis le personnel enseignant et les élèves.
Si la législation en matière de droit d’auteur est le nœud du problème, elle est aussi une source de solutions potentielles. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans sa déclaration : « La Loi est généralement présentée comme établissant un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur ». En effet, la plupart des activités qui suscitent des inquiétudes parmi mes collègues enseignant·e·s sont déjà protégées par les droits des utilisateur·rice·s. La loi canadienne relative au droit d’auteur prévoit des exceptions concernant la lecture publique pour l’éducation et la formation (y compris pour les leçons dispensées en ligne) et l’argument de l’utilisation équitable pour l’éducation et l’étude privée. Ces dispositions doivent être interprétées dans une perspective selon laquelle « L’équilibre traditionnel entre auteurs et utilisateurs doit être préservé dans le monde numérique ». À partir du moment où la lecture à voix haute ou la présentation d’une illustration sur PowerPoint est légale en classe, cela doit également être légal en ligne.
Le problème est que les exceptions spécifiques pour l’éducation ne sont pas suffisamment définies et restent difficiles à comprendre et à satisfaire, tandis que l’argument de l’utilisation équitable appelle une évaluation au cas par cas spécifique en fonction du contexte, ce qui explique la réticence du personnel enseignant et des établissements scolaires à s’y fier. Il en résulte une culture de la « permission d’abord » ou de la « crainte de contrevenir » préjudiciable aux droits des uilisateur·rice·s et restreignant indûment les activités éducatives du personnel enseignant et des élèves.
Le problème est encore plus palpable au niveau international. Nombreux sont les pays dont la législation en matière de droit d’auteur n’a pas été révisée pour couvrir l’enseignement en ligne et à distance. Nombreux sont les pays où il n’existe pas de dispositions générales prévoyant l’utilisation équitable ou la copie à des fins éducatives. Un grand nombre d’établissements scolaires exercent leurs activités dans le cadre de systèmes législatifs ou de licences collectives spécifiques prévoyant l’utilisation de technologies telles que la photocopie et la télécopie, mais pas la copie numérique ou la communication en ligne. Et même lorsque la loi autorise de telles utilisations, elles sont souvent empêchées par des licences privées et des clés numériques légalement protégées.
En cette période de fermeture des bibliothèques et de l’apprentissage isolé, cette situation est intenable. L’accès à l’éducation et à la connaissance est un droit et une condition essentielle pour faire progresser l’égalité. Lorsqu’il s’agit de pour-suivre la pratique essentielle de l’éducation et de l’apprentissage en période de COVID-19, la législation en matière de droit d’auteur ne devrait pas créer indûment des obstacles aux possibilités offertes par la technologie.
Nous pouvons tirer ici deux enseignements immédiats. Primo, nous devons repenser les modèles traditionnels de l’édition, qui n’offrent pas la possibilité au personnel enseignant et aux élèves, ou leur font craindre, d’accéder aux ressources pédagogiques et de les partager. Notre situation actuelle ne fait que souligner le besoin urgent de passer de l’édition commerciale et propriétaire aux ressources éducatives libres et aux modèles de libre accès des contenus scientifiques et éducatifs. Les instructeur·rice·s, institutions, organismes de subvention et gouvernements devraient faciliter cette transition et, surtout, en faire une priorité stratégique.
Secundo, nous devons tout faire pour pouvoir continuer à utiliser équitablement, à des fins pédagogiques, les ressources sous droit d’auteur, légalement et concrètement. Le système international du droit d’auteur autorise des exceptions pour les utilisations équitables, notamment à des fins d’illustration de l’enseignement, qui (il est convenu au niveau international) peuvent être transposées et étendues de façon appropriée à l’enseignement numérique. Ce dont nous avons besoin à présent, et ce qui j’espère ressortira du Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes de l’OMPI, c’est un accord international visant à garantir que le personnel enseignant et les élèves du monde entier puissent bénéficier du droit d’auteur et de ses limites, à l’heure où ils mettent tout en œuvre pour surmonter les défis que pose cette crise sanitaire. Nous avons besoin d’une déclaration de principes claire réaffirmant l’importance de l’accès à la connaissance et à l’éducation, considéré comme un droit, maintenant et quelle que soit la « nouvelle normalité » qui émergera.
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Carys J. Craig est professeure agrégée à l’Osgoode Hall Law School de l'Université York, située à Toronto, au Canada, et directrice académique du LL.B professionnel en droit de la propriété intellectuelle d’Osgoode.
Cette chronique est parue le 17 novembre 2020 dans Worlds of Education (www.worldsofeducation.org).