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Entretien / Catherine Nolin et Grahame Russell

Entretien / Catherine Nolin et Grahame Russell

[Brian Gorlick]

En novembre 2020, le Conseil de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université a adopté une motion dénonçant la décision impromptue du groupe d’édition Springer Nature de rompre un accord de publication prise en réponse à la pression d’un tiers et présentant une menace à la liberté académique et aux communications savantes.Le livre Canadian Mining in the Aftermath of Genocides in Guatemala décrit des violations des droits de la personne, des évictions forcées, des actes de répression, des préjudices à la santé et à l’environnement et de la corruption liés à des sociétés minières. Il est l’œuvre de Catherine Nolin et de Grahame Russell.

Catherine Nolin est directrice du programme de géographie à l’Université du nord de la Colombie-Britannique (UNBC), ainsi que présidente de la Conference of Latin American Geography (CLAG). Elle organise depuis plus de 20 ans, en collaboration avec l’avocat Grahame Russell, professeur associé à l’UNBC et directeur de Rights Action — un organisme de protection des droits de la personne, des secours en cas de catastrophe et de l’environnement — des séjours d’études au Guatemala pour les étudiants de tous les cycles.

Parlez-nous de votre travail au Guatemala.

Depuis 2000, nous offrons aux étudiants de l’UNBC des séjours d’études sur le terrain afin d’examiner les enjeux de justice sociale, les legs du génocide, les réponses dynamiques et inspirantes de la population à ces phénomènes et les jeux de puissance que les gens doivent affronter pour défendre leurs droits et leurs communautés. Nombre d’entre eux sont aux prises avec la justice et subissent de multiples pressions liées à l’ouverture de l’économie guatémaltèque, après le génocide, à des intérêts et investissements privés de partout dans le monde, notamment et surtout du Canada, des États-Unis et d’Europe.

Le livre que vous avez coécrit est axé sur l’exploitation minière. Pourquoi?

Nous avons commencé à nous intéresser à cet enjeu en 2004, alors qu’une société minière canadienne ayant appartenu à INCO était en voie de renouveler sa concession.

Les sociétés minières canadiennes, tout comme celles d’autres pays, exploitant des mines d’envergure dans des pays comme le Guatemala bénéficient nécessairement de la corruption politique et judiciaire qui entraîne immanquablement des violations des droits de la personne, des évictions forcées, ainsi que des préjudices à l’environnement et à la santé des communautés locales. Elles jouissent d’une impunité que leur procure la corruption généralisée. C’est la conclusion très claire à laquelle nous a conduit notre examen des différentes luttes liées à l’exploitation minière dans le pays, et à laquelle se greffe une autre grande conclusion, comme nous l’avons souligné dans notre livre, à savoir que les problèmes identifiés ne relèvent pas uniquement du Guatemala. Ces problèmes relèvent en large partie du Canada. Nous essayons en fait d’exposer non seulement les problèmes qui se posent au Guatemala, mais aussi les décisions, les décideurs et les politiques du Canada qui fournissent un appui inconditionnel à l’industrie minière canadienne. Notre ouvrage est une compilation d’information probante émanant d’un éventail d’acteurs aux perspectives variées qui brosse le portrait d’une situation horrible.

Quels sont les gens les plus touchés par cette terrible situation?

Toutes les luttes minières ne sont pas menées par des Autochtones, mais la grande majorité de la population guatémaltèque est composée de communautés autochtones mayas. Selon les ententes conclues, les sociétés minières remettent 1 % de leurs profits au pays et en conservent 99 %. C’est du pillage et de l’exploitation, menés sous le couvert du « développement ». C’est une brutale réalité qui, je crois, demeure inconnue de la grande majorité de la population canadienne. Ces sociétés disent exercer leur responsabilité sociale en prétendant favoriser le développement du Guatemala, en créant des emplois pour ces populations démunies. Or, dans chaque lutte minière que nous documentons, les gens avec lesquels nous travaillons veulent deux choses : imputabilité, et réparation et justice. Ils exigent aussi le départ des sociétés minières. Les gens veulent être consultés par rapport à ce dont ils ont besoin pour développer leur riche territoire. Ils veulent avoir des systèmes d’irrigation, accéder aux marchés, produire leurs propres récoltes et créer une économie locale.

Votre contrat de publication avec Springer a été abruptement et unilatéralement rompu par le groupe d’édition récemment. Que s’est-il passé?

Nous avions soumis un projet de livre très explicite à Springer, que nous avons respecté à la lettre. Compte tenu de la quantité considérable d’information probante que nous avions, nous en sommes arrivés à des conclusions que j’estime très solides, que nous avons généreusement assorties d’images, de témoignages et d’entrevues. C’est ce que nous avions proposé à l’éditeur; nous n’avons donc pas dévié de notre trajectoire et créé un ouvrage auquel il ne s’attendait pas. Nous ne savons pas exactement ce qui s’est passé, car, outre le courriel qu’il nous a envoyé, l’éditeur n’a pas communiqué avec nous en personne ou par Zoom. À nos pressantes insistances, il a finalement répondu qu’il ne pouvait pas publier le livre parce qu’il présentait du contenu diffamatoire non corroboré dans une mesure apparemment si généralisée que de simples corrections ne pouvaient suffire.

Qu’avez-vous fait?

Nous avons porté la situation à l’attention de l’ACPPU qui a soumis l’ouvrage à l’examen de son conseiller juridique. Grâce à cet extraordinaire soutien, nous savons maintenant que notre livre ne comporte aucun contenu diffamatoire. Nous avons publié une lettre qui nous a valu une certaine couverture médiatique. Soudainement, plusieurs maisons d’édition ont manifesté un intérêt envers notre livre.

Comment voudriez-vous qu’on réagisse au Canada en réponse aux enjeux que vous soulevez?

Depuis 50 ans, il y a eu une kyrielle de poursuites au civil au Canada de la part de victimes cherchant à obtenir justice auprès des tribunaux canadiens. Nous avons deux grandes demandes pour le Canada. D’une part, nous voulons une imputabilité dans nos tribunaux civils et criminels qui soit contraignante et punitive, comme doit l’être toute loi. Certains acteurs finissent par aller en prison, mais il existe une vaste impunité pénale au Canada à ce titre, ce qui, pour un pays qui érige la règle de droit et l’imputabilité en valeurs fondamentales, constitue deux poids, deux mesures. Au civil, une poignée de poursuites sont en train de se frayer un chemin devant nos tribunaux et d’ainsi faire jurisprudence; c’est donc un début, bien que très timide. D’autre part, nous voulons une responsabilité politique pour remédier au fait qu’il n’y a pratiquement aucune surveillance parlementaire sur les agissements de nos sociétés à l’étranger. Il faut élargir considérablement le débat visant à définir un modèle économique mondial approprié. Cela soulève la question du système de marché mondial, de son contrôle et de ses bénéficiaires.

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Le livre Canadian Mining in the Aftermath of Genocides in Guatemala décrit des violations des droits de la personne, des évictions forcées, des actes de répression, des préjudices à la santé et à l’environnement et de la corruption liés à des sociétés minières. Il est l’œuvre de Catherine Nolin et de Grahame Russell.

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