Par Brenda Austin-Smith
Malgré quelques améliorations dans notre secteur depuis l’adoption de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, nous ne sommes pas encore parvenus à l’équité dans les universités et collèges. Le passage à l’enseignement en ligne pendant la pandémie rend ces inégalités plus évidentes. Des études réalisées par l’ACPPU montrent que les membres de groupes sous-représentés sont plus susceptibles d’occuper des postes précaires, d’avoir une surcharge de travail due à l’obligation de remanier des cours pour l’enseignement à distance et de perdre leur emploi à cause de la COVID.
Dans un article intitulé « Disability Barriers in Academia » publié en février 2020 dans The Canadian Journal of Disability Studies, Natasha Saltes examine les politiques d’adaptation visant les personnes ayant une incapacité dans 42 universités canadiennes. Bien que les établissements d’enseignement mettent l’accent sur des politiques et procédures progressistes en matière d’incapacité, ils se concentrent surtout sur les besoins et les expériences des étudiants, pas du personnel académique. Moins de la moitié des établissements auxquels s’est intéressée Mme Saltes ont une politique d’adaptation à l’incapacité pour le personnel académique qui est facile à trouver sur un de leurs sites web. De plus, l’analyse de ces politiques et procédures a révélé un manque d’uniformité surprenant dans le langage et les définitions entre les établissements. Le libellé des politiques de nos établissements postsecondaires définit à répétition l’incapacité en termes médicaux comme étant un problème particulier à certains membres du personnel académique et pas le produit d’attitudes sociales et de circonstances. Au lieu de parler d’acceptation, cette présentation de l’incapacité en fait quelque chose qu’il faut régler ou guérir. Mme Saltes, entre autres, fait observer que la culture du milieu universitaire lui-même « encourage et valorise la validité de corps et d’esprit ». Cette attitude contribue à la stigmatisation qui, à son tour, peut décourager le personnel académique de faire état d’incapacités et de demander l’élimination des entraves au succès de leur carrière.
Les conditions de travail pendant la pandémie nous éclairent tous sur la construction sociale de l’incapacité. Nous voyons en quoi les pressions du télétravail et la détresse causée par un accès inéquitable aux ressources et aux aides de toutes sortes peuvent générer une incapacité. Dans ma province, les écoles et les garderies sont fermées ou bien ouvertes par intermittence, avec pour résultat que des collègues voient leurs horaires chamboulés, alors que leurs obligations de travail demeurent. J’ai des collègues qui n’ont pas encore obtenu leur permanence et qui s’inquiètent de l’effet de la pandémie sur leur capacité à faire des exercices en laboratoire pour aider leurs étudiants pendant leurs programmes. Comment se concentrer sur la recherche et les publications malgré l’épuisement et la peur? Les membres de l’ACPPU ont travaillé pendant toute la période de relâche de l'hiver pour finir de noter leurs copies, avant d’enchaîner aussitôt avec la préparation du nouveau trimestre en ligne. Les étudiants nous contactent pour nous dire qu’ils sont incapables de terminer leurs travaux trimestriels. J’ai eu la tristesse dernièrement de signer un formulaire de prolongation pour un étudiant qui a perdu un membre de sa famille des suites de la COVID.
L’inquiétude au sujet du rendement professionnel ou du risque de perdre son emploi, le stress prolongé de l’aidant et des postes de travail inadaptés, en plus du manque d’accès à des programmes d’aide ou à des appareils fonctionnels, montrent combien il est nécessaire que l’on comprenne de manière générale l’incapacité en milieu universitaire comme une situation sociale, plutôt que comme une condition individuelle. Et comme il s’agit d’un enjeu collectif, une action collective s’impose.
Cela me fait penser au récent webinaire de l’ACPPU sur l’équité en matière d’emploi, en décembre, et à un des principaux points soulevés dans cette discussion, à savoir que lorsque des mouvements sociaux sont à l’origine de mesures relatives à l’équité en matière d’emploi, il y a plus de chances d’un changement positif. Si les personnes ayant une incapacité font partie des groupes désignés dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi, c’est grâce à l’énergie, à la stratégie, à la conscientisation et à la solidarité des militants de la cause de l’incapacité. Par leur action, ils ont créé une plateforme sociale plus vaste qui a permis de lancer des études de genre ou des études raciales essentielles dans les universités et collèges. La vague de protestations suscitée par le meurtre de George Floyd et l’activisme continu lié au mouvement Idle No More, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et les anifestations de 1492 Land Back Lane offrent peut-être un soutien similaire à des initiatives qui font du recrutement d’universitaires noirs et autochtones une priorité dans les établissements postsecondaires canadiens.
Il nous appartient, en tant que militants associatifs, de relier des actions intersectionnelles pour l’équité à l’énergie générale du mouvement syndical au nom de la justice sociale. Nous devons utiliser nos compétences de militants. Quand nous négocions dans l’intérêt commun et relions nos campagnes politiques à des besoins communautaires communs en matière d’équité et d’accessibilité, d’élimination des obstacles et de lutte contre les attitudes exclusives, nous amplifions le pouvoir de la solidarité dans notre intérêt à tous.