Par Tracy Smith-Carrier
On fait souvent le lien entre l’éducation postsecondaire et la promesse d’une meilleure vie. L’obtention d’un diplôme d’études postsecondaires est considérée comme le facteur le plus important qui influe sur la mobilité intergénérationnelle. Or, plusieurs facteurs qui sont à l’œuvre aujourd’hui montrent que cette fonction est en crise au pays.
La réduction du financement public est à l’origine de l’augmentation des frais de scolarité dans les universités. En 1982, le financement public des universités canadiennes représentait 82,7 % des recettes d’exploitation de celles-ci; en 2012, ce pourcentage était tombé à 54,9 %. En 2019, en Ontario, les subventions publiques versées aux universités représentaient un dérisoire 24 % des recettes totales de celles-ci. Nombre d’étudiants des collèges et universités s’endettent lourdement sans avoir la garantie d’obtenir un emploi décent.
En ce qui concerne l’emploi, les universités ont adopté des pratiques similaires à celles du secteur privé, ce qui a entraîné une augmentation de l’emploi précaire. En 2016, un tiers des membres à temps partiel du corps professoral, majoritairement des femmes, n’ont pas gagné suffisamment d’argent pour s’élever au-dessus du seuil de pauvreté.
Dans le contexte de la COVID-19, les jeunes ont de bonnes raisons de s’inquiéter, étant donné que le marché de l’emploi s’est considérablement asséché et que les employeurs sont en train d’annuler leurs offres d’emploi ou de réduire leurs plans de recrutement de diplômés.
Tandis que notre société traverse une deuxième vague de COVID-19, il est désormais temps de faire le bilan de ce qui est important pour notre avenir collectif. Notre système public d’éducation postsecondaire a silencieusement été raboté au fil du temps et il n’offre plus les mêmes promesses que jadis. Nous devons exiger des changements.
Un déterminant du bien-être
L’éducation postsecondaire est non seulement essentielle pour façonner le déroulement de carrière et le futur statut socio-économique des personnes, mais elle est aussi vitale pour développer leurs compétences en matière de pensée critique, de résolution de problèmes, de régulation sociale et émotionnelle, de collaboration et d’engagement civique.
L’éducation est un déterminant social clé de la santé et du bien-être. Cependant, on exige de plus en plus de l’éducation postsecondaire qu’elle agisse davantage comme une entreprise, se privatise et respecte des priorités imposées par forces externes. Ce virage néolibéral a créé dans les universités canadiennes des changements importants qui devraient nous pousser à réfléchir.
L’Ontario, qui éduque environ 40 % de l’ensemble des étudiants universitaires au Canada, est peut-être la province la plus concernée par l’avenir de l’éducation supérieure. Actuellement, ses universités enregistrent la proportion la plus élevée du pays en ce qui concerne le nombre d’étudiants par enseignant, à savoir 31:1, contre une moyenne nationale de 22:1.
Autrement dit, les étudiants de l’Ontario payent plus cher pour leurs études, tout en devant composer avec des classes présentant un nombre d’étudiants supérieur à la moyenne par rapport aux universités des autres provinces.
De plus, aujourd’hui, pour apprendre dans le cadre de cours virtuels pendant la pandémie, les étudiants de l’Ontario doivent payer autant qu’ils le faisaient auparavant pour venir étudier sur les campus. Beaucoup ont protesté mais, pour les universités, réduire les frais de scolarité signifierait aussi probablement réduire le nombre de services et d’enseignants.
La dépendance à l’égard des étudiants étrangers
Les universités ont cherché à compenser le défaut de financement public en augmentant leurs frais de scolarité, ce qui explique que ceux-ci ont grimpé en flèche, surtout pour les étudiants étrangers, qui ont été utilisés pour combler l’écart. Dans un rapport de 2020 intitulé The State of Postsecondary Education in Canada, Alex Usher, président de l’Higher Education Strategy Associates, un cabinet de recherche et d’expertise-conseils a indiqué :
« Depuis le début de la récession de 2008, le nombre d’étudiants étrangers a plus que triplé; et au niveau universitaire, l’écart entre le montant des frais payés par les étudiants canadiens et par les étudiants étrangers s’est lui aussi inexorablement creusé... Depuis 2012-2013, l’argent des étudiants étrangers a couvert un peu plus de 100 % de la hausse collective des budgets de fonctionnement [des universités] ».
Alex Usher avait déjà affirmé en 2018 que « ... certains grands établissements... reçoivent plus d’argent des étudiants étrangers que de subventions de fonctionnement de leur gouvernement provincial ».
La baisse du financement public
L’Ontario a l’un des plus bas niveaux de financement par étudiant du Canada dans l’éducation postsecondaire. En 2002, son niveau était le plus bas d’Amérique du Nord, à l’exception de l’État de l’Alabama. D’après l’Union des Associations des Professeurs des Universités de l’Ontario, en 2017-2018, le financement de la province par étudiant universitaire était inférieur de 37 % à la moyenne du reste du Canada.
La Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants étant arrivée à son terme, nombre d’étudiants, dépourvus des emplois qui les aidaient à financer leurs études avant la COVID-19, se retrouvent à présent en mauvaise posture financière pour payer leurs cours de la session d’automne. Privés des prêts gouvernementaux et des bourses publiques, les étudiants s’endettent de plus en plus lourdement pour financer leurs études : presque la moitié de ceux ayant répondu à un sondage de l’Alliance canadienne des associations étudiantes ont déclaré qu’ils dépendront davantage des prêts gouvernementaux à cause des répercussions de la COVID-19, tout en ayant peu de garanties d’obtenir un emploi stable et de bonne qualité qui leur permettra de rembourser leur dette.
En fait, l’étudiant moyen termine ses études universitaires avec une dette de 26 000 $ à rembourser.
La précarité de l’emploi
L’affaiblissement des lois du travail en Ontario n’a certainement pas aidé à freiner la hausse grandissante de la précarité de l’emploi chez les jeunes. Dans ce monde du travail concurrentiel (celui dans lequel les logements et les ressources sociales sont rares), l’impossibilité pour les étudiants de trouver un emploi rémunérateur après le collège ou l’université pourrait affecter la mobilité des générations à l’avenir.
En outre, l’avenir des doctorants n’est plus aussi prometteur que jadis. Après des années d’études et d’endettement corolaire, beaucoup de diplômés ayant choisi une carrière universitaire se retrouvent aujourd’hui face à l’incertitude et à l’insécurité de l’emploi, occupant souvent un poste d’enseignant contractuel. Actuellement, les chargés de cours à temps partiel constituent 53 % du corps enseignant des universités de l’Ontario. La moitié d’entre eux ne gagnent pas plus de 50 000 $ par an.
À cause de la COVID-19, l’Ontario a provisoirement mis de côté son projet d’imposer des indicateurs de performance afin de tenir les universités responsables de l’avenir de leurs diplômés et de la précarité du marché du travail dans lequel ceux-ci se retrouvent en concurrence. L’un des indicateurs liait le financement public à la rémunération des diplômés des universités, en partant du principe que, indépendamment de la situation du marché du travail et de la conjoncture économique, les étudiants trouveraient un emploi immédiatement après l’obtention de leur diplôme — cependant, la pandémie a révélé le côté hasardeux d’essayer de lier étroitement l’éducation postsecondaire au marché du travail.
Les effets de la privatisation
Le déclin des universités financées par les deniers publics a entraîné celles-ci sur la pente glissante de la privatisation.
Lorsque les universités dépendent du financement privé de donateurs, dont les noms figurent en bonne place sur d’innombrables bâtiments universitaires ou qui siègent aux conseils de gouvernance, ces lieux d’apprentissage sont soumis aux valeurs et aux pratiques des entreprises (efficacité, confidentialité du budget et du fonctionnement de l’établissement, érosion de la collégialité), ce qui menace leur autonomie.
La privatisation érode les droits de la personne et génère une plus grande marginalisation. Ainsi, Philip Alston, rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, a constaté que les personnes vivant dans la pauvreté sont plus susceptibles de se passer des services privatisés ou d’être obligées de payer plus cher pour obtenir ceux-ci.
Les choses ne doivent pas se passer comme ça dans un pays riche. Les gens de l’Ontario et du reste du Canada doivent exiger mieux.
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Tracy Smith-Carrier, professeure agrégée, King's School of Social Work, Université Western. Cette chronique est parue le 18 octobre 2020 dans The Conversation. https://theconversation.com/low-funding-for-universities-puts-students-at-risk-for-cycles-of-poverty-especially-in-the-wake-of-covid-19-131363