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Tribune libre / Dans quoi nos organisations académiques investissent-elles?

Tribune libre / Dans quoi nos organisations académiques investissent-elles?

Un billet sur le désinvestissement dans les énergies fossiles

Par Vanessa Sloan-Morgan, Jessica Dempsey et Neil Hanlon

Lors de l’assemblée générale annuelle 2020 de l’Association canadienne des géographes (ACG) tenue en ligne, le secrétaire-trésorier a mentionné que la COVID-19 n’avait pas secoué les investissements de l’ACG, en raison de la décision de désinvestir dans les énergies fossiles il y a quatre ans. Bien accueillie, cette nouvelle signifiait que l’ACG pourrait continuer d’offrir du soutien aux étudiants en ces temps d’incertitude, de promouvoir les bourses d’études en géographie dans l’ensemble du Canada, et d’explorer d’autres voies pour contrer les injustices étroitement liées à la géographie et, partant, aux changements climatiques.

La nouvelle rappelle également qu’il n’y a pas d’avantage économique à poursuivre sur la voie de la dégradation de l’environnement. Le désinvestissement dans les énergies fossiles témoigne de la possibilité de repenser la viabilité économique de nos organisations académiques tout en faisant un pas de plus vers des actions qui favorisent le changement social, écologique et politique. Ce n’est qu’un pas, mais pour le faire, il faut poser la question : dans quoi nos organisations académiques investissent-elles? Et plus précisément : quels sont les autres gestes que nos organisations peuvent poser pour surmonter les défis coexistants dans notre société — la crise climatique, le racisme systémique, les violations du droit des Autochtones à l’autodétermination — qui contribuent tous à aggraver les injustices environnementales et sociales?

La géographie étant une discipline ancrée dans le colonialisme — qui est littéralement à l’origine des ouvrages rédigés et des cartes tracées pour permettre l’accès aux terres autochtones et à leurs ressources, y compris l’extraction, le raffinage et le transport des combustibles fossiles au Canada — elle est étroitement liée aux changements climatiques. C’est dire que le désinvestissement dans les énergies fossiles ne suffit pas pour régler les problèmes persistants qu’elle a légués. Pour de nombreux membres de l’ACG, le désinvestissement dans les énergies fossiles aux fins de la lutte contre les changements climatiques relevait de l’obligation morale, tandis que pour d’autres il était aussi primordial de défier le statu quo faisant en sorte qu’une logique corporatiste décide des options d’investissement et renforce les obstacles structurels à l’autodétermination des Autochtones. Ainsi, en 2016, l’ACG a adopté une résolution visant le désinvestissement dans tous les instruments financiers qui avaient un lien direct avec la production et la distribution de combustibles fossiles.

Or, avec l’appui massif de ses membres, l’association a procédé sans fanfare au désinvestissement. Au Canada, la simple mention de combustibles fossiles provoque de vives réactions. Les considérations qui ont empêché l’ACG d’annoncer sa décision ne sont qu’un petit exemple de l’imbrication étroite entre des économies fondées sur les combustibles fossiles et la vie quotidienne au Canada, et des obstacles au marché de gros de l’énergie et aux transformations économiques. Le fait que le statu quo — à savoir les investissements dans des entreprises dont le but est d’extraire et de vendre un produit reconnu comme une menace pour des milliards d’individus — soit considéré comme politiquement neutre, alors que toute action mettant en question le statu quo est jugée politiquement « biaisée » est déconcertant.

Selon notre étude — certes peu systématique, rares sont les organisations professionnelles ou académiques au Canada ayant désinvesti dans les énergies fossiles, outre l’Association médicale canadienne qui a adopté en 2015 une résolution en ce sens. Notre propos est donc d’inciter d’autres organisations académiques à agir pour un avenir plus équitable sur les plans social et environnemental. Au sein de l’ACG — et peut-être d’autres organisations, ce désinvestissement s’imposait depuis longtemps pour la majorité des membres. Somme toute, l’un des principaux buts du mouvement de désinvestissement est de défier le statu quo et de dénormaliser les énergies fossiles; il s’inscrit dans un plus vaste effort visant à transformer les normes du sens commun. De nombreux partisans du désinvestissement ont énoncé cette nouvelle et nécessaire norme : s’il est inacceptable de nuire au climat, il est tout aussi inacceptable de tirer profit d’actions qui lui sont nuisibles.

Il y a une foule de raisons pour désinvestir dans les énergies fossiles, y compris des raisons financières. L’expérience de l’ACG montre que le désinvestissement a généré des résultats économiques positifs, même pendant la tragique crise de la COVID-19. Soulignons toutefois que le désinvestissement à lui seul ne permet pas de démanteler les injustices multiples qui continuent d’accabler diverses communautés partout au Canada. Il faut multiplier les efforts pour que nos organisations et institutions académiques soient en phase avec la justice climatique, l’autodétermination des Autochtones et l’antiracisme qui comptent parmi les défis systémiques immédiats de notre société. En tant que membres d’organisations académiques, nous pouvons notamment adhérer au grand mouvement susceptible d’amener un changement d’orientation au sein du monde des finances au moyen de nos portefeuilles d’investissements. En agissant ainsi dans nos organisations académiques et par leur intermédiaire, nous pourrons probablement contribuer à la prise en compte des injustices environnementales et sociales. À cet effet, nous renvoyons le lecteur à notre question de départ : dans quoi nos organisations académiques investissent-elles?

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Vanessa Sloan-Morgan est titulaire d’une bourse postdoctorale Banting à UNBC et ex-représentante étudiante de l’ACG. Jessica Dempsey est professeure agrégée à UBC et membre de l’ACG; Neil Hanlon est professeur à UNBC et président de l’ACG.

Ils ont tous les trois siégé au comité de désinvestissement en 2016. Les auteurs aimeraient avoir le témoignage d’organisations académiques qui agissent notamment pour la justice climatique et le désinvestissement. Vous pouvez leur écrire à vanessa.sloan.morgan@unbc.ca; Jessica.dempsey@geog.ubc.ca; Neil.Hanlon@unbc.ca.

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