Par Brenda Austin-Smith
Si la race est une construction sociale, fruit de l’imagination du suprémaciste blanc, le racisme, pour sa part, existe bel et bien. Avec ses effets persistants qui peuvent mettre des vies en danger, le racisme contamine tous les systèmes, tant ici au Canada qu’ailleurs dans le monde. Et sa présence demeure pour d’aucuns difficile à percevoir et à admettre. Nous avons pour la plupart entendu parler d’actes de racisme individuel sur nos campus. Par exemple, lors d’une conférence nationale à l’été 2019, un participant de race noire a été accusé du vol d’un ordinateur portable et a été interrogé par la GRC, alors que l’accusation ne reposait sur aucun fondement. Les professeurs et étudiants qui ont participé à l’étude sur le climat de racisme anti-noir à l’Université Ryerson en 2010 et 2020 ont fait état de nombreux cas de profilage par les agents de sécurité sur le campus et du sentiment de rejet et d’insécurité que ces incidents leur procuraient.
Pour les membres du personnel académique et les étudiants racialisés, ces situations sont loin d’être exceptionnelles. La dénonciation d’actes racistes et la recherche d’alliés antiracistes leur demandent des efforts constants qui deviennent sources d’épuisement. Or, les forces du racisme systémique dans le milieu académique sont encore plus difficiles à contrer. Le « racisme systémique » décrit des situations où la participation à des processus empreints de croyances racistes n’est pas nécessairement liée à l’expression explicite d’opinions racistes.
Dans nos établissements, il s’incarne plutôt dans des préjugés racistes ancrés dans des pratiques en apparence objectives. Le système perpétue donc les inégalités vécues par les personnes racialisées, même si ses membres ne pensent ou n’agissent pas volontairement de manière raciste. Par exemple, un code vestimentaire régissant l’aspect des cheveux en milieu de travail ou des règles établissant un ton ou un volume de voix comme « irrespectueux » sont des normes qui se veulent objectives, mais qui peuvent traduire des attitudes racistes par rapport à l’apparence ou à la conduite appropriée.
Pour le personnel académique au Canada, les effets du racisme systémique dépendent de l’individu et de la manière dont il est perçu au sein du système académique. Ainsi, chaque étape du processus de recrutement— à partir du libellé de l’offre d’emploi et la sélection des candidats à l’entrevue jusqu’à l’accueil de ces candidats sur le campus et des personnes embauchées au sein du département — est entachée de racisme systémique. Il peut en résulter l’exclusion de candidats qui sont des personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) ou la nomination de personnes racialisées dans un département qui ne lui offrira aucun soutien. Le racisme systémique peut aussi se glisser dans les critères d’octroi de la permanence et de promotion, sous la forme notamment d’un éventail pas assez large de questions, de méthodes et de résultats de recherche.
Le rapport de l’ACPPU publié en 2018 Éducation postsecondaire : qu’en est-il de la diversité et de l’équité au sein du corps enseignant? contient des données qui illustrent les effets du racisme systémique dans les universités et collèges. Cette enquête révèle que le corps professoral n’est pas aussi diversifié que la population étudiante ou que la population active au pays. Les enseignants de race noire ne représentent que 2 % de l’ensemble du personnel enseignant universitaire et sont plus susceptibles de compter parmi le personnel à statut occasionnel ou précaire que parmi le personnel permanent à temps plein. Le revenu du personnel enseignant de race noire dans les universités est inférieur de 11 % à celui du personnel non racialisé et celui du personnel enseignant de race noire dans les collèges, de 16 %. Ces écarts s’élargissent et leurs effets concrets sur les conditions du personnel académique de race noire sont patents.
L’été dernier, les universités et collèges ont publié des déclarations de solidarité envers les manifestations de Black Lives Matter, tandis que de nombreux établissements soutenaient le mouvement Scholar Strike Canada. L’ACPPU et ses associations membres ont aussi appuyé l’appel de l’organisme All Out pour une grève nationale des étudiants afin de lutter contre le racisme dans les établissements postsecondaires. Mais les gazouillis et les publications sont éphémères et ne donnent pas lieu à des changements concrets aux pratiques institutionnelles. Les associations de personnel académique membres de l’ACPPU s’attellent à la tâche : un grand nombre ont organisé des ateliers sur l’antiracisme, ont créé des groupes de réflexion pour les PANDC et placent l’équité au cœur de leur plateforme de revendications.
Les membres de l’ACPPU risquent toutefois de voir leurs efforts minés par l’inaction des administrations universitaires. Il faut que les universités et collèges au Canada recueillent et publient de plus amples données sur le personnel académique racialisé. Les administrations doivent donner suite à leurs déclarations de soutien pour un changement durable en finançant des postes à temps plein et en ayant recours à l’embauche de groupe et à des initiatives d’équité afin de recruter et d’assurer le maintien en poste et la promotion d’un plus grand nombre de membres du personnel académique racialisés. Nous devons analyser nos pratiques et politiques afin d’en purger la discrimination systémique contre les PANDC membres du personnel académique. Des changements s’imposent et les membres de l’ACPPU sont prêts à les accueillir. Nos administrations relèveront-elles le défi?