Melanie Adrian est professeure agrégée à la faculté des affaires publiques de l’Université Carleton et présidente du comité directeur national de Scholars at Risk Canada. Scholars at Risk (SAR) est un réseau international d’institutions d’enseignement supérieur basé aux États-Unis qui soutient les principes de la liberté académique et défend les droits fondamentaux des universitaires partout dans le monde. Mme Adrian est également présidente du comité SAR de l’Université Carleton et tient depuis peu des ateliers visant à enseigner aux étudiantes et étudiants la théorie et la pratique de la liberté académique.
Vous êtes grandement impliquée auprès de SAR, tant sur le plan national que local à l’Université Carleton. Quel est le but de votre travail?
Le principal but de SAR est de mettre de l’avant la liberté académique. Partout dans le monde, il y a des atteintes à la liberté académique. Cette situation me préoccupe au plus haut point étant donné les interrelations complexes entre la liberté, la démocratie et les droits de la personne; c’est un excellent instrument pour prendre le pouls démocratique d’une nation. Bien que le programme SAR ne procure pas de solution à long terme aux menaces à la liberté académique et aux droits de la personne des universitaires, il leur procure un refuge à l’écart des milieux souvent dangereux dans lesquels ils exercent leurs fonctions.
Combien d’établissements d’enseignement au Canada en font partie?
À l’heure actuelle, 23 universités canadiennes ont adhéré au réseau, mais j’ai bon espoir que les 96 universités y seront éventuellement engagées. Je crois que chaque université au Canada devrait accueillir au moins un chercheur en danger. Nous invitons aussi les collèges à se joindre au réseau. Nous progressons, mais il reste beaucoup de travail à faire. Il y a cinq ans, le réseau ne comptait que cinq universités canadiennes. Depuis, le comité directeur national et deux représentants membres de l’Université de la Colombie-Britannique multiplient les efforts de recrutement.
Où en est le programme à Carleton?
Le programme SAR à Carleton existe depuis cinq ans. L’université a relevé le défi avec vigueur et nous sommes fiers d’avoir sur le campus deux postes SAR qui nous permettent d’accueillir des universitaires pour deux ans. Ils peuvent ainsi poursuivre leur travail à l’abri de la discrimination et du harcèlement. Ils ont généralement le statut de professeur invité et un contrat à durée limitée assorti d’une rémunération et d’avantages sociaux spécifiques. Carleton a aussi conçu un programme d’accueil complet qui comprend des services de counseling pour les victimes de torture, entre autres. Nous les aidons à trouver un logement, à établir leur famille, à inscrire leurs enfants à l’école, à trouver des cours d’anglais au besoin — tout ce qui peut les aider à se sentir en sécurité, à s’installer et à reprendre leurs activités de recherche.
Vous avez récemment organisé un atelier de sensibilisation s’inscrivant dans l’un des programmes de SAR. Quels sont l’objectif et le fonctionnement de cet atelier?
Des professeurs de divers départements organisent des activités de sensibilisation sur diverses questions liées à la liberté académique. Les étudiants s’y familiarisent avec la liberté académique et se portent à la défense d’universitaires. Ils font de la sensibilisation dans leur milieu. C’est une occasion fabuleuse à la fois pour les étudiants et les universités. Le plus récent atelier que j’ai tenu était centré sur deux questions : « Qu’est-ce que la vérité? » et « Qu’est-ce qu’un fait? », des questions à mon sens fort pertinentes dans le contexte actuel. Nous nous sommes penchés sur la théorie les entourant, en prenant pour exemple le cas de l’historienne saoudienne Hatoon Al-Fassi, détenue par les autorités saoudiennes pour avoir pris part au mouvement visant à faire lever l’interdiction faite aux femmes de conduire dans le pays. En se livrant à ce type de recherche et de travaux pratiques ensemble, les étudiants font d’importants apprentissages.
D’où les chercheurs SAR proviennent-ils?
Actuellement, environ 52 % de Turquie, 20 % de Syrie et, dans de moindres proportions, de l’Iran, de l’Afrique subsaharienne, de l’Irak, etc. Bien qu’on ait tendance à croire que les universitaires du domaine des sciences sociales sont les plus à risque — peut-être pour leurs recherches potentiellement plus
« controversées » en politique ou en communications, ce n’est pas nécessairement le cas. Quelque 32 % sont du domaine des sciences sociales et environ 24 % du domaine des sciences physiques ou de la vie. J’ai déjà rencontré un universitaire éthiopien en science du sol qui avait été emprisonné pendant deux ans et torturé; ses travaux touchaient à la désertification, un sujet controversé sur le plan politique.
Vous avez consacré énormément de votre temps à SAR ces cinq dernières années. Pourquoi?
C’est un travail essentiel. Je crois fermement que la liberté académique est intrinsèquement liée à la santé démocratique, à la liberté et aux droits ici au Canada et ailleurs. La communauté universitaire doit faire ressortir l’importance de son travail et la nécessité de pouvoir effectuer ses recherches et ses publications sans entraves.