« Plus de loisirs, de temps libre, de sport et moins d’obligations. Et des voyages!!! » Il y a trois ans, Mike Gasher a quitté ses fonctions de professeur au Département de journalisme et de directeur du centre d’études en radiodiffusion et journalisme, à l’Université Concordia.
Il énumère spontanément quelques raisons pour lesquelles son épouse et lui aiment leur vie de retraités. « Je revenais juste de m’entraîner quand vous m’avez appelé. J’ai aussi une pile de livres en attente, à des années-lumière de mes domaines de recherche. Des romans, par exemple. J’ai pris ma retraite surtout parce que c’était le bon moment », dit-il.
Mike Gasher est l’exemple type du nouveau retraité au Canada : il a choisi le moment de quitter son emploi — dans son cas, quatre ans avant l’âge « normal » de 65 ans, il est en excellente santé et son espérance de vie est statistiquement plus élevée que jamais.
Jusqu’à récemment, la retraite n’était pas toujours le résultat d’un choix personnel. La plupart des Canadiens, dont les universitaires, étaient obligés de prendre leur retraite à 65 ans à cause des règles de retraite obligatoire. Et comme les travailleurs pouvaient toucher les prestations accumulées dans le Régime de pensions du Canada à cet âge, le chiffre 65 est devenu synonyme de « retraite ».
Mais il y a environ 30 ans, une cohorte d’enfants de l’après-guerre parvenue à l’âge mûr, qui avait déjà fait exploser le profil démographique du Canada, a commencé à remettre en question les lois et à les modifier. La discrimination fondée sur l’âge étant déjà interdite par la Charte canadienne des droits et libertés, la retraite obligatoire est devenue l’enjeu de batailles judiciaires. Les tribunaux, dont ceux des droits de la personne, se sont alignés sur la Charte et ont statué que l’imposition de la retraite obligatoire constituait un acte de discrimination illégal. Nombre d’administrations publiques et d’autres employeurs ont aboli leurs politiques sur la retraite, face à l’évidence que l’âge n’a aucune valeur juridique, à moins qu’il soit expressément une exigence justifiée pour certains emplois — l’unique cas dans lequel la retraite obligatoire est aujourd’hui autorisée.
En 2005, le gouvernement de l’Ontario a adopté une loi abolissant la retraite obligatoire des travailleurs âgés de 65 ans et plus. Le ministre du Travail de l’époque, Chris Bentley, a résumé la nouvelle conception de la retraite comme suit : « Les gens sont en meilleure santé et vivent plus longtemps qu’autrefois. Il est donc injuste de leur imposer de s’arrêter de travailler pour la simple raison qu’ils ont atteint l’âge de 65 ans […]. En éliminant la retraite obligatoire, nous permettrons aux travailleurs plus âgés de décider quand ils veulent prendre leur retraite en fonction de leur mode de vie, de leurs circonstances et de leurs priorités. »
Ce qu’ils ont fait. Statistique Canada révèle que beaucoup d’entre nous travaillent plus longtemps — le taux d’emploi des 65 à 69 ans est celui qui croît le plus vite. D’après des données découlant du recensement de 2016, les travailleurs instruits sont les plus enclins à continuer de travailler. Les membres du personnel académique des universités et des collèges en sont la preuve, car s’ils sont plus âgés dans tous les rangs, ils sont aussi plus nombreux à choisir de travailler après 65 ans.
Pat Armstrong illustre cette autre facette du vieillissement et du travail. Professeure-chercheuse émérite de sociologie à l’Université York et coprésidente du Comité de l’équité de l’ACPPU, elle n’a aucun projet de retraite à court terme. « Même si j’ai déjà plus de 65 ans, je n’entends pas cesser de travailler. J’aime beaucoup mon travail. Puis, ma contribution peut être importante et faire une différence. Tous mes travaux sur l’équité salariale, la discrimination et la réforme des soins de santé peuvent éclairer la recherche et l’enseignement aujourd’hui. »
Selon elle, la retraite obligatoire a des effets disproportionnés sur certains groupes de professeurs, comme les femmes contraintes par la maternité à interrompre leur vie professionnelle, et les membres racialisés souvent sous-payés tout au long de leur carrière.
Cela a été le cas d’Ursula Franklin, une ex-professeure de physique à l’Université de Toronto qui, à la retraite, a participé à un recours collectif contre l’Université pour le motif que celle-ci avait tiré profit indûment de la rémunération inférieure des membres féminins du corps professoral. En 2002, la soixantaine de professeures à la retraite a été indemnisée pour les pertes subies pendant des années.
Ces victoires judiciaires ne doivent pas occulter le fait que l’âge demeure un facteur de discrimination. Ce n’est peut-être plus acceptable de pousser les professeurs à la retraite, mais des politiciens font l’erreur de reprocher aux plus vieux de bloquer l’avancement des plus jeunes.
« C’est miser sur la jalousie et c’est assez déprimant », dit Pat Armstrong. Elle fait référence au gouvernement conservateur de l’Ontario qui, dans son budget du printemps dernier, a promis de légiférer pour mettre fin à la prétendue double rémunération des professeurs d’université et de collège — certains ayant le droit de toucher leur salaire et leurs prestations de retraite simultanément après un âge donné, conformément à leurs conventions et régimes de retraite.
La loi adoptée habiliterait la province à forcer un établissement d’enseignement postsecondaire à payer moins, ou pas du tout, un employé touchant des prestations de retraite. Le gouvernement ontarien prétend que l’âge moyen de départ à la retraite du corps professoral augmente, ce qui « limit[e] le roulement qui permettrait de faire place à des professionnels en début de carrière qui amèneraient de nouvelles méthodes d’enseignement en plus d’accroître la diversité ».
Pat Armstrong soutient qu’en plus d’être une tentative à peine voilée de forcer les gens à prendre leur retraite, cette tactique ne résout rien. « L’idée que sans une garantie, une université engagerait un jeune à temps plein pour pourvoir un poste laissé vacant par un départ à la retraite est ridicule. De nombreux fonctionnaires reçoivent des prestations de retraite et travaillent à temps plein, alors pourquoi cibler le corps professoral? Et puis, cet argent nous appartient. Les prestations de retraite sont des gains différés et c’est totalement faux de dire que nous jouissons d’un traitement de faveur. »
Elle remarque qu’elle n’a pas eu l’option de reporter le versement de ses prestations de retraite. « Je l’aurais fait volontiers, parce que ma facture d’impôt est salée. »
La fiscalité est une autre pièce du puzzle moderne de la retraite, l’âge à la retraite n’étant qu’une variable. Comme 70 ou même 75 ans correspondent maintenant de plus en plus aux 65 ans d’avant, les pièces du puzzle ne s’imbriquent plus aussi parfaitement.
« C’est un changement énorme, vraiment important, surtout pour des travailleurs comme les professeurs d’université qui, à un âge plus avancé, sont en bonne santé, demeurent engagés et veulent servir encore la profession », dit Chris Roberts.
Le directeur de la politique sociale et économique au Congrès du travail du Canada indique que l’impact sur les régimes d’avantages sociaux « n’est pas encore clair », mais « nous devons nous opposer à quiconque veut dresser les travailleurs les uns contre les autres. L’évolution du marché du travail en général a été telle que les établissements ont pu exploiter le personnel académique contractuel, dit-il. La précarité des effectifs académiques est un scandale et il faut l’envisager comme une évolution inacceptable distincte ».
Chris Roberts est d’avis que les lois fiscales tendent à encourager les départs à la retraite vers 65 ans. Les travailleurs demandent toujours plus de flexibilité, mais doivent composer avec un « cadre incomplet » changeant, très complexe et variable selon la province, les régimes individuels d’avantages sociaux et les conventions collectives, qui les force à faire une planification minutieuse.
Dans ce cadre transitoire, la plupart des lois provinciales sur les droits de la personne permettent encore la discrimination fondée sur l’âge dans certains régimes d’avantages sociaux. Ces « exclusions » sont de plus en plus contestées du fait de leur caractère discriminatoire.
Chris Roberts donne en exemple la décision récente dans l’affaire Talos v. Grand Erie District School Board. Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a jugé que l’exception à la discrimination fondée sur l’âge encore permise par le Code des droits de la personne de l’Ontario en établissant une distinction entre les travailleurs de moins de 65 ans et ceux de plus de 65 ans était inconstitutionnelle en vertu de la Charte et que la résiliation des assurances de soins de santé collectives (pour les médicaments, les soins dentaires, l’assurance vie) constituait un acte de discrimination.
En Colombie-Britannique, l’association du personnel académique du Collège Okanagan (OCFA) a déposé un grief parce que les membres de plus de 65 ans encore en poste ne sont pas admissibles au régime d’assurances (assurance vie, assurance d’invalidité prolongée, assurance en cas de décès ou de mutilation accidentels). L’audience d’arbitrage est prévue pour septembre.
« Quand un membre de notre unité de négociation a 65 ans et décide de continuer à travailler, la perte de ces avantages équivaut à une diminution de salaire, souligne Rod Watkins, professeur de philosophie au Collège Okanagan et négociateur en chef de l’OCFA. Il fait pourtant le même travail que la semaine précédant son 65e anniversaire. C’est une question d’équité. »
Rod Watkins pense que les débats sur ces questions ne sont pas près de finir. « La population vieillit, mais est en meilleure forme que jamais. Il est très probable qu’une bonne partie sera encore au travail après 65 ans, tout simplement parce qu’elle en sera parfaitement capable », conclut-il.
Cependant, devant l’éventail des facteurs en cause et l’évolution de l’environnement juridique, Chris Roberts est ferme : le choix de la retraite est beaucoup plus qu’un choix de style de vie. « Le message que je veux surtout passer, c’est que pour prendre des décisions judicieuses, rien ne vaut une discussion avec l’actuaire de son régime ou son planificateur financier. Il n’y a pas de modèle ni de règle commune. On doit examiner toutes les options à la lumière de sa propre situation. »
Pour Mike Gasher, l’avis d’un expert l’a conforté dans sa décision de prendre sa retraite. « J’ai été probablement poussé vers la sortie un an plus tôt que prévu par le fait que le gouvernement du Québec envisageait de modifier des avantages du régime de retraite du secteur public, se rappelle-t-il. Nous avions un régime à prestations déterminées et si j’avais attendu trop longtemps, j’aurais peut-être perdu des avantages particuliers à ce régime. J’ai parlé à un conseiller financier pour savoir si je pouvais prendre ma retraite et comprendre l’état des choses. »