Par James Compton
Une vague d’anti-intellectualisme déferlerait-elle sur les universités? Minute! Je m’explique. Certes, cette affirmation semble, à première vue, ridicule. Cependant, elle ne vise pas les recherches ou l’enseignement du corps professoral, mais plutôt la gouvernance du milieu académique.
Je vous écris ce billet depuis trois ans. Je suis revenu à maintes reprises sur une question centrale : la transition d’un modèle de gouvernance collégiale à un modèle descendant de gestionnariat utilitariste propre à l’entreprise. Permettez-moi de clore ma contribution au « mot du président » par un dernier examen de cette transformation.
Faire preuve de leadership ne se résume pas à donner un ordre et à s’attendre à être obéi. C’est peut-être le cas dans l’armée, mais pas dans les universités. L’ACPPU est une fédération portée par ses membres, des associations férocement indépendantes. Voilà pourquoi son Conseil s’évertue à débattre de politiques et de procédures qui orienteront ensuite le travail des comités permanents et de la direction. Tous ne sont pas toujours contents, mais telle est la nature de la démocratie. En nous conformant aux procédures établies, nous exerçons une gouvernance qui devient, pour tous nos membres, un exemple de transparence et de légitimité.
Dans les universités, ces normes et conventions forment ce que l’on appelle la gouvernance collégiale. Dans cette structure, le corps professoral participe activement aux organes de gouvernance académique, comme les comités de département et le sénat. À ne pas confondre collégialité et cordialité. Comme notre énoncé de principes le souligne, on entend par collégialité le fait de donner à tous les participants la possibilité de prendre part aux discussions et aux débats, tout en s’assurant qu’« aucun d’entre eux ne soit indûment avantagé (en conséquence, par exemple, d’un déséquilibre du pouvoir) dans le processus décisionnel ». La gouvernance collégiale n’est pas une panacée, mais elle offre la légitimité nécessaire à l’instauration d’une culture institutionnelle saine. Malheureusement, ce n’est pas la réalité vécue par de nombreux professeurs. Nous observons à travers le pays une tendance à s’écarter de ces conventions historiques. Exit les consultations du corps professoral; les diktats pleuvent du sommet, qui s’attend à ce que la base applaudisse et obéisse.
Prenons le processus d’embauche des hauts dirigeants universitaires, qui est calqué sur celui du secteur privé. Avant les candidats présélectionnés devaient faire des exposés publics sur leurs réalisations. Plus maintenant. Le secret entoure l’opération, confiée à des cabinets de recrutement de cadres. Au niveau du rectorat, le nom du candidat retenu est révélé à la communauté universitaire dans une campagne de relations publiques bien orchestrée, avec en prime une vidéo scénarisée sur YouTube. Vous pouvez applaudir.
Autre tactique empruntée au monde des affaires : la « tournée d’écoute », qui peut servir à gérer une crise ou un scandale, ou à donner l’apparence d’une consultation alors que tout est déjà décidé. Attention : une tournée d’écoute sincère est une bonne chose. Mais l’envoi de courriels aux professeurs pour solliciter leurs opinions dans un cadre de discussion étroitement circonscrit ou qui laissent transpirer les solutions privilégiées à des problèmes de pédagogie ou de programme débattus depuis longtemps, est une action incompatible avec la gouvernance collégiale.
Seulement voilà : dans la description de tâches des professeurs, il n’est pas dit qu’ils doivent être d’accord avec l’administration. Ni qu’ils doivent s’opposer automatiquement à toute recommandation qu’elle formule. Nous avons l’obligation de nous appuyer sur notre liberté académique, y compris notre liberté d’expression intra-muros, pour discuter de manière réfléchie du fond des questions qui sont portées à l’attention des comités ou d’autres organes décisionnels et pour servir en tout temps la mission première de l’université — l’enseignement et la recherche. Hélas, nous sommes parfois face à un interlocuteur de mauvaise foi. Ce qui me ramène à mon point de départ. Le personnel académique est formé pour présenter des arguments. Cas de figure : un projet de proposition visant à modifier un programme d’études est présenté. D’après les principes de la gouvernance collégiale, les professeurs sont obligés d’évaluer les forces et les faiblesses de la proposition. Les représentants de l’administration n’ont pas à être d’accord avec leurs conclusions, mais ils devraient y opposer des arguments réfléchis. Cet échange est de moins en moins fréquent.
Le philosophe Jürgen Habermas fait une distinction importante entre l’« agir stratégique » et l’« agir communicationnel ». Il s’est attaché toute sa vie à remplacer les formes instrumentales de la raison par une conception ouverte et dialogique de la communication. Sa prétendue « situation idéale de parole » peut donc nous aider à comprendre l’importance de la gouvernance collégiale. Une entente ne peut être conclue démocratiquement que si des personnes s’engagent dans un dialogue en face à face et sur un pied d’égalité et présentent ‒ de bonne foi ‒ des arguments compréhensibles par chacune. À la différence de l’agir stratégique, l’agir communicationnel s’articule sur la délibération intersubjective et non coercitive. En l’absence de dialogue communicatif dans une structure de gouvernance collégiale, il ne reste que le pouvoir, un pouvoir qui réside principalement entre les mains de l’administration.
Pour exister, la gouvernance collégiale doit être exercée. Je conseille de l’utiliser.