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Entretien / Penni Stewart

Entretien / Penni Stewart

Nicole Brumley

Penni Stewart est présidente de la Fondation Harry-Crowe et membre du Centre pour la liberté d’expression de l’Université Ryerson. Elle a assumé la présidence de l’ACPPU de 2008 à 2011, a siégé au Comité de la liberté académique et de la permanence de l’emploi de l’ACPPU et est professeure émérite de sociologie à l’Université York. En tant que chercheuse, elle se penche actuellement sur la liberté académique, la liberté d’expression et les politiques pour un milieu de travail respectueux. Penni a prononcé une allocution à la conférence de 2019 de la Fondation Harry-Crowe de l’ACPPU sur le thème de la liberté d’expression dans les classes.

Comment les droits du personnel académique et l’exercice de la liberté académique s’inscrivent-ils dans la notion de liberté d’expression en classe?

Pour le personnel académique, la liberté d’enseignement s’inscrit et s’exerce principalement à l’intérieur de la liberté académique, une liberté fondamentale qui, selon l’énoncé de principes de l’ACPPU, comprend : « le droit, non restreint à une doctrine prescrite, à la liberté d'enseignement et de discussion, à la liberté d'effec­tuer des recherches et d'en diffuser et publier les résultats, à la liberté de ré­aliser et d'exécuter des œuvres de création, à la liberté de prendre part à des activités de service, à la liberté d'exprimer ses opinions au sujet de l'établissement d'enseignement, de son administration et du système au sein duquel une personne travaille […] et la liberté de passer outre à la censure institutionnelle. » L’énoncé mentionne aussi que la liberté académique « n’exige pas la neutralité de la part de l’individu ». C’est un aspect crucial de la liberté académique dans les classes et un signal d’alerte pour les porte-étendards de la droite politique selon lesquels la liberté académique ne doit pas comprendre le droit de défendre une position ou une opinion.

Comment peut-on protéger la liberté académique?

La plupart des établissements d’enseignement postsecondaire au Canada sont syndiqués et les droits liés à la liberté aca­dé­mique protégés dans les conventions collectives. Le respect de la liberté acadé­mique fait donc partie des conditions de travail. Certains membres, toutefois, notamment des membres du personnel académique contractuel et du personnel du secteur collégial, ne bénéficient pas de cette protection. Même dans les cas où la convention collective protège la liberté académique du personnel contrac­tuel, les employeurs peuvent facilement, en l’absence de permanence, se départir de membres du personnel qui exercent leurs libertés.

Pourquoi la liberté académique est-elle essentielle?

La liberté d’expression des membres du personnel académique est essentielle, le but de l’enseignement n’étant pas de simplement transmettre aux étudiants des idées reçues — et d’ainsi transformer nos établissements en citadelles de la conformité, prévient Catherine Ross, mais de les munir des outils nécessaires pour devenir des citoyens réfléchis, critiques et autonomes, qui sauront soulever d’importantes questions. Pour le personnel aca­dé­mique, cela suppose la liberté d’explorer des controverses, de déstabiliser les étudiants avec de nouvelles idées, de risquer de les offenser et d’avoir tort. La liberté académique dans les classes est étroitement liée à notre droit d’effectuer des re­cherches et d’en diffuser les résultats. Qu’est-ce que cela veut dire en pratique? Que le personnel académique, à l’intérieur des contraintes institutionnelles imposées par les comités de programme, les programmes des cycles supérieurs, les sénats, etc., détermine le sujet, le contenu et la structure de leurs cours, ainsi que les travaux, les essais et l’évaluation des étudiants qui y sont liés.

Quelles sont les limites de la liberté académique?

La liberté académique est un droit étendu qui n’est toutefois pas illimité. Nous devons enseigner en tenant compte des « normes académiques pertinentes » au sens de l’énoncé de principes de l’ACPPU concernant les droits et responsabilités professionnels. Ainsi, même si j’avais des raisons de croire que la Terre est plate, je serais malvenue d’enseigner cette notion dans mon cours de sciences naturelles 101, parce qu’elle va à l’en­contre des normes probantes reconnues. Par contre, cette même notion pourrait faire partie d’un cours d’histoire des mouvements sociaux. Une fois nos plans de cours établis, nous devons bel et bien les suivre et nous conformer à nos descriptions de cours.

Et qu’en est-il des droits des étudiants?

Le pendant de la liberté académique chez les étudiants, c’est la « liberté d’apprendre », c’est-à-dire la liberté de s’approprier le matériel pédagogique et d’interagir avec le professeur, d’être en désaccord et de proposer des alternatives. Elle comprend aussi le droit d’association et de réunion, et le droit de parti­cipation à la gouvernance de l’établissement. Les étudiants ont le droit à une évaluation juste et aux adaptations nécessaires. Selon une perspective controversée de certains membres des effectifs étudiants et du personnel académique, les classes et les campus doivent être des espaces sécuritaires où toute inconduite est bannie. Pour eux, la liberté d’expression doit être encadrée. À mon sens, on peut créer des espaces favorables à l’apprentissage sans assujettir l’expression des idées à un examen critique, mais on doit par contre fournir aux étudiants les outils nécessaires pour qu’ils apprennent à contester les idées reçues et à défendre leurs points de vue. Sinon, nous aurons des classes silencieuses où personne n’intervient ou, pire encore, où les interventions sont dévastatrices. Nous devons prendre conscience de la nécessité de réfléchir à notre pédagogie, mais résister à l’idée de donner à la sécurité préséance sur les droits à l’expression.

Quels sont les obstacles à la liberté académique dans les classes au Canada?

En Ontario, notre premier ministre s’est ingéré dans l’autonomie des établissements postsecondaires en leur donnant l’inutile mandat de mettre en place une politique sur la liberté d’expression et, plus récemment, en s’attaquant au financement des syndicats étudiants. La censure en classe est-elle un enjeu au Canada? Nous ne le savons pas exactement. Nous ne savons pas non plus dans quelle me­sure le personnel académique et les étudiants sentent que leur liberté acadé­mique est entravée, voire qu’il leur est impossible de l’exercer. Certains cas de violation de la liberté académique dont nous avons pris connaissance étaient attribuables non pas à des récriminations de la droite politique, mais bien à des ingérences administratives. Ces cas sont représentatifs de la commercialisation croissante de l’éducation postsecondaire, où les étudiants sont des clients, l’éducation un produit et l’institution une marque, poussant les administrateurs uni­versitaires à juger de façon péremptoire les plaintes des étudiants et à faire fi des conventions collectives, de la liberté aca­démique et de l’équité procédurale pour souvent finir par empirer la situation.

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