Marie-Ève Maillé.
Les Éditions Écosociété, 2018; 190 pages;
SBN: 978-2-89719-459-8.
Par Kamel Khiari
La préservation de la confidentialité des données de recherche n’est pas une question nouvelle dans l’actualité universitaire canadienne. Ce qui l’est, par contre, c’est un témoignage sur une troublante histoire vécue à ce propos. Ce témoignage c’est celui d’une jeune chercheuse, Marie-Ève Maillé, dans un bouleversant essai paru sous le titre L’affaire Maillé : l’éthique de la recherche devant les tribunaux. Il a été écrit, nous précise son auteure, « pour garder une trace de la bataille que j’ai menée ».
En refusant de révéler des informations qui lui ont été fournies sous le sceau de la confidentialité dans le cadre de sa recherche doctorale, Mme Maillé ne faisait pourtant que se conformer aux prescriptions en vigueur en matière d’éthique de la recherche. Mal lui en pris, cependant, car cette attitude, toute logique qu’elle était à ses yeux, allait l’entraîner dans une longue saga judiciaire dont elle se serait volontiers passée.
Tout commença par un courriel qu’elle reçut au mois d’août 2015 de citoyens de la région d’Arthabasca à l’est de Montréal. Le document sollicitait son témoignage en tant qu’experte dans le recours collectif intenté contre l’entreprise Éoliennes de l’Érable pour les dommages que ces citoyens considèrent avoir subis par la construction et l’exploitation du parc éolien dans le Centre-du-Québec. Cette demande trouvait son fondement dans le fait que quelques années plus tôt Mme Maillé avait elle-même interviewé près d’une centaine de ces résidents dans le cadre de sa recherche doctorale sur les impacts sociaux de ce même parc éolien.
En acquiesçant spontanément à cette sollicitation, Marie-Ève Maillé était loin, bien loin de se douter où ce geste allait l’entraîner. Rapidement, elle allait, en effet, faire connaissance avec la machine judiciaire par le biais d’ordonnances la forçant à divulguer des informations dont elle avait garanti la confidentialité aux participantes et participants à sa recherche. Son renoncement à la qualité de témoin dans ledit recours collectif n’empêcha pas, lui non plus, le maintien de la sommation de fournir toutes les données brutes de sa recherche.
Persévérante et convaincue de la justesse de sa cause, Marie-Ève Maillé finira, après plusieurs longs et pénibles mois de navigation dans les méandres des procédures judiciaires, « par gagner contre Goliath ». Par un jugement rendu le 31 mai 2017, la Cour supérieure du Québec reviendra finalement, en effet, sur sa décision de contraindre la chercheuse à dévoiler ses données. Ainsi l’affaire Maillé se terminait « comme dans un film où les gentils gagnent à la fin ».
C’est une véritable leçon de courage que nous livre cet émouvant ouvrage écrit avec rigueur dans un style limpide où l’humour, parfois corrosif, est très présent. Puissent la volonté et la ténacité dont a fait preuve Marie-Ève Maillé servir d’exemple, car comme elle le dit elle-même, et fort justement : « L’éthique n’est pas un luxe que l’on s’offre si on a le temps pour réfléchir et l’envie de philosopher. Elle doit être présente en arrière-plan de toutes nos actions comme universitaires et scientifiques. »
D’une lecture très agréable, ce livre traite également, et parallèlement à la question centrale de la confidentialité des sources, d’autres thèmes comme ceux de la précarité d’emploi dans le milieu universitaire ou de l’accès à la justice. Il mériterait d’être traduit en anglais et figurer en bonne place dans les bibliographies des cours portant sur la recherche dans les universités canadiennes afin d’aider à « outiller le milieu de la recherche, et surtout ces jeunes que la précarité rend d’autant vulnérables à ce genre d’attaques ».
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Kamel Khiari est professeur agrégé d’économie, de droit et de commerce international et président de l’APPBUSA à l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse.