
Sharon McIvor s’identifie comme « une femme des Premières Nations et une membre de la bande indienne de Lower Nicola ». Elle est aussi une avocate reconnue non seulement pour son excellence en enseignement au Nicola Valley Institute of Technology à Merritt, C.-B., mais aussi par le gouverneur général du Canada pour ses 30 ans de lutte pour l’égalité des femmes autochtones. Le Bulletin s’est entretenu avec Sharon de l’autochtonisation du système d’éducation.
Où sont vos racines?
J’enseigne dans un petit collège à Merritt. C’est le seul établissement d’enseignement postsecondaire public des Premières Nations en Colombie-Britannique. Je suis née et j’ai grandi dans cette communauté et j’y ai vécu toute ma vie. Ma mère et mon père y sont nés, et les membres de la famille de ma mère, aussi loin qu’on puisse remonter, sont tous nés dans un rayon de 20 km les uns des autres. Mes enfants et mes petits-enfants sont également nés dans la communauté. Nous y avons donc de profondes racines et envisageons l’avenir avec beaucoup d’optimisme pour notre communauté.
Que signifie pour vous l’autochtonisation du système d’éducation?
D’entrée de jeu, beaucoup de travail. Autochtoniser le système d’éducation, c’est en somme essayer de déconstruire beaucoup de choses que les gens ont apprises. Je parle ici de nos peuples, les Premières Nations du Canada. Nous avons appris que pour réussir nous devons parvenir à nous intégrer dans le système d’éducation, non seulement postsecondaire, mais aussi primaire et secondaire. Le système est conçu pour socialiser les gens de sorte qu’ils puissent fonctionner dans les classes moyenne et supérieure blanches. Les gens qui ont colonisé le Canada savaient que pour réussir, ils devaient déposséder de leur pouvoir les peuples autochtones qui vivaient ici et ils avaient un excellent moyen pour y parvenir.
Vous n’avez pas fréquenté de pensionnat autochtone. Quelle fut votre expérience dans une école secondaire publique?
À mon époque, très peu d’entre nous faisaient et terminaient des études secondaires. À la fin du secondaire, j’ai rencontré une conseillère en orientation qui, selon mes habiletés, devait me guider pour la suite des choses. Je lui ai dit que je voulais être enseignante et elle m’a répondu sans équivoque que mes ambitions étaient trop élevées. Or, la situation n’a pas du tout changé. Aujourd’hui encore les normes du système d’éducation sont toujours basées sur les connaissances et les aspirations des membres de la classe moyenne blanche qui, pour la majorité d’entre eux, n’ont pas assez d’ouverture d’esprit pour comprendre que nous formons un monde différent dont l’existence est tout aussi légitime.
Comment favoriser leur ouverture d’esprit?
Notamment, en parlant avec eux, ce que je fais depuis longtemps. C’est toutefois décourageant. J’ai enseigné dans des établissements partout au Canada et les gens sont très peu enclins à modifier leurs angles de vue. C’est par ailleurs frustrant et triste de constater que de nombreux Autochtones éduqués et socialisés au sein du même système ont ces mêmes perceptions. Par contre, on constate aussi que le système d’éducation primaire et secondaire a des effets délétères tant pour les enfants non autochtones qu’autochtones. Ils y apprennent d’emblée à connaître leurs lacunes.
Quelle est la solution à ces maux?
Une différente façon d’enseigner. J’ai pour ma part appris dès le départ que j’étais maître de ma destinée. Si on me demandait de faire quelque chose, je devais réfléchir avant d’agir parce que j’étais totalement responsable de mes actes. Alors que mon fils était à la maternelle, on m’appela pour me dire qu’il était si fatigué qu’il n’arrivait pas à se concentrer. Je fus surprise, car je savais qu’il dormait bien. Il était semble-t-il dans la lune et inattentif. Je compris alors qu’il agissait comme si ces gens n’existaient pas, car dans notre culture quand quelqu’un est irrespectueux, on l’ignore, et quand il redevient respectueux, on lui porte attention. J’ai aussi appris qu’il ne faut jamais se comparer aux autres, sinon on met nos propres talents en péril. Il faut faire fi des étiquettes, des comparaisons et, assurément, des normes.
Sur quels arguments vous appuyez-vous pour avancer cela?
Je peux m’appuyer sur une des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation — que l’Université de Winnipeg a immédiatement mise en œuvre — un cours obligatoire sur les questions autochtones. Cette mesure n’est pas généralisée parce que les administrations universitaires n’ont pas cette ouverture d’esprit. Nous croyons que si les Canadiennes et Canadiens et la population étudiante comprenaient la vérité, ils changeraient de perspective. Certains de mes étudiants ne connaissent rien de leur histoire. Ils sont en colère quand ils apprennent ce qui s’est passé et qu’ils l’ignoraient. Ils prennent alors conscience que leur situation actuelle en tant qu’individus des Premières Nations est indépendante de leur volonté. L’autochtonisation du système d’éducation est un long processus qui se heurte à une foule d’obstacles, les plus importants étant les personnes qui, à la tête du système, s’y opposent.