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Détruire les mythes du personnel académique contractuel

Détruire les mythes du personnel académique contractuel

iStock.com / Floriana

En menant l’an dernier un sondage national auprès du personnel contractuel, l’ACPPU a donné comme jamais la parole à ce segment grandissant des effectifs académiques. Le sondage visait à jeter un éclairage sur les conditions de travail, sentiments et objectifs de vie de ces enseignants.

Il a dressé un tableau sombre de l’état de l’éducation supérieure au Canada, mais aussi de la santé mentale de travailleurs pris dans un cercle infernal de contrats.

Réduisant en miettes la théorie des établissements voulant que la plupart des enseignants à temps partiel, cumulant les contrats de courte durée et mal payés, apprécient la flexibilité inhérente à leur contrat d’emploi, les quelque 2 600 répondants ont plutôt dépeint la triste réalité du personnel académique contractuel (PAC).

« Je n’ai pas accès aux fournitures de base, comme la craie ou les marqueurs en classe. Pas de trombones, de brocheuse, rien du tout. »

« Il y a un bureau pour 18 chargés de cours. C’est vraiment juste une boîte aux lettres. »

« On n’a pas accès à des ordinateurs, des imprimantes ou des téléphones. »

Vous pensez qu’il s’agit de conditions de travail dans des pays défavorisés? Détrompez-vous, ce sont celles des membres du personnel académique contractuel au Canada. Et quand on regarde les chiffres, l’énormité de la situation est encore plus renversante. D’après Statistique Canada, entre 2005 et 2015, le pourcentage de professeurs d’université travaillant à temps partiel et sur une partie de l’année a bondi de 79 %, contre seulement 14 % pour les professeurs réguliers. Les effectifs étudiants universitaires ont augmenté de 28 % durant la même période. Malgré le peu de données existantes, un rapport publié en janvier 2018 par le Conseil des universités de l’Ontario a révélé que 50 % des cours de premier cycle à 17 universités publiques ontariennes étaient donnés par des enseignants contractuels.

Les auteures du sondage, Karen Foster, professeure agrégée au département de sociologie et d’anthropologie sociale de l’Université Dalhousie, et Louise Birdsell Bauer, agente de re­cherche à l’ACPPU, ont constaté que « de nombreux membres du personnel académique contractuel sont sous-payés, crou­lent sous le travail et manquent de ressources et, par ailleurs, font de leur mieux pour offrir un enseignement de qualité aux étudiants ».

Malgré leurs conditions de travail lamentables, nombreux expriment leur engagement à l’égard de leur travail, mais aussi leur espoir en de jours meilleurs : « J’enseigne à l’université et j’adore cela. J’ai à cœur la réussite de mes étudiants et je suis dévouée à mon établissement. »

Les résultats du sondage mettent à mal le stéréotype de l’enseignant contractuel au niveau universitaire et collégial qui tire de sa charge d’enseignement un revenu d’appoint pour poursuivre des études ou travailler ailleurs.

D’après le rapport, « [p]lus de la moitié (53 %) des répondants veulent être nommés à un poste menant à la permanence dans une université ou à un poste à temps plein et permanent dans un collège et c’est même le cas des répondants qui ont de 16 à 20 années d’enseignement à leur actif. »

En outre, « [s]eulement 25 % des répondants ont clairement indiqué qu’ils ne voulaient pas de telles nominations. Les autres ont déclaré être incertains. »

Louise Birdsell Bauer affirme que la grande majorité des membres du PAC ne poursuivent pas des études de cycle supérieur et ne sont pas heureux de cumuler les emplois. « Ils ne travaillent pas à temps partiel et n’ont aucune sécurité d’emploi, ajoute-t-elle. L’étude vient contredire l’idée populaire selon laquelle les enseignants contractuels se limitent à enseigner et montre qu’ils contribuent aussi, dans une très forte proportion, à des activités de recherche et de service, même si la plupart ne sont pas rémunérés. »

La sécurité d’emploi est la principale préoccupation de ce groupe d’enseignants. « Seulement 21 % [des répondants] occupent un emploi à temps plein et permanent ailleurs que dans le secteur de l’éducation. S’il faut distinguer un groupe “majoritaire” au sein des répondants, il s’agit des personnes qui tentent de faire carrière, en tant que titulaires d’un poste à temps plein, dans un établissement d’enseignement postsecondaire », selon le rapport.

Les résultats du sondage montrent également que « les membres féminins et racialisés du PAC font plus d’heures de travail par cours par semaine que leurs collègues et sont surreprésentés dans les échelons salariaux inférieurs; les deux tiers [des répondants] ont déclaré qu’en raison de sa nature intermittente, leur emploi a eu des répercussions sur leur santé mentale; [s]eulement 19 % des répondants pensent que leur établissement postsecondaire est un employeur modèle et un partisan de bons emplois ».

Beaucoup de répondants ont décrit en détail les conséquences néfastes que leur emploi précaire a eues sur leur estime de soi et leur santé mentale.

« Je ne parle pas beaucoup de mon travail; même si je suis une spécialiste de mon domaine, je me sens diminuée, sur le plan de mon identité sociale, par mon emploi précaire. »

« Un emploi contractuel n’est pas stable et on ne peut pas s’y fier. Je travaille le plus possible pour mettre de côté autant d’argent que je peux au cas où je n’aurais pas de travail un tri-mestre ou une année. La peur et l’instabilité m’ont poussée à exclure de ma vie tout ce qui n’est pas le travail, le travail et encore le travail. »

« J’enseigne à cet établissement depuis près de 30 ans. Comme les autres enseignants contractuels, je n’ai jamais obtenu de reconnaissance lors de la remise annuelle du prix pour long état de service. »

« Je n’ai jamais eu de “vrai” emploi, à temps plein avec des avantages sociaux. J’ai toujours eu un sous-emploi précaire, mais qui me prend plus de 40 heures par semaine. C’est ma femme qui est le principal soutien de famille. Je ne sais pas comment dire cela aux gens d’une façon positive. Cela devient une source d’anxiété majeure. »

La présidente du Comité du personnel académique contractuel de l’ACPPU, Sarika Bose, n’est pas étonnée des résultats du sondage.

« Si je me fie aux histoires que j’entends depuis des décennies, et aux données empiriques, les résultats tapent dans le mille et les conditions de travail décrites ne sont optimales ni pour les enseignants contractuels ni pour les étudiants et l’apprentissage, dit-elle. La santé mentale des enseignants contractuels en prend un coup et beaucoup souffrent d’épuisement professionnel et quittent la profession. Le système engendre un sentiment d’isolement très problématique, car il suscite un désengagement. Les enseignants peuvent difficilement superviser des étudiants et enrichir les connaissances de leurs disciplines même s’ils sont des chercheurs et des scientifiques qualifiés. Cela porte atteinte à l’intégrité de l’université tout entière. »

De nombreux répondants ont dit avoir renoncé à assumer les coûts financiers et personnels de la recherche. Les établissements s’attendent généralement à ce qu’ils fassent de la recherche, même s’ils ne leur offrent aucun soutien. Un répondant a expliqué : « J’ai fait partie d’une équipe de recherche nationale et internationale pendant dix ans, de sorte que j’enseigne régulièrement et contribue à la recherche internationale. J’ai régulièrement des subventions pour mes projets et mes déplacements au pays. Le soutien que je reçois pour mes travaux de recherche ne vient pas de mon université, puisque j’enseigne à temps partiel, mais de collègues d’autres universités. »

Sarika Bose pense que l’éducation et une plus grande transparence institutionnelle pourraient renverser la vapeur. « Nous devons sentir que nous avons une communauté d’érudits. Nous pouvons mettre fin au recours croissant à des enseignants contractuels, mais nous avons besoin de l’appui de tous les collègues pour parler d’une voix ferme et unie. »

Le sondage s’adressait aux membres du personnel académique contractuel qui avaient donné au moins un cours dans l’année académique 2016-2017 dans un établissement d’enseignement postsecondaire au Canada.

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