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Par James Compton
La Une qui tue : « Les entreprises canadiennes contrôlent maintenant plus du tiers des sièges dans les conseils d’administration des universités en Ontario. » Tel est le titre d’un compte rendu publié en avril par PressProgress, un site web militant associé à l’Institut Broadbent. On y lit que « les dirigeants d’entreprise surpassent maintenant en nombre les universitaires et les administrateurs publics » dans ces conseils d’administration. Il ressort qu’« [a]u total, plus de la moitié (54,4 %) des candidats externes nommés aux conseils universitaires avait fait partie de la haute direction ou du conseil d’administration d’entreprises tandis que sept sur dix (70,4 %) étaient issus du secteur privé ». Comment s’étonner alors que nos universités publiques soient dirigées de plus en plus comme des entreprises privées?
Nous avons tous vu les publicités pleine page concoctées par les universités pour mettre en vedette leur marque avec des slogans accrocheurs. Confrontées à la forte baisse du financement public dans le secteur de l’éducation postsecondaire, les universités s’arrachent aujourd’hui la clientèle — et les revenus supplémentaires provenant des frais de scolarité — en vendant aux éventuels étudiants la promesse d’une « expérience sans pareille ». De nouvelles installations récréatives, des commodités et des activités, voilà les nouvelles armes de séduction : venez chez nous, nous avons une longue tradition, nous sommes uniques, différents. Bref, une université « nouvelle et améliorée »!
Ces arguments de vente sont aujourd’hui monnaie courante. À preuve, le Trinity College de Dublin communique exactement le même message. Fondé en 1592, Trinity est une institution fort vénérable, un haut lieu du savoir renommé pour ses brillantes réalisations académiques. Cependant, jetez un coup d’œil à son site web et vous retrouverez le même discours familier, adapté à la sauce Trinity : une vidéo sur la cohabitation architecturale du passé et du moderne sur le campus et des témoignages invitants de multiples étudiants. Du déjà-vu?
L’année dernière, un collègue du Trinity College m’a servi de guide lors de ma visite du campus. Que vous dire de la splendeur de la bibliothèque et du Livre de Kells qui y est exposé — un manuscrit de l’époque médiévale, rédigé en latin et riche en enluminures faites à la main! Trinity a effectivement un glorieux passé et son site est unique, mais ce marketing ostensible, la présentation de ces attributs, avait quelque chose de dérangeant et de trop habituel. La plupart des personnes croisées sur le campus ce jour-là étaient des touristes et pour avoir le privilège d’admirer la vieille bibliothèque et le Livre de Kells, il fallait faire la queue longtemps au guichet. En tant qu’invité d’un professeur de Trinity, j’ai eu la chance d’avoir accès directement et gratuitement à ces merveilles. L’affluence dans les salles m’a fait penser aux excursions en autocar. Même ce vénérable collège avait été contraint de trouver d’autres sources de revenus.
Le contraste entre la tradition et la modernité m’a fasciné. Mon guide et son collègue à la bibliothèque m’ont avoué éprouver un choc à la vue des visiteurs qui marchaient nonchalamment sur la pelouse du Fellows’ Square. Ce qui était, depuis des temps immémoriaux, un acte de désobéissance impensable était maintenant une concession faite à la horde de clients payants. Mes amis étaient très fiers de leur campus et de ses traditions et j’avais hâte qu’ils me racontent d’autres anecdotes. J’ai ainsi appris que le vice-président aux affaires académiques était élu par le personnel à temps plein et les étudiants. Stupéfiant! En plus d’avoir droit à une chope (pas deux!) de Guinness par jour, les professeurs de Trinity peuvent élire la personne à la tête de l’université. Même frappé par la vague de commercialisation, Trinity réussit à perpétuer la vieille tradition de la gouvernance collégiale. Défiant la lente disparition du futur, au dire de Mark Fisher, les professeurs de Trinity ont voix au chapitre dans leur gouvernance collégiale.
Sous l’emprise du gestionnariat utilitariste, nous en venons à penser qu’il n’y a pas d’autre option ou d’autre avenir que ce que nous propose le présent. Mais il y a une autre voie. Celle de Dublin, où j’ai expérimenté le « choc de la modernité » sur un campus datant du 16e siècle.