Les deux appels concernant l’Université Trinity Western (TWU) interjetés auprès de la Cour suprême du Canada auront pour conséquence de circonscrire le pouvoir d’organismes réglementaires comme les barreaux. Non, ce n’est pas ce qui a provoqué la ruée, l’automne dernier, vers les billets pour assister à une audience de deux jours qui fera date. Ni ce qui a motivé des optimistes, agglutinés dans une longue file sinueuse, à jouer des coudes pour être les témoins oculaires du prélude à une décision historique de la plus haute Cour du pays.
Ce résumé vite fait de la cause contient une foule de nouveaux enjeux d’une portée considérable cristallisés par le duel apparent entre la liberté de religion et les droits à l’égalité inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés et par l’accusation d’atteinte à la liberté académique du personnel de la faculté. La Cour aura donc à démêler un écheveau de questions juridiques et constitutionnelles d’une importance et d’une complexité inégalées.
Des tribunaux inférieurs ont entendu l’argumentaire des deux parties relativement aux faits en cause. D’un côté, on invoque un droit à la liberté de religion qui s’étend aux politiques d’admission et d’emploi d’une université confessionnelle. De l’autre, une politique de discrimination et d’exclusion, qui viole les droits à l’égalité également protégés par la législation. En conformité avec ses valeurs religieuses, la TWU exige de ses étudiants, de son personnel général et de ses professeurs qu’ils adhèrent à un « christianisme orthodoxe historique », selon lequel on doit croire aux Saintes Écritures et y obéir sans réserve. Ses avocats ont soutenu qu’à titre d’institution religieuse privée, la faculté n’est pas visée par la Charte ou par toute autre loi provinciale sur les droits de la personne. Ils ont aussi fait valoir que l’objectif de la TWU et des membres de sa communauté religieuse de former des avocats dans la tradition chrétienne évangélique est tout à fait légal et protégé par leurs droits à la liberté de religion et à l’égalité en vertu de la Charte.
En réplique, les barreaux ont affirmé que la TWU tente d’empêcher l’admission d’étudiants homosexuels, bisexuels, transgenres ou allosexuels et d’autres étudiants potentiels en appliquant un code de conduite basé sur ses croyances religieuses, qui ne reconnaît l’intimité sexuelle qu’après le mariage entre un homme et une femme. Cette barrière discriminatoire, avancent-ils, porte atteinte aux mêmes droits à la liberté de religion et à l’égalité des étudiants potentiels qui s’opposent aux obligations et aux croyances définies dans l’engagement communautaire de la TWU. En tant qu’organismes réglementaires, les barreaux ne peuvent l’accepter.
Lors de leur embauche et chaque année par la suite, les professeurs doivent s’engager à adhérer à la doctrine de la TWU. Pour l’ACPPU, cette condition est une atteinte à la liberté académique, car les professeurs sont tenus de reconnaître cette doctrine et de la refléter dans leurs activités d’enseignement et d’érudition.
« Avec sa déclaration de foi et son engagement communautaire, la TWU fait de la conformité à une idéologie ou à des principes religieux particuliers une condition d’emploi, affirme le directeur général de l’ACPPU, David Robinson. Tout manquement à cet engagement peut entraîner une mesure disciplinaire ou de quelconques représailles. Il est inacceptable que la liberté académique soit restreinte de cette façon. Voilà pourquoi l’ACPPU a été une intervenante dans ce dossier. »
La cause a été présentée à maintes reprises comme la plus controversée d’une génération, ce qui pourrait expliquer la file de gens aspirant à voir la Cour suprême à l’œuvre, qui n’a cessé de s’allonger en dehors de la salle d’audience bondée. Les procureurs représentant les deux barreaux et la TWU, et les intervenants venus, en nombre inégalé, prendre position sur des questions d’équité ou de religion, ou sur d’autres points de droit — dont la liberté académique, dans le cas de l’ACPPU — s’entassaient sur les bancs au milieu des piles de dossiers renfermant la précieuse jurisprudence et les motifs de défense. Complétant ce tableau, des observateurs, toutes orientations et affiliations religieuses confondues, étaient suspendus aux lèvres des avocats présentant leurs plaidoiries et clarifiant des points de droit pour les juristes.
L’ACPPU maintient que la liberté académique comporte quatre volets principaux : la liberté d’enseignement, la liberté de recherche et de publication, la liberté d’exprimer ses opinions dans l’établissement d’enseignement et sur cet établissement (liberté académique intra-muros) et la liberté d’exercer ses droits civils sans être sanctionné (liberté académique extra-muros).
Dans son intervention, l’avocat de l’ACPPU, Peter Barnacle, a relevé que les avocats représentant la TWU avaient mis de l’avant une définition différente de la liberté académique en citant une version de l’approche adoptée par Universités Canada en 2010, « l’intégrité et l’autonomie institutionnelles ».
« Cette définition rompt avec la conception de la liberté académique depuis des siècles, à savoir la liberté individuelle du personnel académique, a déclaré Me Barnacle. La liberté académique appartient au membre du personnel académique, qui a le droit de l’exercer. Elle ne peut être restreinte, sauf par les lois générales encadrant toutes les formes d’expression. »
Les conseillers juridiques des derniers intervenants ont présenté leurs arguments sur diverses questions, notamment : l’application ou non de la garantie de liberté de religion contenue dans la Charte à des personnes morales ou à des organisations comme les groupes d’éducation religieuse et les églises, par opposition à des individus; l’étendue du pouvoir des barreaux de rendre des décisions de manière indépendante, dans l’exercice de leur mandat d’agir dans l’intérêt public; et la bonne norme d’examen applicable pour la mise en balance, par les décideurs administratifs, des droits protégés par la Charte.
De nombreux intervenants se sont rangés aux côtés de la TWU, dont la National Coalition of Catholic Trustees Associations, l’Alliance des chrétiens en droit, la Conférence des évêques catholiques du Canada et la Faith and Freedom Alliance. L’Église unie du Canada a toutefois fait bande à part, s’élevant contre la demande pressante de la TWU pour que la Cour reconnaisse pour la première fois que des personnes morales bénéficient de la protection de la Charte.
Dans son mémoire, l’Église unie du Canada déclarait notamment : « […] les personnes morales et les institutions ne peuvent avoir de croyances ni de conscience. L’Église unie s’inquiète des efforts visant à élargir la portée de l’alinéa 2a) [de la Charte] afin de donner à de telles organisations les coudées franches pour exercer de la discrimination à l’endroit des personnes qui sont en désaccord avec les préceptes de leurs dirigeants […] [et] de leur permettre de défendre leurs décisions opaques et discriminatoires au nom de la foi. »
D’autres intervenants aussi opposés à la position de la TWU ont abordé les questions de la discrimination et de la prépondérance qu’accordent, ou que devraient accorder, les organismes réglementaires comme les barreaux à un facteur comme le soutien de la diversité dans les facultés de droit.
Le conseiller juridique de l’Association du Barreau canadien a appuyé les arguments présentés par les barreaux, selon lesquels les organismes réglementaires peuvent refuser l’agrément, en soutien direct du gouvernement, en raison du caractère d’exclusion de la politique d’admission fondée sur des croyances.
David Robinson est d’accord : « Les deux barreaux ont refusé l’agrément parce que la TWU nie les droits des couples du même sexe, notamment en interdisant toute proximité sexuelle. Face à la mise en balance des droits à l’égalité et de la liberté de religion garantis par la Charte qui est ici en cause, l’ACPPU estime que la violation de la liberté académique à la TWU nuirait à la promotion et à la protection de la diversité, qui sont fondamentales dans toute formation juridique dispensée par une faculté de droit au Canada. »