Le 20 novembre 2017, les 12 000 professeurs, conseillers et bibliothécaires des 24 établissements du réseau d’enseignement collégial public de l’Ontario ont été forcés de reprendre le travail par une loi qui a mis fin à la grève qu’ils avaient déclenchée cinq semaines plus tôt au nom de la liberté académique et en réaction à la croissance des emplois précaires dans le réseau. Le Bulletin s’est entretenu avec Martin Devitt, professeur à l’École des arts libéraux et des sciences du Collège Niagara, ainsi que président de la section locale et membre du bureau de la division du personnel scolaire collégial du Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario.
Quelles étaient les principales préoccupations des membres dans cette ronde de négociations?
Selon notre sondage auprès de tous nos membres dans les 24 collèges, la liberté académique venait en tête, suivie de la sécurité d’emploi, principalement concernant les professeurs contractuels. Dans le réseau actuel, le personnel académique contractuel (PAC) représente de 75 à 80 % des enseignants et les professeurs à temps plein, moins de 25 %. Depuis dix ans, le réseau a connu une augmentation de 20 % du nombre d’étudiants à temps plein, de 36 % du PAC, de 56 % des administrateurs et de seulement 12 % des professeurs à temps plein. Nous revendiquions un nombre égal de professeurs à temps plein et de professeurs contractuels, et pour ces derniers, des contrats plus longs et d’autres améliorations à la sécurité d’emploi.
Comment le manque de liberté académique influe-t-il sur la qualité de l’éducation dans les collèges ontariens?
Le corps professoral doit jouir de la liberté académique pour décider, par exemple, des méthodes d’évaluation, des ressources pédagogiques et des objectifs des cours et des programmes — toutes des décisions qui définissent la qualité de l’éducation. Quand des gestionnaires se substituent aux professeurs même pour noter les travaux, il s’ensuit manifestement un affaiblissement des normes académiques. Au Collège Conestoga, les doyens peuvent modifier unilatéralement les notes des étudiants. Au Collège Niagara, les professeurs sont exclus du processus de révision des notes. L’intégrité du système d’éducation et la qualité de l’apprentissage des étudiants sont compromises quand les gestionnaires veulent exercer un contrôle démesuré.
Le réseau collégial connaît une expansion rapide et son mandat se complexifie. Dans quelle mesure cela reflète-t-il la situation en Ontario?
Ces dix dernières années, les collèges ont été plus nombreux à jouer dans la même cour que les universités en offrant plus de programmes de grade universitaire et en élargissant leurs domaines de recherche. Pourtant, contrairement aux universités, ils n’ont pas deux organes de gouvernance collégiale pour soutenir les normes académiques. Les professeurs ont l’expertise pour enseigner des programmes de grade universitaire, dont les crédits sont pleinement transférables, mais ils accomplissent leur travail académique dans des conditions qui ne cessent de se détériorer. Nous devons sensibiliser toutes les parties prenantes pour obtenir la même liberté académique qui est à la base d’une éducation de qualité dans tout le système postsecondaire.
Quelle a été la position du Conseil des employeurs des collèges dans vos négociations?
Le Conseil nous a continuellement demandé de faire des concessions, tout en refusant de plafonner les heures supplémentaires et en réclamant la suppression du nombre maximum de semaines d’enseignement, ce qui aurait pour effet de réduire encore le nombre de professeurs. Les employeurs veulent un contrôle absolu. À la fin de la troisième semaine de grève, le Conseil a soudainement déposé une version de son offre précédente qui comprenait les concessions, et a exigé la tenue d’un vote direct des membres. Il pensait ainsi briser la volonté et la solidarité des membres, mais cela a été une erreur. Avec un taux de participation de 95 %, soit le plus élevé jamais obtenu dans un scrutin électronique au Canada, 86 % d’entre eux ont rejeté l’offre.
Vous avez repris le travail. Où en êtes-vous maintenant?
La grève a pris fin, mais l’animosité persiste. La loi imposant la reprise du travail ne comportait aucun protocole de retour au travail. La convention collective expirée était en vigueur pendant la procédure de médiation-arbitrage. Tous les objectifs des cours doivent être atteints pendant la nouvelle période décrétée, sans égard au travail supplémentaire occasionné ou sans rémunération supplémentaire. Le 20 décembre, l’arbitre William Kaplan a rendu sa décision : il a défini le libellé de la convention collective sur la liberté académique — permettant dorénavant aux professeurs de parler librement des questions académiques sans craindre des représailles, amélioré la sécurité d’emploi pour les professeurs ayant une charge d’enseignement partielle et les professeurs à temps plein et ordonné la mise sur pied d’un groupe de travail dirigé par le gouvernement qui devra formuler des recommandations sur les effectifs enseignants, le travail précaire, le financement des collèges, la réussite des étudiants et la gouvernance. L’arbitre a tranché des questions qui auraient pu être réglées à la table — ce qui aurait permis d’éviter la grève de cinq semaines déclenchée le 16 octobre — si les collèges s’étaient montrés le moindrement sensibles à la situation des étudiants et du personnel pendant les négociations.