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Entretien // Joel Lexchin

Entretien // Joel Lexchin

Yvonne Bambrick

Le Dr Joel Lexchin est professeur émérite à l’Université York et urgentologue au Réseau universitaire de santé de Toronto. Il a présenté la récente conférence Olivieri sur l’éthique médicale parrainée par la Fondation Harry Crowe qui portait sur le ménage à trois entre l’industrie pharmaceutique, la profession médicale et le gouvernement.

Selon vous, ce ménage à trois a un énorme impact sur la réglementation des médicaments au Canada et, par ricochet, sur les coûts et l’innocuité des médicaments, ainsi que sur les pratiques de prescription des médecins. À quel point ces répercussions sont-elles importantes?

Elles sont très importantes. Les répercussions de la réglementation des médicaments et des politiques fédérales sur les coûts des médicaments nous portent à croire que les intérêts de l’industrie pas-sent avant ceux du public. Cette attitude a pour corollaire la mise en mar­ché de médicaments avant même que l’on ait pu conclure à leur innocuité et, dans certains cas où leurs propriétés n’ont pas été établies, il faut compter au moins dix ans avant qu’on puisse savoir si le médi­ca­ment agit comme il est censé agir.

Qu’est-ce qui explique cette situation?

Nous ne sommes pas les seuls à éprouver des problèmes, mais ceux-ci semblent particulièrement aigus au Canada. La situation émane en partie de l’imposition par le gouvernement fédéral à l’industrie, à compter des années 1990, de « frais d’utilisation » en guise de soutien aux activités de réglementation relatives aux médicaments. Antérieurement à cela, le financement de Santé Canada (SC) provenait exclusivement des impôts et taxes, et était assorti de l’obligation de reddition de comptes à la population. Actuellement, l’industrie assume environ la moitié des coûts du système de réglementation des médicaments. Le système a donc deux maîtres et il est démontré que les frais d’utilisation de concert avec d’autres initiatives pour amoindrir la réglementation ont fait pencher la balance du côté des sociétés pharmaceutiques.

Quelles solutions proposez-vous?

Revenir au financement public exclusif du système de réglementation des médicaments. De plus, SC doit faire preuve d’une transparence accrue dans la divulgation des renseignements. L’information que les sociétés pharmaceutiques communiquent à SC au moment où elles demandent à commercialiser leurs médicaments doit être rendue publique, tout comme l’évaluation de cette information. SC doit également resserrer son processus d’évaluation de l’innocuité. Le Canada devrait examiner les pratiques qui ont cours ailleurs dans le monde et adopter les meilleures d’entre elles.

Les droits de propriété intellectuelle ne protègent-ils donc pas l’information que les sociétés pharmaceutiques communiquent à SC?

Il y a beaucoup de données qui sont considérées comme des renseignements commerciaux confidentiels et que Santé Canada ne peut divulguer qu’avec l’assentiment de l’entreprise. Or, d’autres pays semblent avoir trouvé un système qui fonctionne. La Nouvelle-Zélande a le meilleur modèle relativement à la fixation des prix. Elle exerce un suivi très étroit auprès des entreprises et la population paie considérablement moins qu’ici. L’Agence européenne des médicaments a les meilleures pratiques pour assurer la transparence. Elle publie systématiquement de grandes quantités d’informations sur son site Web public. Aux États-Unis, la FDA a certes des problèmes, mais elle divulgue beaucoup plus de renseignements publiquement.

Il y a des interactions entre les médecins et les sociétés pharmaceutiques. Quels sont les enjeux qui y sont liés?

Cette relation s’est solidifiée dans les années 1950 et au début des années 1960, alors qu’ils faisaient front commun contre le gouvernement fédéral. Les médecins s’inquiétaient de l’implantation du régime d’assurance-maladie et s’y opposaient vivement, tandis que l’industrie pharmaceutique craignait d’être dépouillée de ses brevets. La relation s’est affaiblie depuis, mais elle persiste. Le gouvernement ontarien vient justement d’annoncer des plans pour obliger les entreprises pharmaceutiques à divulguer les sommes qu’elles versent aux médecins et aux établissements de soins de santé. L’industrie dépense plus de 500 millions de dollars par an à la commercialisation de ses produits auprès des médecins, qui se laissent influencer dans leurs prati­ques de prescription par l’information qu’ils reçoivent de la part de l’industrie.

Y a-t-il un rôle qui incombe au gouvernement ici?

Le gouvernement finance déjà la vaste majorité de la recherche fondamentale sur laquelle s’appuient les entreprises pour fabriquer de nouveaux médicaments. Il devrait envisager de se lancer dans le développement de médicaments, peut-être par l’intermédiaire de sociétés d’État, surtout dans les domaines où les besoins sont grands et la valeur commerciale pour l’industrie est faible. Le Canada ne peut agir seul à ce titre, mais il pourrait se faire l’ambassadeur d’une initiative internationale coordonnée.

Vous étudiez ces enjeux depuis des décennies. Pourquoi?

Je suis un ardent défenseur de la justice sociale. L’exercice de notre profession nous confère le privilège d’aider les gens. Pour ce faire, nous devons nous affranchir de tout conflit d’intérêts.

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