Par Evan Fox-Decent et Kirsten Anker
À l’automne 2021, les quelque 45 professeures et professeurs de la Faculté de droit de l’Université McGill ont commencé à jeter les bases d’un milieu de travail plus démocratique en fondant l’Association mcgillienne des professeur.e.s de droit (AMPD). Trois ans plus tard, non seulement sommes-nous en position de force pour conclure notre première convention collective, mais nous avons également contribué à syndiquer quelque 500 professeures et professeurs additionnels, issus des facultés des arts et de l’éducation de l’université.
Nos objectifs initiaux étaient modestes : redonner à la Faculté de droit son pouvoir décisionnel après des années de centralisation, inverser une tendance inquiétante en freinant les départs de collègues vers des facultés de droit plus attrayantes et attirer de nouvelles recrues, dont un trop grand nombre refusait nos offres. Nous étions un peu naïfs. Nous pensions que l’administration négocierait rapidement une convention collective avec nous si nous incorporions directement à notre proposition de convention la plupart des politiques et règlements existants de l’université qui concernent nos conditions de travail et nous concentrions plutôt sur les quelques domaines où nous voulions des changements.
Nous n’avions pas réalisé qu’après avoir tenté en vain de contester notre accréditation devant le Tribunal du travail, la stratégie de négociation de l’université se limiterait à tenter de bloquer notre syndicat. Nous manquions aussi de discipline. Plutôt que de faire appel à tous nos membres et d’insister sur leur participation active, nous avons laissé celles et ceux qui se portaient volontaires se charger du travail du syndicat.
Nous ne sommes plus aussi modestes, naïfs ou indisciplinés. Le savoir que nous ont transmis des collègues de tout le Canada nous a aidés à surmonter une courbe d’apprentissage abrupte. Petit syndicat nouvellement créé que nous étions, nous n’avions pas l’expérience de la mobilisation des membres, de la communication ou de la négociation, et encore moins de l’organisation de grèves prolongées. Nous avons pris connaissance des normes de travail en milieu postsecondaire et des nombreuses lacunes de l’Université McGill à ce chapitre. Nous avons compris sa stratégie juridique à la Walmart. Et, grâce aux précieux conseils que nous ont prodigués des conseillers syndicaux chevronnés tout au long d’une grève monstre de 13 semaines, nous avons appris la discipline.
Nous avons concentré nos activités sur ce qui fonctionnait, en utilisant la méthode essais-erreurs pour ajuster nos tactiques. Nous avons fréquemment rencontré les membres pour discuter de nos stratégies, à bâtons rompus sur le piquet de grève et de manière plus officielle lors de réunions de travail. Nous les avons écoutés lorsqu’ils nous ont dit que nous allions trop loin et nous les avons mobilisés pour qu’ils s’engagent activement à rebâtir une communauté minée par une administration centralisatrice. Durant la grève, nous avons proposé des séances d’enseignement et des assemblées à la population étudiante pour la garder mobilisée.
Notre écoute nous a permis de développer de nouvelles stratégies, comme celle de simplifier radicalement une offre de dernière minute pour éviter de repartir en grève : nous proposions d’abandonner la grève si l’université acceptait de reconnaître notre syndicat et de rassembler ce que nous avions déjà négocié sous forme de convention collective. Son refus a persuadé tous les membres que l’université était déterminée à nous vaincre et à obtenir le retrait de notre accréditation lors d’une procédure judiciaire prévue pour décembre, et les a incités à tout mettre en œuvre pour parvenir à leurs fins.
À mesure que les mois avançaient, notre revendication d’une convention collective équitable persistait, mais notre cri du cœur touchait davantage la reconnaissance du droit même d’exister en tant que syndicat de façon à faire entendre notre voix collective. Nous avons appris que notre combat ne concernait pas uniquement des questions de gouvernance et de maintien d’effectifs, mais également qui aurait son mot à dire sur l’avenir de l’université.
Nos mesures de pression concertées ont finalement contraint l’université à abandonner sa contestation juridique de notre accréditation syndicale. Mais nos succès ne s’arrêtent pas là.
Nous avons également persuadé l’université de renoncer à son opposition à l’accréditation de l’Association mcgillienne des professeur·e·s d’éducation et de l’Association mcgillienne des professeur·e·s de la Faculté des arts. De plus, l’université a accepté de négocier les questions touchant l’ensemble de l’établissement avec les syndicats de professeures et de professeurs par l’entremise d’une confédération dont la création est en cours et à laquelle d’autres syndicats de professeures et de professeurs seront invités à se joindre. Les syndicats représentant une faculté particulière négocieront les questions propres à leur faculté, et toutes les ententes de principe sur les questions propres aux différentes facultés et les questions touchant l’ensemble de l’université seront soumises à la ratification distincte des membres des différents syndicats de facultés particulières. Nous pensons que cela assure à la fois notre force et notre autonomie — le meilleur des deux mondes!
Tout au long de ce processus, les représentants nationaux et provinciaux des syndicats de professeures et de professeurs — l’ACPPU et la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) — ont alimenté nos travaux. À chaque tournant, chaque semaine, des membres de syndicats de l’université et de tout le Québec et le Canada — en particulier des assistantes et des assistants à l’enseignement diplômés, des chargées et des chargés de cours et des syndicats de professeures et de professeurs — se sont joints à nous sur la ligne de piquetage. Des représentantes et représentants de la Caisse de défense de l’ACPPU n’ont pas seulement grossi nos effectifs, ils nous ont remplis d’espoir et d’optimisme dans les moments les plus difficiles. La Caisse de défense a aussi fait en sorte que nous ayons les ressources nécessaires pour soutenir nos membres, payer les frais juridiques et maintenir nos canaux de communication. Lorsque le doute et la fatigue s’installaient, nos alliés nous donnaient la force nécessaire pour persévérer.
La syndicalisation nous a fait comprendre que nous avions toutes et tous une mission commune et que ce qui se passait à l’Université McGill avait des répercussions à l’échelle du pays.
Après plus de 13 semaines de piquetage, nous avons réalisé que notre pouvoir vient de chacune et de chacun de nous, et de toutes les personnes qui nous ont soutenus, y compris des dizaines de collègues d’autres facultés de l’Université McGill et d’autres universités canadiennes. Nous sommes extrêmement fiers que notre parcours, qui a commencé avec 45 professeures et professeurs de droit, ait facilité l’accréditation de deux autres syndicats et la syndicalisation de 500 collègues. La solidarité — et surtout le soutien que nous avons reçu d’autres syndicats et associations — a été le vecteur indispensable pour y parvenir. Très concrètement, la solidarité que nous ont exprimée, par leur action, l’ACPPU et d’autres alliés fera à jamais partie de l’Université McGill. McGill est maintenant une université syndiquée!
Evan Fox-Decent est le président de l’AMPD et Kirsten Anker en est la vice-présidente.