Stephanie Ross et Larry Savage
UBC Press, 2024, 356 pages
Par Susan Spronk
Les syndicats ne sont pas seulement des acteurs économiques : ils sont aussi des protagonistes politiques. Historiquement, au Canada et dans d’autres pays, les syndicats ont entretenu des relations étroites (et parfois officielles) avec certains partis politiques de gauche qui partageaient une idéologie commune, comme le Nouveau Parti démocrate (NPD).
Toutefois, alors que ces identités politiques se sont affaiblies, les liens entre les mouvements syndicaux et les partis politiques se sont également fragilisés. En effet, les partis sociaux-démocrates ont mis en oeuvre, volontairement ou non, des politiques favorisant les marchés et défavorables à la main-d’oeuvre diamétralement opposées aux intérêts des travailleuses et travailleurs.
Dans leur ouvrage Shifting Gears, Stephanie Ross et Larry Savage explorent ces dynamiques au sein du mouvement syndical canadien en insistant sur les travailleuses et travailleurs de l’automobile. S’il est tentant de penser qu’un livre sur la main-d’oeuvre dans l’industrie automobile n’a que peu d’intérêt pour les associations de personnel académique, nous pouvons tout de même en tirer des leçons. Après tout, les choix faits par les partis au pouvoir, tant à l’échelle fédérale que provinciale, affectent tous ceux et celles qui travaillent dans un établissement d’enseignement supérieur.
Divisé en huit chapitres, Shifting Gears retrace les origines des Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), un syndicat qui s’est détaché de son affilié américain au début des années 1980 et qui a ensuite fusionné avec le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier pour créer Unifor en 2013. Aujourd’hui, Unifor est le plus grand syndicat du secteur privé au Canada.
Le discours s’articule autour de l’interaction entre les deux tendances idéologiques qui ont influencé les choix des dirigeantes et dirigeants : le syndicalisme d’affaires, étroitement axé sur les enjeux fondamentaux qui préoccupent les membres des unités de négociation, et le syndicalisme social, qui englobe à la fois un engagement dans les luttes pour la justice sociale en dehors du milieu de travail et l’action syndicale au-delà de la négociation collective.
Les TCA-Unifor représentent une synthèse complexe de ces deux tendances, mais comme l’expliquent Ross et Savage, la stratégie politique du syndicat a évolué entre les années 1960 et 1990. Les TCA considéraient que la politique était fondée sur la classe, les amenant ainsi à nouer des relations partisanes avec le NPD. Si l’engagement de leur successeur en faveur du syndicalisme social demeure intact, leurs stratégies politiques ont considérablement évolué face à la crise de l’électoralisme social-démocrate dans les années 1990 et à la montée du néolibéralisme.
Plus récemment, face à une attaque sans précédent contre les libertés et les droits syndicaux, à d’importantes pertes d’emplois dans l’industrie et à la désyndicalisation, une politique syndicale défensive et transactionnelle ancrée dans le sectionalisme, c’est-à-dire la tendance des syndicats à limiter leurs buts et objectifs au profit de leurs membres cotisants, a pris de l’importance au sein d’Unifor.
Les intrigues politiques et les magouilles de certaines de ces politiques intestines n’envoûteront peut-être que les amateurs de l’histoire syndicale du Canada, mais la chute spectaculaire de l’ancien président d’Unifor, Jerry Dias, et l’élection de Lana Payne revêtent le caractère d’un bon drame politique que vous trouveriez sur votre service de diffusion en continu préféré.
L’ouvrage de Ross et de Savage renferme également des leçons utiles pour le mouvement syndical élargi,
y compris les associations de personnel académique. À quoi ressemblent les actions d’une association de personnel académique qui décide de s’engager dans la sphère politique traditionnelle? Le lobbying exercé une fois par année suffit-il, ou devons-nous renforcer notre pouvoir en établissant des relations plus dynamiques entre nos membres et les partis politiques en sensibilisant nos membres et en les mobilisant en vue d’élections? Dans ce cas, quel parti choisir à l’échelle fédérale et provinciale?
Puisque notre valeur fondamentale de la liberté académique dépend de la préservation de l’autonomie institutionnelle, il est peu probable que les associations de personnel académique cherchent à établir des liens formels avec les partis politiques. Mais comme les conditions de travail du personnel académique de tout le pays continuent de se détériorer dans le contexte de l’austérité budgétaire, des mandats provinciaux qui menacent la liberté académique et de l’embauche de personnel contractuel précaire, nous pourrions bien avoir à nous poser ces questions plus fréquemment.
Ross et Savage ne peuvent pas se prononcer sur le parti auquel se rallier, mais ils montrent clairement que de cibler des gains à court terme en matière de politique publique en s’engageant dans la politique purement transactionnelle est une stratégie sans issue qui engendre la grogne et la désunion chez les travailleuses et travailleurs. Au contraire, les syndicats ont besoin d’une vision politique à plus long terme qui privilégie les intérêts généraux des travailleuses et travailleurs, ce qui, dans notre cas, signifie exiger un enseignement supérieur accessible, abordable et de qualité que
notre population étudiante et nos sociétés de façon plus générale méritent.
Susan Spronk est professeure agrégée à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa.